L'EI a pu réalisé, toute la semaine dernière, des gains sur les territoires iraqiens et syriens.
(Photo : AP)
Etablir un califat, qui s’étend sur les territoires saisis en Iraq et en Syrie : Le rêve que Daech (groupe de l’Etat Islamique, EI) a proclamé en juin 2014 risque-t-il de devenir une réalité ? S’il est trop tôt pour y répondre, il est clair que Daech poursuit ses objectifs. Depuis quelques semaines, le groupe se targue d’importantes victoires : la prise de Ramadi, chef-lieu d’Al-Anbar en Iraq, la semaine dernière, et quelques jours après celle de Palmyre, historique cité syrienne inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Après deux des plus importantes victoires des djihadistes depuis un an, l’EI a pu contrôler les frontières. Dimanche dernier, Daech a pris le contrôle total d’un poste-frontière entre la Syrie et l’Iraq, où les forces gouvernementales appuyées par des milices chiites tentent de lancer une contre-offensive après la capture de la ville-clé de Ramadi par les djihadistes.
En capturant le poste-frontière d’Al-Walid quelque 72 heures après la prise de son pendant syrien, Al-Tanaf, l’EI s’assure le contrôle de deux routes principales reliant l’immense province iraqienne d’Al-Anbar à la Syrie. Cette progression militaire survient avec la revendication de Daech, vendredi dernier, de l’attentat visant une mosquée chiite en Arabie saoudite. Une explosion qui a fait au moins 21 morts et 81 blessés (voir sous-encadré).
Ces progressions soulèvent un certain nombre de questions, d’abord sur les facteurs qui ont permis à ce groupe ultra-radical sunnite de réaliser toutes ces victoires et ainsi d’approcher de ses buts, et surtout sur l’incapacité de la coalition internationale à stopper Daech, malgré les frappes qu’elle mène depuis plusieurs mois.
Ali Bakr, spécialiste des mouvements radicaux islamistes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, explique que Daech tire sa force de la faiblesse des pouvoirs dans les pays où elle s’est implantée et de l’enchevêtrement des conflits régionaux. « En Iraq, par exemple, où Daech est le plus implanté, ce sont tout simplement les politiques anti-sunnites qui ont facilité son expansion. Et aujourd’hui encore, les sunnites iraqiens sont davantage effrayés par les milices chiites qui combattent aux côtés de l’armée iraqienne que par Daech », explique Bakr.
Selon l’analyste, « le plus gros risque réside d’un côté dans la faiblesse de l’armée iraqienne, qui s’est retirée de plusieurs localités sans combattre, et de l’autre, dans le fait que ses membres ont plus une appartenance confessionnelle que patriotique ». Pour preuve, le vice-premier ministre iraqien, Saleh Moutlak, a dénoncé vendredi dernier le retrait « honteux » de l’armée iraqienne de la ville de Ramadi tombée aux mains du groupe (EI). « On ne peut pas imaginer que des forces entraînées pendant plus de dix ans se retirent de cette manière honteuse », a déclaré Moutlak depuis la Jordanie, en marge du Forum économique mondial.
Autre facteur important de l’expansion de l’EI : le contrôle de régions pétrolières. Avec la région de Palmyre, Daech contrôle la quasi-totalité des champs pétroliers syriens. Selon Yves Yzard, cité par le site France Info, « déjà les camions-citernes passent la frontière turque et jordanienne. Des milliers de barils bruts par jour. Il y a donc l’argent du pétrole entre 500 000 et un million d’euros de chiffre d’affaires par jour, celui des pillages des sites archéologiques, le butin des banques locales et très inquiétant, le contrôle des administrations qui permet à Daech de lever l’impôt, et de payer désormais ses troupes dans les territoires que l’organisation gouverne. Selon la CIA, Daech dispose d’entre 20 000 et 30 000 combattants, en augmentation, avec des milliers de combattants étrangers, occidentaux, mais surtout arabes et des recrutements dans les villes prises. L’Observatoire syrien avançait 50 000 au mois d’août ».
Absence d’une vraie stratégie
En outre, cette progression rapide a levé des critiques sur le rôle inefficace de la coalition internationale et sur la stratégie suivie par les Etats-Unis à la tête de la coalition qui a mené plus de 3 000 raids en Iraq et en Syrie depuis août 2014, dont des dizaines ces derniers jours, sans empêcher l’EI d’avancer. Selon Bakr, les frappes aériennes ne pourront jamais trancher l’affaire d’autant plus que Daech domine des villes peuplées. L’affrontement au sol serait donc le plus efficace.
Un refus qui, selon les analystes, suscite des interrogations. Alaa Ezzeddine, expert militaire et ex-président du Centre politique et stratégique de l’armée égyptienne, pense que les Etats-Unis n’ont pas vraiment la volonté de stopper ce groupe. « En 38 jours de frappes aériennes intensives, les Etats-Unis ont pu vaincre l’Iraq de Saddam et son armée, qui était loin d’être faible. En même temps, le président Obama a demandé un délai de trois ans du Congrès pour combattre Daech », affirme l’expert militaire lors d’un programme à la chaîne satellite Al-Qahera Wal Nas. Après la chute de Ramadi, les Etats-Unis ont reconnu qu’ils réexaminaient leur stratégie en Iraq, annonçant qu’ils envisageaient de former et d’équiper des tribus sunnites. « Les frappes aériennes de la coalition sont très limitées et ciblent des buts non stratégiques », conclut Ezzeddine qui estime que former une force militaire arabe est le seul moyen aux mains des pays arabes pour lutter contre Daech.
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