Le terrorisme s’est intensifié depuis la destitution de l’ancien président islamiste Mohamad Morsi en juillet 2013.
(Photo : Reuters)
Le projet de loi sur les entités terroristes a été officiellement approuvé, la semaine dernière par le Conseil des ministres. Elaborée par la Haute Commission de réforme législative, la loi devrait être adoptée après ratification par le président de la République qui exerce le pouvoir législatif jusqu’à l’élection du Parlement. La nouvelle loi sera valable trois ans, et s’appliquera à toutes les «
entités » qui exercent des activités en Egypte. Elle considère comme «
terroriste » toute association, organisation ou groupe qui «
appelle ou cherche, par n’importe quel moyen, à troubler l’ordre public, à nuire à l’intérêt public, à porter atteinte à la sécurité et à l’unité nationale, à entraver le travail de la justice et des établissements éducatifs ou sanitaires, et à nuire aux individus, à les terroriser ou à menacer leurs vies et leurs biens ». En vertu de la loi, le Parquet général doit élaborer une liste des «
entités terroristes ».
Toute entité figurant sur cette liste sera dissoute. Ses locaux seront fermés, et ses biens gelés. En outre, les dirigeants de cette entité seront traduits en justice. Le procureur est appelé aussi à rédiger une liste de « terroristes ». Celle-ci comprendra toute personne qui « participe volontairement à une activité terroriste, qui la facilite ou qui agit au nom d’un groupe terroriste, sous sa direction ou en collaboration avec lui et contre qui des verdicts ont été prononcés confirmant une implication criminelle ». Toute personne inscrite sur cette liste sera privée d’exercer ses droits politiques et syndicaux. Les deux listes seront obligatoirement examinées par la Cour d’appel du Caire avant de les publier, en vue de poursuites localement et internationalement. Elles seront renouvelées après trois ans, sur ordre du tribunal. En vertu de la loi, le droit d’appel est permis dans un délai de 60 jours à compter de la date de publication des listes. La Haute Commission de la réforme législative affirme que « cette loi vise à remédier au vide législatif dû à l’absence d’une réglementation juridique sur le terrorisme. En fait, l’article 86 du code pénal définit le terrorisme de manière générale, mais n’évoque pas les entités terroristes. La nouvelle loi les définit en détail », note la commission dans son mémorandum. L’article 86 définit le terrorisme comme étant tout « recours à la force, à la violence, à la menace ou à l’intimidation faisant partie d’un projet criminel individuel ou collectif destiné à troubler l’ordre public ou à mettre en danger la sécurité et la sûreté publiques ». Sur le plan politique, cette loi suscite un vif débat. Si certains la trouvent nécessaire pour faire face à la violence, d’autres y voient un moyen de répression. « Cette loi s’inscrit dans le cadre de l’engagement du régime à lutter contre le terrorisme. Elle donne au gouvernement les dispositions légales et les outils qui lui permettent de lutter contre ce fléau », assure l’expert de sécurité, Mahmoud Qatary. Et de rappeler que le terrorisme s’est intensifié depuis la destitution de l’ancien président islamiste Mohamad Morsi en juillet 2013, et l’arrestation de la majorité des dirigeants de la confrérie des Frères musulmans. Plusieurs groupes terroristes opèrent depuis cette date dans le Sinaï et prennent pour cible la police et l’armée comme Ansar Beit Al-Maqdes et Agnad Misr. « Ces groupes extrémistes continuent de perpétrer des attentats. Il est indispensable de rétablir l’ordre et la stabilité et mettre fin aux crimes commis par les terroristes », ajoute Qatary.
Sous le feu des critiques
Au sein de la classe politique et dans le milieu des droits de l’homme, la loi est sous le feu des critiques. « Les termes de cette loi sont à la fois vagues et imprécis. Elle accorde des pouvoirs répressifs aux autorités, restreint les libertés et permet à l’Etat de resserrer l’étau autour des militants anti-régime », dénonce l’avocat Khaled Ali, directeur du Centre égyptien pour les droits sociaux et économiques.
Même son de cloche chez Mahmoud Ezzat, membre du bureau politique des socialistes révolutionnaires. Lui aussi juge la loi restrictive. « Avec une telle loi, il n’y aura pas d’opposition en Egypte », dit-il sur son compte Facebook. Il s’oppose au fait que la loi accorde au Parquet général le droit de placer des personnes sur des listes terroristes, alors que ce droit revient à la police. « C’est le retour de l’Etat policier. Les acquis de la révolution de 2011 sont partis en fumée », ajoute-t-il.
D’autres ne s’opposent pas au principe d’une telle loi rétablissant, mais contestent le monopole du gouvernement dans la sa rédaction. « Promulguer une telle loi, sans consultations préalables avec les forces politiques et représentants de la société civile, soulève plusieurs interrogations », affirme Mohamad Zaree, avocat et président de l’Organisation arabe pour la réforme pénale. « On comprend la volonté du gouvernement de lutter contre le terrorisme et son droit à maintenir l’ordre public, mais on redoute qu’elle ne puisse être mal exploitée à l’avenir pour resserrer l’étau autour de l’opposition », affirme-t-il, en insistant sur le fait que l’inscription de personnes sur les listes terroristes est un processus délicat qui nécessite des informations vérifiées. De son côté, Khaled Ali assure avoir présenté un recours contre la loi pour inconstitutionnalité. Le recours a été déposé devant la Haute Cour constitutionnelle.
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