Au moment où l’on entend les tambours de guerre de toute part, dans ce malheureux Moyen-Orient désorienté, une femme syrienne, institutrice de profession, va recevoir le 2 mars prochain le prix
Homo Humini pour les droits de l’homme.
Le prix sera attribué lors de l’ouverture du One World International Human Rights Documentary Film Festival qui se tiendra à Prague. « Soad Nawfal est tout ce qu’il y a de plus simple. Elle n’a pas obtenu le prix pour son CV qui n’a rien d’exceptionnel, mais pour son exceptionnelle audace face à l’organisation de l’Etat islamique, Daech, munie d’une pancarte en carton où elle a inscrit ses positions contre l’organisation. Elle parcourait les rues de sa ville, Raqqa en Syrie, avant de se poster devant le siège de Daech. Avant, elle avait brandi des pancartes contre le régime en place », lit-on dans un article publié par le site d’informations en ligne Al-Modon.
Au milieu du désastre, du sang, des destructions et du feu des armes, cette femme au corps menu, qui n’a rien de la super héroïne, a tenu tête à ces gens. Elle fait partie des millions de femmes de ce monde arabe, attelées à élever leurs enfants pour lesquels elles rêvent d’un monde plus juste et moins cruel.
« Soad a dépassé son propre Etat et a combattu officieusement et ouvertement l’image de la femme. Elle est sortie manifester au vu et au su de tous, cassant ainsi l’image galvaudée de la femme voilée dans un climat désertique. Elle est sortie au monde telle qu’elle est et a réclamé son droit en tant que citoyenne syrienne et a tenu tête aux concepts misogynes de Daech. Puis, elle a fait une grève de la faim pour demander la libération de détenus et a fait des sit-in pour protester contre les rapts que mène Daech contre les activistes. Et enfin, elle est revenue à la charge lorsque l’organisation a démoli une partie des églises de Raqqa. Tout cela paraît étonnant de la part d’une femme qui n’a eu aucune reconnaissance, ni pour elle ni pour son combat, avant de quitter Raqqa définitivement », poursuit Al-Modon.
Et c’est là où réside le drame de cet Orient désorienté qui, à force de vouloir réprimer la sève de la vie que sont les femmes, a donné libre cours à la pulsion de la mort. Cette dernière a fini par accoucher de ce Daech qui, au-delà des analyses géopolitiques des forces locales et étrangères en présence et des explications des érudits politiques, n’est autre qu’une émanation mortuaire. « Les médias n’ont pas jeté la lumière sur le combat civique de cette mère de famille, institutrice dans une école primaire qui manifestait seule, portant le pantalon banni par Daech », poursuit le site.
Elle a commencé son combat en 2013, lorsque l’organisation a arrêté son mari. Toujours sur Al-Modon, « elle a d’abord combattu les traditions et le refus de sa famille de la voir manifester, puis elle a combattu le patriarcat des révolutionnaires et des djihadistes ». Car les femmes dans cet Orient désorienté sont la cible de tous, à commencer par la pensée patriarcale et à finir par Daech.
Le site d’informations de l’agence des informations de la femme, Wakalet Akhbar Al-Maraa, fait état d’un rapport du Centre international des droits civils : « Selon ce rapport, 14 000 femmes iraqiennes ont été tuées en douze ans suite à des violences basées sur le genre. Le rapport indique que les femmes en Iraq ont été la première cible des groupes terroristes et des milices dans une société dominée par les hommes et les divisions confessionnelles. Et avec la montée de Daech, la violence s’est accrue contre les femmes, surtout les lettrées et celles qui occupent des postes politiques. Trois avocates ont été exécutées depuis le début de l’année ».
Les mêmes questions !
Dans Al-Masry Al-Youm, le journaliste et écrivain Helmi Al-Nemnem ouvre le dossier des femmes juges en Egypte suite à une annonce nécrologique qui fait état du décès d’une femme juge égyptienne. « Je ne savais pas que nous avions des femmes juges. J’ai longtemps réclamé qu’on accorde aux femmes le droit d’accéder à la magistrature. Et on m’avait expliqué à l’époque que rien dans la loi n’empêche la femme d’y accéder, le seul obstacle est que ces postes sont réservés aux fils des cadres supérieurs de l’Etat … », écrit Al-Nemnem.
Même dans un pays arabe qui a fait des avancées en matière de droits des femmes comme la Tunisie, la tentation est forte de revenir en arrière. Dans le journal libanais Al-Safir Al-Arabi, l’auteur Hassan Aoudat écrit : « Des inconnus ont détruit la statue de Taher Al-Haddad dans son village dans le sud de la Tunisie. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Taher Al-Haddad est un érudit tunisien qui a publié en 1930 un livre intitulé Notre femme dans la charia et la vie appelant à reconsidérer les droits de la femme. Il a été vivement critiqué par les oulémas et certains l’ont même déclaré apostat, d’autant plus qu’il a demandé à recourir au droit et non à la charia dans les droits relatifs au statut personnel. Il a été honni par tous et, lorsqu’il est mort en 1935, presque personne n’est allé à ses funérailles ». 80 ans après, on en est au même point : il est encore honnis et sa statue est saccagée.
Un autre article publié par le site Qol dédié aux éditoriaux revient sur un roman publié en 1958 sous le titre « Je vis ». L’auteur, Leïla Baalabeki, qui y a dressé le portrait d’une jeune femme qui se rebelle petit à petit de tous les tabous dont celui du corps, « a été accusée d’atteinte à la pudeur, alors que dans tout le roman, le mot sexe n’est jamais mentionné. Et elle a été condamnée en 1964 pour un recueil de nouvelles intitulé Le Vaisseau de Hanan à destination de la lune ».
L’auteur de l’article conclut : « Aujourd’hui, et 57 ans après, nous sommes encore face à la même réalité, nous posons les mêmes questions ». Nous avons tellement tourné en rond, à en avoir la nausée dont Daech n’est que l’effluve.
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