Les sujets-clés et les questions épineuses ont été évités pour favoriser la réconciliation inter-chrétienne.
(Photos : Reuters)
C’est la première fois, depuis la fin de la guerre civile libanaise (1975-1990), que les principaux dirigeants chrétiens libanais se réunissent pour entamer un dégel de leurs relations, extrêmement tendues depuis plusieurs décennies. La rencontre, la première depuis dix ans, a eu lieu la semaine dernière entre le leader des Forces Libanaises (FL), Samir Geagea, et le chef du Courant Patriotique Libre (CPL), allié au Hezbollah, Michel Aoun. Une poignée de mains historique entre les deux hommes que tout ou presque oppose. Un pas, peut-être, vers une réconciliation des chrétiens au Liban, voire vers une réconciliation inter-libanaise tout court. Cynique, Geagea a déclaré au sortir de son entretien avec le général Aoun : «
Si seulement cette réunion avait pu avoir lieu 30 ans plus tôt … ». C’est dire la profondeur des divisions. Les deux hommes ont tout de même pu aborder les questions qui fâchent, — et c’est une avancée en soi, notamment le blocage de l’élection d’un président, alors que 24 sessions du parlement n’ont pas émergé de consensus, après plus d’un an de vacance du pouvoir.
Les sujets-clés et les questions épineuses ont été évités pour favoriser la réconciliation inter-chrétienne.
(Photos Reuters)
A la suite de la rencontre, le député du CPL, Ibrahim Kanaan et le responsable du département des médias au sein des FL, Melhem Riachi, ont rendu publique une déclaration d’intention sur laquelle se sont accordés les deux formations. Un texte qui, en 16 points, comporte les principes généraux sur la base desquels les deux partis doivent fonder leur dialogue. Pour les deux formations, l’essentiel porte sur la nécessité d’adopter une nouvelle loi électorale assurant la juste représentativité des différentes composantes du peuple libanais et d’améliorer la « représentativité des forces politiques au sein des institutions », une représentativité qu’ils estiment basée sur une « mauvaise application de l’accord de Taëf », qui a mis fin à la guerre civile.
Plusieurs dossiers épineux
Or, il s’agit là d’un sujet hautement sensible qui risque de fâcher les musulmans. En évoquant la question de la « représentativité », les deux hommes ont clairement fait part de leur volonté de renforcer la présence chrétienne au sein de l’appareil de l’Etat et au parlement. Aucune réaction officielle de la part des musulmans n’a été faite, mais pour les rassurer, le CPL a clairement dit que ce rapprochement ne signifiait en aucun cas une rupture des relations de chacun d’eux avec leurs alliés musulmans respectifs. « Au contraire, chacun mettra à profit ses relations avec ses alliés pour insuffler un vent nouveau et encourager un rapprochement entre tous les Libanais », a déclaré Kanaan.
Désormais, ces retrouvailles marquent l’ouverture d’une page qu’ils veulent nouvelle dans les rapports chrétiens-chrétiens. Selon Samir Geagea, l’objectif de cette visite est « de permettre le rapprochement entre les deux plus grandes forces politiques chrétiennes sur la scène libanaise », avec comme but ultime, que cela ait « un impact positif sur la situation au Liban ». Mais, en insistant sur la nécessité de « trouver un moyen pour sortir de la situation actuelle », M. Geagea a annoncé que ces retrouvailles constituaient « le début et non pas la fin du dialogue, après des préparatifs de plusieurs mois ». « Ceci n’est pas un couronnement, mais un début. Nous jetons les bases d’une nouvelle relation et nous espérons qu’elle sera positive. C’est maintenant que le travail, au vrai sens du terme, commence. Nous ferons tout pour que cet effort n’échoue pas. Si jamais, au cours du dialogue, nous butons sur des sujets conflictuels, nous les laisserons provisoirement de côté pour plancher sur d’autres dossiers. Il n’a pas été facile d’aboutir à cette déclaration d’intentions qui reflète en définitive l’état d’esprit des deux formations », a-t-il martelé. Michel Aoun, de son côté, a été plus discret, se contentant de dire aux journalistes : « Vous verrez au fur et à mesure les résultats. Nous nous sommes entendus sur certaines choses. La déclaration d’intentions est connue, mais les autres points vous en prendrez connaissance en temps voulu ».
La prochaine phase du dialogue devrait désormais porter sur une concrétisation des principes énoncés dans la déclaration d’intentions pour élargir la réconciliation interchrétienne et y inclure les autres formations. Mais, en attendant, les questions de désaccords et les obstacles restent nombreux. A commencer par la question la plus cruciale aujourd’hui au Liban, à savoir l’élection d’un président. Car il ne faut pas oublier que c’est le CPL de Michel Aoun qui bloque, avec le Hezbollah, cette élection.
D’autres dossiers-clés et sujets à de sérieuses oppositions ont également été évités, comme les nominations des chefs sécuritaires, la crise ministérielle ou encore l’éternelle question du Hezbollah, de ses armes et de son implication en Syrie. C’est dire que le plus dur reste à faire. D’autant plus que d’aucuns ont critiqué une démarche qui entre dans un cadre exclusivement chrétien au lieu de s’inscrire dans un espace national.
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