
Les manifestations contre le gouvernement se sont multipliées dans différentes villes iraqiennes au courant des dernières semaines.
Photo: AP
Les iraqiens ont gagné un point. Mais pas la bataille. Après une série de manifestations anti-gouvernementales, le premier ministre, Haidar Al-Abadi, a cédé à la pression sociale et politique en proposant une série de réformes que son gouvernement a approuvée dimanche dernier. Il s’agit, selon un communiqué officiel, d’un « premier plan de réformes présenté par le premier ministre ».
La plus importante et drastique mesure prise par M. Abadi est politique. Il s’agit de la suppression « immédiate » des postes des trois vice-premiers ministres et trois vice-présidents, dont Nouri Al-Maliki, prédécesseur de M. Abadi et son principal rival. M. Maliki, dont les 8 années au pouvoir ont été entachées d’accusations de corruption, d’autoritarisme et d’aliénation de la minorité sunnite, a toutefois apporté son soutien « à ces réformes qui sont nécessaires ».
Le plan de réformes prévoit également l’abolition « des quotas confessionnels » et propose que les responsables soient choisis selon leurs compétences et non leur appartenance confessionnelle ou ethnique. M. Abadi souhaite ainsi que les candidats aux postes à haute responsabilité soient désormais sélectionnés selon « leurs compétences, honnêteté et expérience » par un comité désigné par le premier ministre. Jusque-là, en Iraq, où la communauté chiite est majoritaire, le chef de l’Etat est un Kurde, le premier ministre chiite et le chef du parlement sunnite, en vertu d’un accord tacite. Une telle mesure, si elle est appliquée correctement, pourrait apaiser les tensions, alors que le pays reste miné par les dissensions confessionnelles entre musulmans chiites et sunnites.
Or, elle suscite déjà la controverse. Rien ne garantit en effet que ledit comité, qui sera choisi par le premier ministre lui-même, ne soit intègre, d’autant plus que le niveau de corruption en Iraq est très élevé, et que le confessionalisme, ancré dans les mentalités, nécessite des efforts énormes pour être combattu. Car l’histoire moderne de l’Iraq a toujours été marquée par les dissensions confessionnelles. Pendant le règne du sunnite Saddam Hussein, chiites et Kurdes ont été opprimés. Mais à l’époque, la dictature empêchait toute révolte de ces communautés. Après la chute de ce dernier, les chiites ont pris leur revanche et sont devenus maîtres du pays. Neuf ans après la mort du dictateur, c’est la communauté sunnite qui s’estime aujourd’hui marginalisée, et ces rancoeurs ont été mises à profit par le groupe djihadiste sunnite Etat Islamique (EI) qui a pris de vastes régions du pays en juin 2014.
Lutte contre la corruption
Le plan de réformes propose également la « réduction immédiate et globale » du nombre de gardes du corps, dans un pays où des officiels ont de véritables escouades de protection et d’autres en embauchent moins que permis pour empocher la différence de salaire. La suppression des « provisions spéciales » allouées aux hauts responsables, en poste ou à la retraite, est aussi prévue. En effet, les salaires élevés, les voitures de fonction et les très généreuses retraites des hauts fonctionnaires ont été conspués dans les manifestations, alors que les finances du pays sont sévèrement touchées par la chute des prix du pétrole et les dépenses militaires. Des mesures pour renforcer les pouvoirs des autorités anticorruption et d’autres visant à réduire le train de vie de l’Etat et améliorer la qualité des services publics sont également incluses dans le plan de réformes, en vertu duquel plusieurs dossiers de corruption, anciens ou récents, seront en outre rouverts sous la supervision d’une commission. Le bureau du procureur général a d’ailleurs annoncé dimanche que la Cour anticorruption avait reçu l’ordre d’ouvrir une enquête sur les allégations contre le vice-premier ministre en charge de l’Energie, Bahaa Al-Araji, très impopulaire et dont le poste doit être éliminé par les réformes. En effet, l’une des principales plaintes des Iraqiens, qui organisent depuis plusieurs semaines des manifestations à Bagdad et dans d’autres villes, concerne la mauvaise qualité des services publics, et particulièrement les coupures d’électricité, qui laissent les Iraqiens sans courant plusieurs heures par jour par des températures dépassant les 50° Celsius.
Enchevêtrement de crises
Ainsi, en toile de fond de cette grogne sociale resurgissent les vieux démons iraqiens et les crises politiques à répétition.
A la pénurie d’électricité due au piteux état des infrastructures électriques sont liées les défaillances sécuritaires du gouvernement iraqien : ces infrastructures sont en effet régulièrement visées par des groupes insurgés, notamment l’EI qui occupe toujours une large part du territoire iraqien et que Bagdad ne parvient pas à déloger. De même, l’incompétence du gouvernement trouve son origine dans la corruption qui gangrène le pays et qui, elle-même, est intrinsèquement liée au système de partage du pouvoir en place et au sectarisme incité par le gouvernement lui-même.
Reste à savoir comment ce gouvernement sera à même de traduire ces réformes par des actes concrets sur le terrain. Il faudra d’abord attendre que les réformes annoncées soient approuvées par le parlement, où la bataille risque d’être dure. Il faudra ensuite tester la réelle volonté du gouvernement de les appliquer alors que, comme l’estime Zaid Al-Ali, constitutionnaliste et auteur de « La lutte pour le futur de l’Iraq », cité par l’AFP, le système en Iraq est « corrompu jusqu’à la moelle, la Constitution décrépite, le cadre législatif est inadapté, et la classe politique totalement corrompue et incompétente ».
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