Les uns parlent d’immigrants clandestins, les autres de réfugiés. Deux appellations différentes qui renvoient à deux concepts diamétralement opposés. Et c’est là tout le dilemme de l’Europe face à la vague migratoire sans précédent de ces derniers mois. Une vague accompagnée de drames humanitaires : 71 cadavres, probablement des réfugiés syriens, découverts jeudi dernier dans un camion en Autriche. Le même jour, près de 120 cadavres sont repêchés près des côtes italiennes.
Des drames que l’Europe tente de gérer tant bien que mal. Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’Europe occidentale a consolidé les bases de la démocratie, de la liberté, de la solidarité et des droits de l’homme comme étant les principes fondamentaux de ses Etats. Or, la gestion de la crise des migrants place l’Europe face à un véritable casse-tête. Traiter le problème comme étant de simples cas d’immigration clandestine, c’est-à-dire tout simplement renvoyer chez elles les personnes en question, ou admettre qu’il s’agit de réfugiés, et là, l’affaire se complique sérieusement.
Le commissaire européen à l’immigration, Dimitris Avramopoulos, l’a lui-même reconnu : « Le monde affronte la pire crise de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale » et l’Europe, dont plusieurs pays sont débordés par les flux de demandeurs d’asile, doit les accueillir d’une façon « décente » et « civilisée ». « L’Europe a du mal à gérer les importants afflux de personnes cherchant refuge dans nos frontières. Or, l’Union européenne est notamment construite sur le principe de solidarité avec ceux qui sont dans le besoin », a déclaré le commissaire européen la semaine dernière lors d’une conférence de presse à Bruxelles.
Pour le moment, ce qui est sûr, c’est que les dirigeants européens sont conscients qu’il ne s’agit pas là d’une mince affaire. Selon l’Elysée, Paris et Berlin estiment qu’« à terme », il faut « aller vers un système européen unifié d’asile et une politique migratoire commune ». Et que pour le moment, il faut mettre « en oeuvre sans délai des décisions prises par le Conseil européen », notamment l’ouverture des « centres d’accueil nécessaires en Italie et en Grèce » ou la répartition « équitable » des demandeurs d’asile entre les Etats membres de l’Union.
Concepts flous
Or, il convient d’abord de définir les concepts de réfugiés et de demandeurs d’asile, ainsi que de se pencher sur les législations internationales. Selon le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) des Nations-Unies, « un demandeur d’asile est une personne qui dit être un(e) réfugié(e) mais dont la demande est encore en cours d’examen ». Le HCR précise qu’« il incombe aux systèmes nationaux d’asile de décider quels demandeurs d’asile peuvent effectivement prétendre à une protection internationale. Ceux dont on estime qu’ils ne sont pas des réfugiés ou qu’ils n’ont pas besoin d’une autre forme de protection internationale, à l’issue de procédures adéquates, peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine ». De même, la Déclaration universelle des droits de l’homme énonce dans son article 14 : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ». La convention de Genève de 1951 a donné à cette protection une traduction en droit international public. Cette même convention définit le réfugié comme « une personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle ; qui craint, avec raison, d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, et qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou y retourner en raison de ladite crainte ».
Cette définition donne une porte de sortie aux pays d’accueil de refuser les demandes d’asile des personnes fuyant les conflits dans leurs pays, sans pour autant être persécutées en raison de l’une des causes précédemment citées. Mais elle ignore les aspects humanitaires et les difficultés propres aux cas particuliers. Quand bien même ces migrants ne sont pas persécutés, on ne peut pas ignorer le fait qu’ils fuient la guerre, la misère et la détresse.
Au-delà des lois
La question ne s’arrête donc pas aux lois. Car loin des termes abstraits, il s’agit bien de femmes, d’hommes et d’enfants, qui arrivent dans des conditions indignes en Europe, une Europe incapable de se mettre en accord avec les idéaux de paix, de solidarité et d’humanisme qui en sont pourtant les fondements.
Or, l’Europe se doit d’agir. Et au plus vite. Car les causes des flux migratoires actuels sont loin d’être en passe de prendre fin. Les Européens en sont conscients, et le président français, François Hollande, ainsi que la chancelière allemande, Angela Merkel, ont reconnu lors d’un sommet tenu la semaine dernière qu’« il est des moments dans notre histoire européenne où nous faisons face à une situation exceptionnelle. Aujourd’hui, c’est une situation exceptionnelle mais une situation exceptionnelle qui va durer ».
Une situation exceptionnelle à laquelle les législations actuelles ne répondent pas de manière adéquate. Apparemment, le règlement Dublin III, (mis en place en 2013 et précédé par Dublin II en 2003 et la Convention de Dublin en 1990), n’est plus suffisant. Censé « établir les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers », il renvoie en général la demande d’asile au premier pays d’accueil. Ce qui pose aujourd’hui un vrai problème pour des pays comme la Grèce ou la Macédoine. Déjà, en mai dernier, la Commission européenne avait présenté des propositions aux Etats membres, qui ont toutefois rechigné à mettre en place des mesures visant à soulager les pays en première ligne et à mieux répartir les réfugiés dans toute l’Europe.
Mais aujourd’hui, l’urgence impose de nouvelles mesures. C’est pourquoi François Hollande et Angela Merkel ont plaidé pour une unification des politiques migratoires et d’asile dans l’Union européenne, en proposant un plan d’action en trois points. D’abord, accélérer la création des centres d’accueil dans les pays dépassés par l’afflux migratoire. Ensuite, garantir la répartition équitable dans tous les pays membres des personnes ayant obtenu l’asile. Une tâche impossible si le droit européen n’est pas unifié. Enfin, lutter contre les causes de ces migrations, notamment en menant une politique de développement plus efficace, en Afrique comme au Moyen-Orient. A ce sujet, Angela Merkel a annoncé la tenue en novembre prochain à la Valette (Malte) d’un sommet Afrique-Europe sur le problème des migrations. « L’Allemagne et la France s’engagent à préparer ce sommet avec sérieux. Il s’agit ici entre autres des questions des accords de rapatriement avec les pays africains, mais il s’agit surtout de garantir aux personnes vivant dans des camps de réfugiés au Liban, en Jordanie ou en Turquie des conditions de vie digne. C’est un agenda ambitieux, nous veillerons à sa réalisation ».
Autrement dit, et malgré les idéaux républicains et humanitaires, l’Europe continue de percevoir ces migrants comme étant des « immigrants clandestins » qui fuient leurs pays surtout pour des raisons économiques, et ce, malgré le changement notable dans la nature même de ces migrants. Nous vous aiderons à rester chez vous et à y vivre plus dignement. Voilà en bref sur quoi semble se fonder la politique européenne. Quelles que soient les circonstances.
En Europe, des chiffres alarmants
Selon le HCR, plus de 300 000 personnes ont traversé la Méditerranée depuis janvier 2015, et plus de 2 500 ont péri en mer.
Italie : Plus de 108 000 migrants d’Afrique, du Proche-Orient et d’Asie du Sud ont atteint les ports d’Italie méridionale depuis le début de cette année.
Allemagne : Quelque 3 000 demandes d’asile par jour depuis le début du mois d’août. Un chiffre qui atteindra les 800 000 demandes d’ici la fin de l’année, selon le gouvernement.
Grèce : Environ 200 000 personnes arrivées par mer depuis le début de l’année. 50 000 demandeurs d’asile en juillet dernier, contre 6 000 en juillet 2014.
Hongrie : 140 000 arrivées depuis le début de l’année. 35 000 demandes d’asile pour le seul mois de juillet dernier. La Hongrie est la porte d’entrée vers l’Union européenne.
Macédoine : Quelque 3 000 réfugiés en moyenne par jour depuis début août, selon le HCR, la majorité d’entre eux en provenance de Grèce et considérant la Macédoine comme un simple passa ge.
Les Syriens, un cas à part
En l’absence de perspective de solution politique et de terme à la confrontation armée, le nombre de personnes touchées par le conflit syrien ne cesse d’augmenter. Selon les estimations de l’Onu, près de 11 millions de Syriens sur une population totale de 22 millions sont touchés par le conflit et ont besoin d’aide humanitaire, soit la moitié de la population. Environ 7 millions d’entre eux sont des déplacés internes, alors que le nombre de réfugiés syriens a dépassé le chiffre de 4 millions, selon le HCR, et devrait s’élever à 4,27 millions d’ici la fin de l’année. Il s’agit de la plus importante population de réfugiés d’un seul conflit en une génération, souligne le haut-commissaire, António Guterres.
La Turquie et le Liban, pays frontaliers au nord et à l’ouest de la Syrie, se partagent plus de la moitié des réfugiés : 1,8 million pour la Turquie et 1,2 million pour le Liban (qui compte 4 millions d’habitants). Quelque 270 000 autres réfugiés syriens ont demandé l’asile en Europe.
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