300 remarques ont été formulées par le Conseil des droits de l'homme à propos de l'Egypte.
Lors d’une séance de plus de 3 heures et demie, l’Egypte a défendu son bilan des droits de l’homme pour les 4 dernières années, devant le Conseil des droits de l’homme de l’Onu. 122 pays sur les 192 membres de l’Assemblée générale des Nations-Unies ont pris la parole devant le Conseil. Si les pays africains et arabes, hormis le Qatar, ont fait preuve de compréhension à l’égard de l’Egypte, les pays Occidentaux et certains pays d’Amérique latine, comme le Brésil, ont été particulièrement critiques. La majeure partie des remarques se rapportaient aux atteintes aux libertés et à l’absence de poursuites contre les responsables de la répression. Certains pays ont exigé la mise en conformité des lois avec la nouvelle Constitution de 2014, la libération immédiate des journalistes emprisonnés, de même que des garanties pour le travail des ONG, et la liberté de réunion et de manifestation. D’autres ont souligné les violences sexuelles contre les femmes et les peines de mort prononcées à grande échelle. L’ambassadeur des Etats-Unis auprès du Conseil, Keith Harper, a demandé «
une enquête approfondie sur l’utilisation de la force par les forces de sécurité et la poursuite des responsables de la répression des manifestations d’août 2013 ».
« Nous sommes extrêmement préoccupés par les violations des libertés d’expression, de réunion et d’association et les restrictions au rôle de la société civile », a affirmé Harper. Il a de même demandé l’annulation des amendements à la loi sur les ONG. Outre les Etats-Unis, des pays comme la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne ont également fait part de leur inquiétude face au « grand nombre de détenus en Egypte, aux procès non équitables et aux restrictions sur le travail des ONG ». Ainsi, le représentant de la France a demandé la suppression de la peine de mort et a demandé des garanties à la liberté de manifester pacifiquement, ainsi que le respect des conventions se rapportant à la lutte contre la torture.
L’EPU (Examen Périodique Universel) en matière des droits de l’homme est un processus qui consiste à passer en revue les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’Onu dans le domaine des droits de l’homme. Ce processus est mené par les Etats, sous les auspices du Conseil des droits de l’homme. Il fournit à chaque Etat l’opportunité de présenter les mesures prises pour améliorer la situation des droits de l’homme sur son territoire et remplir ses obligations en la matière. Mécanisme central du Conseil des droits de l’homme, l’EPU est conçu pour assurer une égalité de traitement à chaque pays. Cet examen a lieu de manière périodique tous les 4 ans afin d’évaluer l’engagement des pays à répondre aux recommandations, et d’évaluer leurs efforts en matière de sauvegarde des droits des citoyens. Cependant, les recommandations de l’EPU ne sont pas de nature contraignante.
L'Egypte se défend
A Genève, l’Egypte a défendu son bilan en soulignant les circonstances « exceptionnelles » dans lesquelles elle se trouve. Le chef de la délégation égyptienne, Ibrahim Al-Heneidy, ministre de la Justice de transition et des Affaires parlementaires, a ainsi nié toute atteinte aux libertés. « L’Egypte fait face à une vague terroriste. Et pourtant, aucune mesure d’exception n’a été prise », a précisé Heneidy. Et d’ajouter que l’Egypte a connu deux révolutions en l’espace de deux ans. L’instabilité politique qui en a résulté n’était pas, selon lui, propice aux enquêtes et aux investigations. Heneidy a cependant affirmé que toutes ces considérations « n’empêcheront pas l’Egypte de respecter ses obligations internationales ». L’Egypte a également mis en avant les progrès réalisés depuis le 30 juin 2013 dans l’établissement d’un système démocratique, et s’est engagée à promouvoir les libertés fondamentales et la société civile. « Aucun détenu n’est emprisonné en Egypte sans décision judiciaire. Et aucun journaliste n’est détenu à cause de son opinion. Par ailleurs, le gouvernement égyptien étudie la possibilité de modifier certains articles de la loi sur les manifestations », a précisé Heneidy.
L’Egypte a demandé un délai jusqu’au mois de mars prochain pour répondre aux 300 remarques du Conseil. Selon Mohamad Zarée, chef de l’Organisation arabe pour la réforme pénale, une ONG oeuvrant dans le domaine des droits de l’homme: « Le gouvernement égyptien a voulu temporiser cette fois-ci et absorber les critiques. Le délai jusqu’au mois de mars prochain répond à cet objectif », précise Zarée. Et d’expliquer qu’en 2002, l’Egypte avait rejeté les critiques. En 2010, le chef de la délégation, l’ancien ministre des Affaires parlementaires, Moufid Chehab, avait utilisé un langage plus sage. Il avait accepté les 119 recommandations du Conseil et organisé une réunion avec les ONG en marge de la conférence pour discuter de la situation, mais « les choses ont changé après notre retour en Egypte », estime Zarée qui a assisté à trois EPU de l’Egypte, en 2002, 2010 et 2014. La preuve de cette volonté de temporiser est que la délégation égyptienne présente à Genève s’est réunie avec des représentants des ONG et leur a promis de « résoudre leurs problèmes ». Ainsi, le délai que le gouvernement avait donné aux ONG pour régulariser leur situation sous peine de fermeture a été supprimé.
Une approche plus professionnelle
Walid Qouziha, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, explique: « La délégation égyptienne a agi cette fois-ci avec beaucoup plus de professionnalisme. Ceci était dû surtout à la présence au sein de la délégation égyptienne de l’ambassadeur Badr Abdel-Aati qui possède une expérience en matière des droits de l’homme et qui a servi pendant des années à Genève. Il aurait été inutile de s’opposer aux remarques du Conseil. L’Egypte sait que d’ici 4 ans, au moins une centaine de remarques sur les 300 qui ont été formulées n’auront plus lieu d’être avec le retour du Parlement et l’application des articles de la Constitution. D’autres recommandations vont tomber d’elles-mêmes, car l’Egypte va soutenir qu’elles seraient incompatibles avec les traditions de la société, comme les droits des homosexuels par exemple », affirme Qouziha. Il explique que les autres demandes sont importantes comme celles se rapportant à la loi sur les manifestations et la torture dans les postes de police. « L’Etat doit maintenant travailler sur ces grandes questions. Il doit trouver un équilibre entre les exigences de la sécurité et la lutte contre le terrorisme et entre les libertés fondamentales », explique Qouziha. La conférence de Genève est intervenue dans un climat de vive tension entre les ONG et l’Etat. Plusieurs ONG dénoncent en effet le climat des libertés en Egypte, notamment la liberté de d’expression et le droit de manifester.
Quelques jours avant la conférence de Genève, 7 ONG avaient publié un communiqué dans lequel elles affirmaient ne pas avoir l’intention d’assister à la conférence de Genève de peur d’être accusées par le gouvernement de « déformer l’image de l’Egypte ». « C’est vrai qu’il y a beaucoup de problèmes en matière des droits de l’homme en Egypte. La seule chose positive est la Constitution de 2014, qui a consacré un chapitre aux droits de l’homme, mais elle est encore au stade théorique », pense Mohamad Zarée.
Il explique qu’il y a une crise de confiance entre l’Etat et les ONG. Ce dernier les soupçonne d’être à l’origine de la révolution du 25 janvier et les accuse de soulever la population contre le pouvoir. « Nous souhaitons que les 4 prochains mois seront une occasion en or pour l’Etat de travailler sur de véritables réformes et d’aller à la session de Genève en mars prochain, avec quelques progrès concernant la situation des droits de l’homme », conclut Zarée.
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