Plus de 70 personnes ont été blessées samedi et dimanche dans les manifestations de Beyrouth
(Photo:Reuters)
Beyrouth s’embrase. La crise née de l’accumulation des ordures dans les rues de la capitale libanaise s’aggrave de jour en jour et prend de plus en plus les allures d’une crise politique. Tout a commencé samedi dernier par une manifestation organisée par le mouvement « Vous puez » place Riyad Al-Solh et place des Martyrs. Les manifestants protestaient contre la gestion de la crise des déchets au Liban.
Les forces de sécurité ont utilisé des balles en caoutchouc, des canons à eau et des gaz lacrymogènes pour disperser la foule. Bilan : 75 blessés pour la seule journée de samedi. Car les manifestations se sont poursuivies le lendemain, dans un climat encore plus tendu, avec des échauffourées sporadiques par-ci par-là.
Cette fois-ci, non seulement pour dénoncer l’impéritie du gouvernement à trouver une issue à la crise des ordures ménagères qui envahissent les rues depuis des semaines, mais pour dénoncer l’action du gouvernement en général, ou plutôt son incompétence. Et, dans les manifestations, on pouvait entendre des slogans comme « Liberté » ou « Le peuple veut la chute du régime », qui ne sont pas sans rappeler les slogans du « Printemps arabe ».
Ce qui a provoqué un état de confusion auprès des Libanais et surtout des autorités. Le mouvement « Vous puez » s’est désolidarisé des heurts et a insisté sur le caractère pacifique de la protestation. « Nous n’avons rien à faire avec ce groupe et cette violence », a affirmé à l’AFP un porte-parole du collectif, Joey Ayoub. Les autorités, elles, ont parlé d’« intrus » parmi les manifestants.
Quoi qu’il en soit, la crise des déchets reflète la déliquescente du Liban et fait éclater au grand jour les dysfonctionnements d’un Etat à bout de souffle, qui n’a cessé de s’affaiblir à force de crises. En effet, en première ligne de cette crise, le premier ministre Tammam Sallam, a reconnu que le problème des ordures était la goutte d’eau ayant fait déborder la colère de l’opinion. « Mais la question est beaucoup plus importante que cette goutte d’eau. C’est la question des ordures politiques dans ce pays », a-t-il lancé. Auparavant, il avait appelé au calme et tendu la main aux manifestants. « Je suis disposé à vous écouter et à m’asseoir avec vous », avait-il lancé lors d’une conférence de presse. M. Sallam a également appelé le Conseil des ministres à se réunir rapidement pour trouver une solution à la crise, dénonçant les divisions politiques paralysant les institutions.
Pièges
Mais la crise risque de dégénérer. Dans une allocution télévisée, le chef du gouvernement a mis en garde ses concitoyens contre le risque d’un effondrement politique, un scénario dont il n’entend pas faire partie, a-t-il dit ajoutant qu’au-delà de la crise des ordures ménagères se posait le problème du « dépotoir politique » que représentait le pays. « Que tous les responsables et toutes les fores politiques endossent la responsabilité », a lancé le premier ministre.
D’aucuns estiment qu’il s’agit là d’une menace de démission. Si Sallam démissionnait, un gouvernement de transition serait mis en place, mais ce départ provoquerait une crise constitutionnelle. Suivant la Constitution libanaise, c’est le chef de l’Etat qui désigne le chef du gouvernement. Or, la présidence est vacante depuis que le mandat de Michel Souleiman est arrivé à terme il y a plus d’un an : 28 fois, le Parlement s’est réuni et n’a pas réussi à élire un président en raison des profondes divergences politiques. Ainsi, le parlement élu en 2009 a prorogé son propre mandat et reporté les élections législatives à 2017 en raison de l’instabilité ambiante. Et le cabinet dirigé par Tammam Sallam est pris dans des rivalités politiques et communautaires exacerbées par les différentes crises au Proche-Orient, et notamment par la guerre civile en Syrie. En effet, la crise syrienne a exacerbé la polarisation de la scène politique libanaise entre les partis du « 8 mars », favorables au régime syrien, et ceux du « 14 mars », opposés à ce régime.
Cette crise chez la Syrie voisine, toujours très influente au Liban, a provoqué une paralysie politique au pays du Cèdre. Le cabinet de Tammam Sallam a été formé le 15 février 2014, après plus de dix mois de blocage politique consécutif à la chute du gouvernement de Najib Mikati en mars 2013, et à l’issue de longues négociations entre les différents partis libanais. L’option d’un gouvernement d’entente a prévalu, avec une répartition des 24 portefeuilles en trois tiers : 8 ministres du 14 mars, 8 ministres du 8 mars et 8 ministres « centristes » désignés par le président de la République. Ce gouvernement, qui ne devait théoriquement rester en place que jusqu’au 25 mai 2014, a vu son existence prolongée, faute d’élection d’un nouveau président. S’ajoute au blocage du scrutin présidentiel le report, à plusieurs reprises depuis 2013, des élections législatives, alors que celles-ci devaient avoir lieu le 20 juin 2013, le parlement avait en premier lieu décidé de proroger son mandat jusqu’en novembre 2014. Puis, face au risque de vide institutionnel lié au renouvellement de l’Assemblée, en l’absence du président, le mandat du parlement a été de nouveau prorogé jusqu’en mai 2017.
On se retrouve donc face à une situation politique inédite : un Etat sans président, un gouvernement et un parlement dont l’existence s’est trouvée obligatoirement prolongée à cause d’une crise politique à laquelle est venue se greffer une crise socio-économique. Un cocktail explosif dans un pays où une simple étincelle peut se transformer en embrasement général.
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