Deux termes viennent à l’esprit lorsqu’on évoque le Liban : singularités et contradictions. Car le pays du Cèdre ne ressemble à nul autre. Petit pays multiconfessionnel confiné entre la Syrie et Israël, le Liban est un pays unique. Avec cette spécificité : une instabilité chronique qui est devenue la règle. Il suffit de savoir en effet que le pays est sans président depuis mai 2014, date de la fin du mandat de l’ancien président Michel Sleiman, et qu’une 21e séance parlementaire consacrée à l’élection d’un nouveau président de la République libanaise, prévue le 2 avril, n’a pu se tenir, le quorum des deux-tiers (86 députés sur 128) n’ayant pas été atteint.
Vingt-cinq ans après la fin du conflit suicidaire qui l’a rongé (1975-1990), ce petit pays aux identités multiples se retrouve à nouveau plongé dans la tourmente. Au Liban, la guerre civile n’est jamais ni trop loin, ni trop proche.
En effet, avec les tensions au nord du pays, le Liban a été à plusieurs reprises à deux doigts d’un embrasement général. On l’a vu ces derniers mois avec les affrontement qui ont embrasé le nord du Liban, notamment la ville d’Ersal, et qui ont opposé les combattants de l’Etat islamique, du Front Al-Nosra et d’autres groupes, d’une part, et l’armée libanaise, d’autre part. Sans oublier un autre phénomène alarmant : la crise humanitaire sans précédent, liée à l’afflux massif de réfugiés syriens. Ils sont aujourd’hui environ 1,5 million, soit un tiers de la population libanaise, entassés dans des camps de fortune ou dans des abris, principalement dans la région de la Beqaa, à l’Est. Des villes comme Ersal, à la frontière libano-syrienne, ont vu leur population tripler en l’espace de trois ans. Les capacités d’accueil des municipalités sont saturées. Et les tensions entre Libanais et réfugiés s’intensifient. Un chaos aggravé par la montée de l’islam radical dans la région et la défaillance de l’Etat libanais.
A cela s’ajoute la crise au Yémen, qui est venue rallonger la longue liste des sujets qui divisent profondément les Libanais. En effet, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’est clairement déclaré aux côtés de l’insurrection des Houthis. Pire encore, lors d’une intervention télévisée vendredi 27 mars, le leader chiite a violemment critiqué l’Arabie saoudite, fustigeant la dynastie des Saoud, qu’il a accusée de faire le jeu des Etats-Unis et d’Israël. Ce qui lui a valu une virulente réponse de l’ancien premier ministre, le sunnite Saad Hariri, qui a apporté un appui inconditionnel à l’opération militaire lancée par le Royaume wahhabite contre le Yémen. Mais aussi du chef des Forces libanaises (FL), Samir Geagea, qui a exprimé son soutien à l’intervention militaire au Yémen dirigée par l’Arabie saoudite. Sans surprise donc, les divergences de vue qui apparaissent sur le Yémen, suivent les lignes de fracture qui existent entre le Hezbollah, ses alliés, et le 14 mars.
Un pays tributaire de la région
Une fois de plus, on se retrouve face à deux camps opposés au Liban. Il y avait les pro-Syriens et les anti-Syriens. Aujourd’hui, il y a les pro-Arabie saoudite et les pro-Iran. Un pas hautement dangereux. Ainsi, la guerre civile en Syrie avait, déjà, alimenté les polémiques et les clivages entre les différentes parties au Liban. La crise au Yémen est venue s’y ajouter. Avec toujours la controverse autour du Hezbollah, dont le désarmement est réclamé par les autres factions libanaises depuis la fin de la guerre civile. Or, depuis le déclenchement du conflit syrien, le Hezbollah a un rôle de plus en plus accru, notamment après avoir décidé en 2013 de participer directement au conflit.
Les Libanais sont très divisés sur la question et cette division suit une fracture communautaire. Les chiites continuent de faire bloc derrière le parti de Hassan Nasrallah. Une bonne partie des chrétiens est dans la même logique, et affirme que le Hezbollah est la première ligne de défense face à la menace du groupe Etat islamique et du Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaëda. Les sunnites, qui appuient en majorité la rébellion syrienne, sont en revanche très remontés contre le soutien apporté par le Hezbollah au régime syrien. Ils accusent le parti chiite d’avoir pris cette décision unilatéralement et d’avoir, par conséquent, impliqué le Liban dans le conflit syrien.
Aujourd’hui, le Hezbollah va plus loin en se positionnant ouvertement aux côtés de l’Iran et en créant une fracture plus profonde qui ne mécontente pas uniquement une partie des Libanais, mais aussi des alliés régionaux du Liban.
Ce positionnement dans des camps régionaux adverses dans un contexte dangereusement explosif se traduit au Liban par une crispation sans précédent. Il est notamment à l’origine de l’incapacité du Parlement à élire un président. Pourtant, cela n’empêche pas les représentants de tous les partis et communautés de siéger au sein du même gouvernement, au nom de la stabilité du Liban. La conjoncture régionale et les blocages internes auraient dû suffire pour que le pays plonge dans le chaos. Mais il n’en est rien. Les Libanais ont en effet su mettre en place des mécanismes qui leur permettent de gérer leurs différends de manière à préserver cet état unique de « stable instabilité ».
Aux origines de la guerre civile
C’est à la suite d’un incident entre les Phalanges et des Palestiniens dans la banlieue de Beyrouth, le 13 avril 1975, qu’est déclenchée la guerre civile au Liban. Un des gardes du corps du phalangiste, Pierre Gemayel, est assassiné. En réponse, les milices phalangistes provoquent l’incident d’Aïn-Remmaneh : 27 palestiniens sont massacrés dans un bus. Cet événement marque le début d’un conflit qui durera 15 ans et dont les plaies ne sont pas pansées.
C’est la raison immédiate. Les raisons profondes, elles, sont bien plus compliquées. Car le pays du Cèdre a toujours été, (et l’est encore), dépendant de la conjoncture régionale. Tout commence, en fait, en 1969, suite aux « Accords du Caire » qui officialisent la présence palestinienne dans les camps du Sud-Liban. Mais plusieurs paramètres expliquent la montée des tensions qui précèdent le conflit : les relations avec la Syrie, le problème palestinien et les difficultés politiques internes. Pour ce qui est du rôle de la Syrie, dès la création du Liban par la France en 1920, des voix nationalistes syriennes, mais aussi libanaises, réclamaient le rattachement du Liban à la Syrie. Depuis, Damas n’a jamais cessé de tenter de contrôler le Liban en exerçant diverses pressions qui tendent les relations entre les deux Etats. Il y eut ensuite le problème israélo-palestinien. Mais la question dépasse de loin le casse-tête né de l’afflux de réfugiés palestiniens, qui suit chaque guerre israélo-arabe. En effet, les camps de réfugiés servent également de base d’entraînement militaire. Des opérations sont ainsi lancées, à partir du Liban, contre Israël, qui attaque le territoire libanais en représailles. Beyrouth se trouve ainsi touchée dans sa souveraineté par les actions des Palestiniens et des Israéliens. Cette question exacerbe à son tour les tensions et les divisions internes entre ceux qui soutiennent les Palestiniens et ceux qui défendent la nation libanaise. Des tensions qui ne tardent pas à être marquées par le confessionnalisme.
S’ensuivit une longue guerre meurtrière. Deux factions se font face dans des affrontements violents qui touchent tout le pays : les chrétiens d’un côté et les défenseurs de l’arabisme et des Palestiniens de l’autre. A Beyrouth, dont le centre est détruit à l’automne 1975, une ligne de démarcation sépare l’est chrétien de l’ouest musulman. C’est dans ce contexte que l’armée syrienne entre au Liban. Et que commence une nouvelle ère de domination syrienne du pays du Cèdre. Entre-temps, il y eut aussi l’invasion israélienne du Sud-Liban en 1978, suivie d’une autre intervention en 1982. Aujourd’hui, même après le retrait de ces deux pays, (retrait israélien en 2000 et retrait syrien en 2005), le pays reste fortement tributaire de ses voisins .
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