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Quelle méthode pour la sécurité du Sinaï  ?

May Al-Maghrabi, Mardi, 04 novembre 2014

Pour lutter contre le terrorisme, les autorités veulent créer une zone tampon à la frontière avec la bande de Gaza. Au-delà de cette mesure sur laquelle les avis sont partagés, c'est la sécurité du Sinaï dans son ensemble qui est au centre du débat.

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Après l'évacuation, la guerre contre le terrorisme dans le Sinaï est lancée. (Photo : AP)

Comment sécuriser le Sinaï et combattre le ter­rorisme ? Depuis l’atten­tat terroriste de Rafah la semaine dernière qui a fait une tren­taine de morts, la question est posée. Les Forces armées ont décidé de créer une zone tampon, sous la forme d’un immense canal, pour sécuriser la frontière avec la bande de Gaza. Il s’agit d’un espace large de 500 mètres et long d’environ 13 kilo­mètres. Des dizaines de familles ont été évacuées de leurs maisons au nord du Sinaï et 800 habitations en tout devraient être démolies. L’opération va bon train, puisque les bulldozers ont détruit jusqu’à pré­sent environ 400 habitations, selon le cheikh Abdallah Gahama, chef de la tribu Al-Tarabine du Nord du Sinaï. Les indemnités versées par l’Etat se situent à hauteur d’un milliard de L.E., selon le cheikh Gahama. Il écarte la possibilité que cette mesure temporaire puisse provoquer des ten­sions entre l’Armée et les habitants. « Les Sinawis ont accepté l’évacua­tion volontairement, donnant la priorité à la sécurité nationale. Ils sont conscients du danger et savent que le régime actuel a la volonté politique de mettre un terme à des décennies de persécution et de dis­crimination que les bédouins ont endurées. Pour la première fois depuis des décennies, les bédouins ont pu finalement posséder des ter­rains, s’inscrire à des facultés qui leur étaient interdites », souligne Gahama. Une position que ne par­tage pas Mohamad Al-Samaloute, un habitant de Rafah, qui remet en question la nécessité de cette mesure. « Nous sommes pour la sécurité nationale et la protection des fron­tières, mais pas au détriment de nos intérêts et de nos maisons. Et là, il faut se demander: est-ce que les autorités ont comblé toutes les lacunes sécuritaires qui font qu’il y a des attentats terroristes ? », se demande Al-Samaloute, qui souligne que les habitants du Sinaï n’hésiteront pas à quitter leurs domiciles si c’est vraiment au profit de la sécurité natio­nale.

Experts et politiciens sont aussi divisés sur l’enjeu de cette évacuation. Si certains estiment qu’il s’agit d’une nécessité sécuritaire absolue pour combattre le terrorisme, d’autres dénoncent une mesure incapable d’endiguer le terrorisme. Selon l’expert sécuritaire Sameh Seif Al-Yazel, qui était parmi les farouches partisans de la création de cette zone tampon au Nord du Sinaï, il s’agit d’une mesure indis­pensable pour pouvoir sécuriser le secteur frontalier avec la bande de Gaza. Il explique que cette zone tampon vise à isoler les terroristes dans des secteurs sans population, ce qui permet de les cibler plus facilement et limiter les pertes parmi les civiles. « L’objectif de cette opération est double: neutra­liser les tunnels à la frontière avec la bande de Gaza et empêcher le passage des armes et des militants islamistes. C’est la seule solution pour mettre fin au terrorisme dans le Sinaï et reprendre le plein contrôle des frontières », explique Al-Yazal.

De fait, depuis la destitution du président islamiste Mohamad Morsi en juillet 2013, les relations entre l’Egypte et le mouvement Hamas, allié des Frères musulmans, se sont notamment dégradées. L’Egypte considère le Hamas comme une menace à sa sécurité et l’accuse ouvertement d’être impliqué dans les attaques visant policiers et mili­taires, notamment dans le Sinaï. En mars dernier, la justice avait classé le Hamas comme organisation ter­roriste, tout en interdisant ses acti­vités sur le territoire égyptien. Une tension qui a atteint son comble avec la destruction de la quasi-tota­lité des tunnels de contrebande reliant le territoire palestinien à l’Egypte, la fermeture du point de passage de Rafah et l’interdiction formelle de tout déplacement des dirigeants du Hamas en Egypte. L’expert sécuritaire, Abdel-Rafie Darwich, appuie la décision de l’Armée et refuse de qualifier l’opé­ration en cours d’« émigration for­cée ». « Il s’agit d’un délogement temporaire visant à protéger les Sinawis de la guerre en cours contre les fiefs terroristes. Et même s’il s’agit d’une mesure exception­nelle, la circonstance est aussi exceptionnelle », justifie Darwich. Il ajoute que cette mesure portera un coup fatal au terrorisme en l’es­pace de quelques mois, et ceci en mettant à jour les accès cachés des tunnelsreliant Rafah à la bande de Gaza, dont des dizaines se trouvent sous les maisons, et par lesquels s’infiltrent les éléments terroristes.

Mais même si cette mesure est nécessaire pour lutter contre le ter­rorisme, elle est contraire à la Constitution, pensent certains acti­vistes et hommes politiques. C’est l’avis notamment de Gamal Eid, activiste des droits de l’homme. Selon lui, l’article 63 de la nouvelle Constitution « interdit toute forme de déplacement arbitraire forcé des citoyens ». « Cette évacuation est contraire aux principes de la Constitution. Même en combattant le terrorisme, nous ne devons pas braver les textes constitutionnels », souligne Eid. Un argument non fondé pour des juristes comme Nour Farahat qui parle, lui, d’un « délogement temporaire volontaire auquel l’article 63 ne s’applique pas ».

Une occasion en or

En ce qui concerne l’impact de cette évacuation, Adel Soliman, président du Centre des études poli­tiques du futur, redoute que cette mesure ne soit pas efficace. « 90 % des tunnels entre Gaza et l’Egypte servant au passage des armes pour le Hamas ont été fermés. Les réper­cussions de cette décision n’ont pas été minutieusement étudiées. La bande frontalière est vaste et diffi­cile à contrôler, surtout qu’en vertu de l’accord de Camp David, tout déploiement militaire sur les fron­tières doit être en coordination avec Israël. Les groupes terroristes peu­vent transférer leurs opérations vers une autre zone que celle éva­cuée. Pourquoi ne pas renforcer les dispositifs sécuritaires », estime Soliman. Il ajoute que l’évacuation des habitants de Rafah, que certains ressentent comme une injustice, est une occasion en or pour ces groupes terroristes pour rallier à leurs rangs de jeunes en colère.

Le politologue Sameh Eid, spécia­liste des mouvements islamistes, trouve qu’il est difficile d’évaluer cette opération. « Cette évaluation revient aux Forces armées et aux services de renseignements », dit-il. Au-delà de cette mesure, c’est la sécurité du Sinaï dans son ensemble qui est en jeu. Il explique qu’il y a une méfiance réciproque entre les autorités et les Sinawis depuis des années. Les autorités soupçonnaient les Sinawis de complicité avec les groupes djihadistes du Sinaï. « C’est que le Sinaï est un milieu où couve le terrorisme, et ceci est le résultat d’un certain nombre de situations sociales et politiques auxquelles les régimes successifs n’ont jamais cherché à remédier. Si les bédouins se sentent marginalisés, c’est parce que l’Etat n’a jamais opté pour leur intégration », décrypte Eid. Il détaille que ce fossé ne cesse de s’élargir depuis l’année 2004, après l’attentat de Taba, suite auquel les autorités ont commis d’innom­brables abus sécuritaires dont la détention arbitraires de plus de 4 000 bédouins. « Depuis cette date, le Sinaï est devenu un milieu pro­pice au terrorisme. Face à ce dan­ger, le gouvernement se suffit de la solution sécuritaire qui ne pourra jamais mettre fin au terrorisme sans chercher à assécher ses ressources idéologiques et politiques », conclut Eid.

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