Le 25 janvier, une révolution qui cherche toujours son chemin.
« Pain, liberté, justice sociale et dignité humaine ». Telles étaient les revendications d’une révolution qui peine, après quatre ans, à trouver sa place dans les conflits politiques et le terrorisme qui frappent le pays. Le 11 février 2011, jour qui a vu la chute de l’ancien président Hosni Moubarak après trois décennies de règne sans partage, reste une date incontournable dans l’histoire de l’Egypte. Aujourd’hui, certains se demandent ce qui reste de ces revendications et quel avenir se dessine pour l’Egypte? Après quatre ans de tumulte et de conflits politiques, certains déplorent un retour à la case départ d’une révolution qui n’a pas encore réalisé ses objectifs, alors que d’autres sont satisfaits des progrès politiques qui ont permis de réaliser une partie des revendications de la révolution.
Le pays se prépare aux élections législatives, dernière échéance de la feuille de route de l’après-révolution du 30 juin 2013, qui a chassé le président islamiste, Mohamad Morsi, du pouvoir. Les forces révolutionnaires restent indécises quant à leur participation à cette échéance électorale et les Frères menacent de manifester (voir enc.). Parallèlement, les symboles de l’ancien régime font leur réapparition sur la scène politique, surtout après l’acquittement de Moubarak. Pour autant, les jeunes, fer de lance de cette révolution, se sentent toujours en dehors de l’équation politique. La feuille de route de l’après-30 juin a débouché sur la rédaction d’une nouvelle Constitution et l’élection du président Abdel-Fattah Al-Sissi. Parallèlement, une vague de terrorisme et de violence continue à frapper le pays, depuis la destitution du président islamiste Morsi. Ces circonstances tendues ont mené le gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles jugées « liberticides » par certains, et expliquent la méfiance de certaines forces révolutionnaires. Aujourd’hui, certains de ceux qui avaient manifesté le 25 janvier se sentent visés par ces mesures. Ils craignent un retour sur les principes de la révolution. « Cette guerre entre l’armée et les islamistes n’est pas la nôtre. La justice transitionnelle, la liberté et la dignité restent, jusqu’à présent, de la rhétorique creuse et aucune mesure n’a été prise pour les concrétiser », s’insurge Amal Charaf, du mouvement du 6 Avril, pour qui après quatre ans de révolution, un retour à la case départ se profile. Colère partagée par Hicham Fouad, du mouvement des Communistes révolutionnaires, qui dénonce une intimidation des activistes : « Les activistes ont perdu le peu de liberté qu’ils avaient acquis. Même le droit de manifester, qu’on a arraché en 2011, on nous le reprend ». Depuis la révolution du 30 juin, les médias n’hésitent pas à accuser ces figures emblématiques du 25 janvier de recevoir un financement étranger. Fin novembre 2013, une loi controversée sur le droit de manifester a été promulguée pour faire face aux manifestations violentes des Frères musulmans. Des activistes, dont Alaa Abdel-Fattah et Ahmad Douma, ont été arrêtés et condamnés pour avoir défier cette loi. Et ceci, alors que la plupart des symboles du régime Moubarak, que la révolution avait chassé du pouvoir, sont acquittés et que certains d’entre eux s’apprêtent à disputer les législatives. Ahmad Kamel Al-Beheiri, porte-parole du Courant populaire, regrette que les partisans du régime Moubarak aient manipulé la révolution du 30 juin, qui avait pour but de rétablir l’identité de l’Egypte. « C’était décevant de voir le 25 janvier stigmatisé et ses auteurs diffamés. La révolution de janvier 2011 a été réduite par les partisans du régime de Moubarak à un complot monté par les Frères musulmans, en collaboration avec le Hamas et le Hezbollah. Une situation en rupture avec les aspirations des forces révolutionnaires », s’insurge Al-Beheiri.
Moins pessimiste, Achraf Al-Chérif, pense que la révolution est plutôt « en suspens » et nécessite de poursuivre le combat politique pour la remettre sur les rails. Il souligne que même si ses principaux acteurs sont marginalisés, la révolution de janvier 2011 a réveillé une certaine conscience politique et ses idéaux restent toujours vivants. « Le grand dilemme de la révolution de janvier est qu’elle a été manipulée et détournée à maintes reprises par ceux qui ne l’ont pas faite. Ceci est l’une des conséquences de l’alliance d’une partie de l’opposition, lors du 30 juin, avec les feloul de Moubarak, qui n’est qu’un autre ennemi de la révolution », explique Al-Chérif. Ressentant l’inquiétude des jeunes, le président Al-Sissi a réaffirmé à plusieurs reprises sa reconnaissance et son respect à la révolution du 25 janvier. Un ministère pour la Justice transitionnelle a été créé pour gérer ce dossier. Par ailleurs, des législations sur les libertés syndicales et la liberté de presse sont en étude et à la demande du président Al-Sissi, le conseil d’indemnisation des familles des victimes a été réactivé.
L’écrivaine gauchiste, Farida Al-Naqqach, appelle les jeunes à patienter. « La révolution du 25 janvier s’est heurté à plusieurs obstacles, mais reste vivante. Les tabous brisés par cette révolution ont ouvert la voie à une évolution politique, que personne ne peut freiner. La nouvelle Constitution est un acquis considérable pour protéger la démocratie du règne absolu d’un président », rassure Al-Naqqach. Selon elle, un retour à l’ancien régime est difficile. « La conscience politique accrue des Egyptiens, les textes de la nouvelle Constitution élargissant la marge de liberté et restreignant les pouvoirs du président de la République et la vivacité des forces politiques et révolutionnaires empêcheront un tel scénario ». Les campagnes de diffamation de la révolution du 25 janvier, les tentatives du retour des feloul ou les lois contestées, comme celle sur la manifestation, ne l’inquiètent donc pas outre mesure. Pour sa part, Réfaat Al-Saïd, ancien président du parti du Rassemblement, estime que l’Egypte a déjà connu plusieurs changements politiques et sociaux qui ont contribué à satisfaire les revendications de la révolution du 25 janvier. « L’ancien régime est tombé, un nouveau président est élu, une nouvelle Constitution, qui favorise les libertés, la justice sociale, les droits ouvriers et minimise les pouvoirs du président de la République, a été votée. Ces acquis contribuent à instaurer le régime politique démocratique, revendiqué par la révolution du 25 janvier confisquée par les Frères musulmans et récupérée par la révolution du 30 juin », conclut Al-Saïd.
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