Dans le journal en ligne Al-Masriyoune de tendance islamiste, les éditorialistes sont unanimes à voir des ennemis partout. Dans un article, l’un d’eux écrit : « Si un autre président
que Morsi, qui appartient à la confrérie des Frères musulmans, avait pris les dernières décisions, la réaction des Egyptiens aurait été différente. Mais c’est la peur des Frères musulmans et de leur gouvernance. Ma conviction est que le président joue sa plus dangereuse bataille … et peut-être la dernière. L’ennemi cette fois-ci n’est ni un Chafiq, ni un Tantawi, ni les partis d’opposition
et les mouvements révolutionnaires, ni les médias, ni l’argent de l’ancien régime, ni le ministère de l’Intérieur qui refuse de revenir sur la scène. L’adversaire cette fois-ci c’est l’appareil judiciaire, voire la Cour constitutionnelle qui devait statuer le 2 décembre sur l’invalidation du Conseil consultatif après avoir invalidé le Parlement. Tout (contre nous) se fait via la loi ». L’auteur avance que le scénario qui était attendu et préparé d’avance est que la Cour constitutionnelle aurait jugé l’avant-dernière déclaration constitutionnelle, inconstitutionnelle, ce qui aurait abouti au retour des militaires au pouvoir. « Là est venue la surprise du président qui a faussé les calculs de ses adversaires. Une lecture neutre des dernières décisions de Morsi concentrées sur six articles montre qu’il n’y a pas de divergences autour des cinq premiers articles. La divergence se concentre sur le sixième article, qui protège les déclarations constitutionnelles et les lois et décisions du président de la République contre tout recours judiciaire ». Il explique que cet article, sous des airs endiablés, a l’essence d’une bénédiction. « Du point de vue de la forme, l’article transforme le président et ses décisions en zone sacrée. Il le transforme, jusqu’à l’adoption d’une Constitution et l’élection d’un Parlement, en pharaon … en dictateur. C’est le poison que nous devons ingurgiter ». Mais la bénédiction de ces décisions,
selon lui, c’est de mettre fin au jeu de la justice, afin d’épargner au pays le fait de rentrer dans des méandres judiciaires qui mèneront l’Egypte via la loi et les avocats à un tunnel. « Qui sait ? Peut-être que l’Egypte a-t-elle vraiment besoin d’un dictateur juste et temporaire pour la faire sortir du trou et la protéger contre une guerre civile !».
Non ! rétorquent les détracteurs. Ce sont les décisions de Morsi qui vont mener à la guerre civile. Ainsi, dans son article publié dans le quotidien Al-Masry Al-Youm, l’analyste politique
et chercheur Amr ElShobaky écrit : « Les décisions de Morsi ont creusé davantage les divisions qui existent au sein de la société égyptienne, surtout qu’elles émanent d’une confrérie qui demeure jusqu’à l’heure hors de tout cadre légal et qui peine à tranquilliser le peuple quant à ses intentions. Les choses vont empirer et la division va s’aggraver. La société va être le témoin de vrais conflits. Nous n’avons pas bien apprécié l’aubaine d’avoir fait tomber Moubarak par une révolution pacifique durant laquelle l’Etat s’est maintenu et ne s’est pas désagrégé malgré
les coups nombreux. Une révolution durant laquelle nous n’avons pas payé un prix exorbitant pour le changement. Cela a été le changement le plus facile et le plus doux du Printemps arabe. Il était attendu que tout le monde commence à bâtir la démocratie,
mais malheureusement, le Conseil suprême militaire a fait la plus mauvaise gestion de la phase de transition démocratique. Et puis sont venus les Frères musulmans via des élections libres et propres qui ont creusé la division au sein de la société, parce qu’ils n’ont pas réussi à gérer l’Etat et ont commis erreur sur erreur. Pour en arriver à ce dernier coup d’Etat qui consacre la division. Le président élu doit se rétracter et annuler ses décisions, sinon, l’Egypte entrera dans un tunnel sombre où tout sera menacé, même les Frères musulmans ».
Dans un article paru dans le journal en ligne Al-Wassat d’obédience islamiste, l’auteur compare ce qui se passe à une partie d’échecs : « Morsi et ses conseillers doivent prendre le devant et jouer plusieurs coups successifs qui auront l’effet domino d’abasourdir l’ennemi, l’affaiblir et lui faire perdre le plus de pièces possibles. Les mesures d’usure continue ne doivent pas s’arrêter ». Contrairement à Amr ElShobaky, l’auteur prévient : « Nous devons avertir Morsi qu’il n’est pas question de faire marche arrière. Aller de l’avant même si les décisions ne sont pas bonnes à 100 % est ce qu’il y a de mieux à faire, quels qu’en soient les résultats ».
Que faire dans cette impasse ? Est-ce la guerre déclarée entre les forces de la société ? « Morsi a besoin d’un soutien populaire fort. Les masses doivent sortir pour soutenir ses décisions au moment où les autres forces vont tenter de sortir dans la rue pour retirer la confiance au président Morsi. C’est pour cela que la bataille actuelle est une bataille de peuple et de masses, c’est ce qui va trancher la question comme cela a été le cas pour Moubarak ».
L’auteur Mohamad Amin exprime ses craintes face à cette logique dans le quotidien Al-Masry Al-Youm : « L’armée va-t-elle réinvestir les carrefours ? Morsi va-t-il demander à l’armée de descendre dans la rue ? Dans ce cas, l’armée va-t-elle défendre la révolution ? ». Oui, mais quelle révolution, celle de Morsi ou celle de Tahrir ? « D’abord, y a-t-il des raisons pour pousser l’armée à descendre dans la rue ? La réponse n’a pas besoin de beaucoup d’intelligence … quand éclatera la bataille des rues, que va faire l’armée ? C’est désolant de le dire, mais la guerre est à nos portes. La confrérie des Frères musulmans mobilise ses adhérants à tout bout de champ, et la possibilité de frictions avec les révolutionnaires est probable ».
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