Les jeunes de 18 à 40 ans doivent obtenir un permis avant de voyager à 6 pays.
Le complexe administratif d’Al-Tahrir au centre du Caire. Au deuxième étage se trouve le service des passeports et de l’immigration. A l’intérieur, ça grouille de monde. La semaine dernière, le ministère de l’Intérieur a établi de nouvelles procédures pour les jeunes âgés de 18 à 40 ans qui souhaitent se rendre dans l’un des pays « à risque », à savoir la Turquie, l’Iraq, la Libye, la Syrie, le Qatar et le Yémen. Ces jeunes doivent, en effet, obtenir un permis de sécurité avant de voyager. Outre les procédures habituelles (visas, passeports, etc.), il faut présenter une explication détaillée des raisons du voyage et une copie officielle du contrat de travail s’il s’agit d’un emploi. Il faut ensuite attendre entre 15 et 30 jours pour obtenir le permis de sécurité. Ali, jeune ingénieur de 35 ans, est venu s’enquérir des conditions requises pour obtenir le permis de voyager. « Cela faisait longtemps que je cherchais un travail à l’étranger. Enfin, j’ai trouvé une entreprise qui demande des ingénieurs. Cette entreprise se trouve en Iraq. Maintenant, on me dit qu’il faut attendre un mois pour obtenir le permis de sécurité. Je crains à présent perdre mon emploi ou que mon dossier soit bloqué », dit-il. Ali n’est pas le seul. Ibrahim, jeune de 25 ans, originaire de la Haute-Egypte, veut partir en Libye pour travailler avec son oncle. « Je ne m’intéresse pas beaucoup à la politique. Moi, je cherche un gagne-pain. A présent, mon voyage sera retardé », affirme Ibrahim. Lui aussi a peur de perdre son travail en attendant le permis. Les jeunes sont exaspérés par les nouvelles mesures.
Les nouvelles mesures sont motivées par des impératifs de sécurité. Le gouvernement craint, en effet, que les jeunes qui se rendent dans certains de ces pays jugés « à risque » ne rejoignent les organisations terroristes, comme Daech, Al-Nosra et Ansar Al-Charia. Des jeunes de plusieurs pays arabes et européens sont formés dans des camps djihadistes en Libye, en Syrie et en Iraq. Les nouvelles procédures consistent à obtenir l’accord de la sécurité, et à s’assurer que le voyageur a un contrat de travail et qu’il ne sera pas embrigadé par un pays « soutenant » le terrorisme. Lors d’une récente intervention télévisée, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Hani Abdel-Latif, a déclaré qu’il y avait au moins 600 Egyptiens qui combattent aux côtés des groupes djihadistes en Iraq et en Syrie. « Nous avons arrêté une soixantaine de personnes qui combattaient en Syrie et qui sont revenus en Egypte, et nous avons aussi stoppé des tentatives de recrutement de citoyens égyptiens qui s’apprêtaient à voyager pour rejoindre les rangs de Daech », a indiqué le général Hani Abdel-Latif. L’organisation terroriste, qui contrôle une grande partie de l’Iraq et une partie de la Syrie, possède des camps d’entraînement à l’est de la Libye, qui partage avec l’Egypte de longues frontières. Quant au Qatar et à la Turquie, leurs régimes ont soutenu les Frères musulmans.
Débat sur la constitutionnalité des procédures
Certaines organisations de la société civile, comme le Réseau arabe des informations des droits de l’homme et l’Organisation Egyptienne des Droits de l’Homme (OEDH), contestent ces nouvelles mesures, les jugeant non constitutionnelles. « Ces mesures sont anticonstitutionnelles. Le gouvernement doit préciser si elles sont prises à titre exceptionnelle ou non. Aucun pays au monde n’a recours à ce genre de mesures. La France et l’Angleterre avaient des militants en Afghanistan et n’ont pas eu recours à de telles mesures », affirme Hafez Abou-Seada, membre du Conseil national des droits de l’homme et président de l’OEDH. Même son de cloche pour Moëmen Romeih, activiste des droits de l’homme et membre du parti d’Al-Dostour. « La sécurité n’a pas le droit d’interdire aux citoyens de voyager, car seul le procureur général possède ce droit », affirme-t-il. Et d’ajouter que le droit de voyager et de se déplacer est un droit constitutionnel garanti à tous les citoyens. « Une personne peut être interdite de voyage dans un seul cas, à savoir si elle est recherchée pour un crime. Les mesures prises peuvent être rejetées par le Conseil d’Etat pour anticonstitutionnalité. Elles ne présentent aucune solution, car celui qui veut rejoindre Daech peut se rendre d’abord dans n’importe quel pays en dehors des pays interdits, puis aller en Iraq ou en Syrie ».
Pour d’autres, cependant, ces mesures sont conformes à la loi. Pour le professeur de droit international, Ayman Salama, l’Etat a le droit, en vertu du droit international, de prendre les mesures qu’il trouve nécessaire pour préserver la sécurité nationale. « L’Etat n’est pas obligé d’informer la population des motifs et des objectifs des nouvelles mesures », explique Salama. Hassan Badrawi, ancien président de la Cour de cassation, pense, lui, que l’Egypte est « en état de guerre contre le terrorisme et sa sécurité nationale est menacée ». « Dans de telles conditions, ces procédures sont constitutionnelles, parce qu’elles ne violent pas le droit de voyager, mais le régissent pour protéger le pays ». Le gouvernement exigeait jusqu’aux années 1970 aux fonctionnaires une autorisation spéciale avant de partir à l’étranger, qui était appelée le « certificat jaune », mais la Cour administrative suprême a annulé cette mesure, car contraire à la Constitution de 1971.
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