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L’échec de l’appel islamiste à la mobilisation

May Al-Maghrabi, Mardi, 02 décembre 2014

Les appels à une « révolution islamiste » le 28 novembre n’ont pas trouvé d’échos dans la rue égyptienne. Des spécialistes décryptent les raisons de la faillite des salafistes à mobiliser une partie de la population.

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Les manifestations de vendredi dernier auxquelles le Front sala­fiste avait appelé ont été un échec. Une faible mobilisation, des disposi­tifs sécuritaires draconiens et des actes de violences sporadiques. Tels sont les aspects de ce jour censé être une « révolution islamique ». Le bilan est de 3 morts, 26 blessés et de 224 arrestations dues à des attentats ou accrochages.

Les Egyptiens semblent être restés sourds aux appels à participer à cette « journée de l’intifada islamique », visant à réclamer l’application de la charia. Ces manifestations ont mobi­lisé moins de manifestants que celles qui se déroulent tous les vendredis depuis la destitution du président isla­miste Mohamad Morsi en juillet 2013. Seules quelques marches regroupant des dizaines d’islamistes ont eu lieu en début d’après-midi. Elles ont été rapidement dispersées par les forces de sécurité.

Les Frères musulmans ont pour leur part annoncé qu’ils « soutenaient » les appels à manifester des salafistes. Ils ont néanmoins demandé à leurs partisans de le faire « pacifique­ment ». Il semble, selon les observa­teurs qu’ils sont revenus sur cette décision, ce qui expliquerait la faible mobilisation.

C’est dans le quartier populaire de Matariya, bastion des mouvements islamistes radicaux, que la mobilisa­tion a été la plus importante. Des centaines des manifestants brandis­sant le Coran ont affronté les forces de l’ordre et des habitants du quar­tier, faisant un mort parmi les mani­festants. Les Frères musulmans n’ont pas tardé à accuser les forces de l’ordre de sa mort. Une histoire qu’a démentie son frère qui a accusé les manifestants islamistes de lui avoir tiré dessus. Un colonel de l’ar­mée a été tué dans la région de Guesr Al- Suez d’une balle dans la tête et deux sous-officiers ont été blessés. Des inconnus ont ouvert le feu sur lui, alors qu’il sortait d’un hôtel, accompagné de deux autres soldats.

Parallèlement, des explosions sporadiques ont eu lieu sans faire de victimes. Un inconnu a placé une bombe dans un panneau d’affichage proche de Roxi. La bombe a causé la destruction du panneau, sans faire de blessé. Une explosion s’est produite dans la rue d’Al-Khalifa Al-Maamoune à Héliopolis près d’un poste de la police militaire et d’une station-service. Les services de sécurité ont déjoué une tentative d’explosion d’un train au centre Al-Wasta. Les forces de police ont saisi 14 sacs de plastique remplis d’essence. Deux bombes sonores ont explosé au centre-ville, l’une jetée du pont du 6 Octobre sur la place d’Abdel-Moneim Riyad, près de la place Tahrir, et une autre dans le quartier d’Al-Azhar.

Déterminées à juguler les mani­festations islamistes, les forces de police et de l’armée étaient sur le qui-vive. Jeudi dernier, le premier ministre, Ibrahim Mahleb, avait ras­suré le peuple. « Pas de raisons de s’inquiéter tant qu’on dispose des forces armées et d’une police patriotique qui se dévouent à proté­ger le pays », a-t-il déclaré. Dès jeudi, les forces armées avaient pris le contrôle de sites stratégiques dans l’ensemble du pays: centrales élec­triques, Canal de Suez, Maspero, banques et bâtiments administratifs. Dans la nuit de jeudi à vendredi, au moins 107 personnes auraient été arrêtées. Mercredi, le ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, avait déclaré lors d’une réunion extraor­dinaire du gouvernement que les organes de sécurité avaient arrêté cinq dirigeants salafistes qui « pla­nifiaient des actes de sédition, d’anarchie et de violence pour ce vendredi ». Dans un communiqué publié vendredi, le ministère de l’Intérieur s’est félicité de la réus­site de leur mission. « C’est grâce à une stratégie sécuritaire bien étu­diée que le ministère a pu intervenir contre les groupes qui planifiaient des actes de violences et de terro­risme. Des éléments des Frères musulmans et des salafistes ont été arrêtés en possession d’armes et de bombes qu’ils avaient l’intention d’utiliser le jour de la manifesta­tion », a indiqué le communiqué.

Une faillite prévue

De facto, la défaite des islamistes à se mobiliser ou à mobiliser la rue n’a pas été une surprise et cela malgré l’exagération médiatique sur les risques liés à cette journée. Gamal Salama, politologue, indique que plu­sieurs raisons expliquent cet échec. « Le déploiement d’un tel dispositif sécuritaire servait à terrifier les isla­mistes et à les faire renoncer à affron­ter les forces de l’ordre. Cette démonstration de force a été l’occa­sion de faire passer un message clair: l’Etat est fort et ne tolérera plus aucun débordement. Un message que les islamistes ont bien assimilé. La division du courant islamiste, sur l’enjeu et les profits à participer à ces manifestations, a été un autre facteur de sa défaite », décrypte Salama. Si les Frères musulmans et d’autres groupes mineurs ont annoncé leur participation, d’autres groupes comme le parti Al-Nour, seul allié islamiste de la révolution du 30 juin, ainsi que la Gamaa islamiya ont rejeté ces appels. En outre, « l’appel à ces manifestations n’a pas eu un objectif clair et unificateur du cou­rant islamiste. Chacun des groupes islamistes a ses objectifs. Affaiblis au niveau organisationnel, les Frères musulmans ont renoncé à la dernière minute à participer à ces manifesta­tions pour éviter plus de pertes. Après la reprise de l’Egypte de sa place sur la scène internationale, les Frères cherchent à véhiculer cette image d’instabilité et de violence qui persis­tent », ajoute Salama. Une vision partagée par Nagueh Ibrahim, spécia­liste des mouvements islamistes. « Le Front salafiste est connu pour son radicalisme inspiré de l’idéologie de Sayed Qotb, mais il n’a jamais eu d’activités politiques ou sociales sur le terrain. C’est pourquoi je penche pour l’idée que le courant salafiste n’a été qu’un paravent derrière lequel se cachaient les Frères musul­mans pour déstabiliser le pays et embarrasser le régime sans être poin­tés du doigt. Toutefois, discrédités politiquement et honnis populaire­ment, les Frères musulmans n’ont pas pu donner à ces manifestations la couverture politique et populaire qu’ils espéraient. Surtout que les ten­tatives de coordonner ces manifesta­tions avec d’autres courants comme les socialistes révolutionnaires et le mouvement du 6 Avril n’ont pas réus­si. Le grand perdant de ce jour c’est l’ensemble du courant islamiste », regrette Nagueh. Dans un communi­qué publié vendredi soir, le Front salafiste a avoué son échec et regretté la division du courant islamiste.

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