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Quand l’Etat islamique profite aux Kurdes

Abir Taleb avec agences, Mardi, 12 mai 2015

Malgré l'alliance entre Erbil et Bagdad qui font front uni contre l'EI, les tensions entre le Kurdistan et le gouvernement central en Iraq restent profondes.

Quand l’Etat islamique profite aux Kurdes
Les peshmergas sont une pièce maîtresse dans la guerre anti-Etat islamique. (Photo:Reuters)

La montée en puissance de l’Etat Islamique (EI) en Iraq depuis près d’un an soulève un certain nombre de questions qui vont au-delà de la guerre contre ce groupe à proprement dit. En effet, à la fois cause et conséquence des divisions confessionnelles en Iraq, l’ascension de l’EI a davantage exacerbé ce problème endémique que vit l’Iraq depuis la chute de Saddam Hussein. Et la guerre contre l’EI a mis Bagdad face à des choix difficiles. En intégrant les peshmergas (combattants kurdes) et les milices chiites à cette guerre, Bagdad jette les graines de futures divisions à haut risque. On l’a déjà vu lors de la bataille qui a permis la reprise de Tikrit, avec l’appui militaire direct de l’Iran aux milices chiites armées et la mise en retrait de ces milices, accusées d’exactions dans les zones sunnites qu’elles ont libérées aux côtés de l’armée iraqienne.

On le voit une fois de plus avec les désaccords qui opposent actuellement le Kurdistan autonome iraqien à Bagdad. L’un des points de discorde concerne l’armement des peshmergas. En visite à Washington, le président de la région autonome du Kurdistan iraqien, Massoud Barzani, a réclamé vendredi que ses forces qui luttent contre l’Etat islamique soient directement armées par les Etats-Unis au lieu de passer par le gouvernement fédéral de Bagdad. Massoud Barzani a affirmé que le gouvernement de Bagdad, avec lequel le Kurdistan s’affronte sur des questions territoriales, n’honorait pas un accord passé en 2007 entre les états-majors américain, iraqien et kurde qui prévoyait que Bagdad livre aux peshmergas les armes fournies par les Etats-Unis. « Au final, les peshmergas n’ont jamais reçu la moindre balle ou la moindre arme de Bagdad », a dit M. Barzani à des journalistes à la fin d’un séjour d’une semaine dans la capitale américaine.

Le dirigeant kurde a pris soin de ne critiquer ni le président Barack Obama, ni son vice-président Joe Biden, avec lesquels il s’est entretenu, mais il a chaleureusement remercié ses « amis du Congrès » à l’origine d’un projet de loi qui obligerait Washington à livrer directement des armes aux Kurdes. « Nous n’avons pas changé de position, nous insistons pour que les armes soient livrées aux peshmergas », a-t-il expliqué.

Au-delà de la question des armes, les dissensions sont réelles entre Bagdad et Erbil. Conscients qu’ils sont une pièce maîtresse dans la guerre anti-EI, les Kurdes tentent d’en tirer le maximum de profit. Le destin de Mossoul, conquise par l’Etat islamique en juin 2014, fait en effet l’objet de nouvelles tractations entre le gouvernement central et le Kurdistan. D’abord annoncée par le commandement militaire américain pour le printemps 2015, l’opération devant aboutir à sa reconquête a été repoussée sine die. Début avril, la question était au menu de la première visite officielle du premier ministre iraqien, Haïder Al-Abadi, et d’une délégation militaire à Erbil, capitale du Kurdistan autonome, dont les peshmergas tiennent, avec le soutien de la coalition, une ligne de front stabilisée à quelques dizaines de kilomètres au nord et à l’est de Mossoul. Depuis cette visite, les deux parties se félicitent publiquement de leur convergence de vue. Mais les contours de leur coopération pour reconquérir Mossoul restent vagues. Et l’appel de M. Barzani à être directement armé par les Etats-Unis et non par Bagdad en dit long sur le rôle que veulent jouer les Kurdes, qui, à long terme, aspirent à créer un Etat indépendant.

Une question de priorités
Dans l’immédiat, la lutte contre l’EI reste la priorité de M. Barzani, mais il a dit vouloir organiser un référendum d’indépendance « peut-être cette année ou l’année prochaine ». « Notre quotidien c’est le combat contre les terroristes, et donc d’un point de vue pratique, nous ne pouvons pas organiser ce référendum dès maintenant. Notre priorité est de faire échec à l’EI, mais cela ne veut pas dire que nous attendrons éternellement », a-t-il encore indiqué depuis Washington.

Pour l’heure, Washington se dit contre une telle initiative, soutenant un « Iraq uni, fédéral et démocratique ». Mais les positions peuvent changer. Avec 10 % de la production pétrolière iraqienne et peut-être un quart des réserves nationales, la région kurde étant l’une des parties du pays les plus lucratives pour les investisseurs occidentaux.

Et c’est justement la carte du pétrole que le Kurdistan iraqien entend jouer. Si pour le moment, le bras de fer avec Bagdad sur l’exportation du brut semble temporairement résolu pour faire front face à l’EI, qui s’est emparé d’une partie des puits, la question va certainement resurgir une fois la guerre contre l’EI terminée. Reste à savoir si l’or noir aidera le Kurdistan à obtenir l’indépendance tant attendue .

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