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Les Frères abandonnés

May Al-Maghrabi, Mardi, 23 septembre 2014

Après Al-Wassat, le parti Al-Watan a quitté à son tour la coalition de soutien à la légitimité, un front islamiste pro-Morsi formé après son éviction en juillet 2013.

Le front pro-Morsi s’écroule. Quelques jours après le retrait du parti Al-Wassat de la coalition de soutien à la légitimité, regroupant plusieurs formations islamistes alliées aux Frères musulmans, le parti salafiste Al-Watan a lâché à son tour les Frères musulmans. D’autres défections pourraient avoir lieu, puisque la Gamaa islamiya n’a pas nié la possibilité de se retirer également de la coalition.

Dans un communiqué, le parti Al-Watan a justifié sa décision par sa volonté « d’élargir ses horizons politiques en s’ouvrant sur d’autres forces ». « Nous avons besoin d’un cadre plus large, d’une organisation globale qui rassemble tout le spectre et tous les segments de la nation », lit-on sur le communiqué. Certains analystes trouvent que cette décision, intervenant en pleine période de préparation pour les élections parlementaires, est calculée et revêt un objectif électoral.

« Epuisé par les échecs politiques et les poursuites sécuritaires dans le cadre de sa coalition avec les Frères musulmans, le parti Al-Watan a décidé de revoir ses comptes dans le but de s’assurer une place dans le futur Parlement. Même s’il est difficile de dire que ce parti salafiste a rejoint la position de l’autre parti salafiste Al-Nour, qui de tout temps a approuvé l’éviction de Morsi. En fait, sa décision traduit une attitude pragmatique », estime l’écrivain islamiste Kamal Habib. Il ajoute que les autres alliés des Frères musulmans ne tarderont pas eux aussi à les lâcher, pour éviter plus de pertes politiques et faire cesser les poursuites sécuritaires. Une hypothèse qui semble raisonnable, étant donné l’échec de cette coalition à mobiliser la rue ou à influencer la scène politique.

Violences et accrochages avec les forces de l’ordre ont caractérisé les activités de cette coalition pro- Morsi au cours de l’année écoulée. L’alliance avait été établie lors du sit-in de Rabea et d’Al-Nahda, en juin 2013, pour soutenir le président islamiste destitué Mohamad Morsi. Elle est composée de 16 partis et mouvements, dont les partis de la Construction et du développement, et ceux d’Al-Watan, d’Al-Assala, d’Al-Wassat, de la Liberté et justice et du Front salafiste.

Pas d'atouts pour survivre

Les observateurs avancent plusieurs explications à la dislocation en cours de cette coalition. Sameh Eid, spécialiste des mouvements islamistes, explique que depuis sa création, cette coalition ne dispose pas des atouts nécessaires pour survivre. « Une coalition ne peut pas réussir si elle n’a pas un but légitime et des partenaires homogènes idéologiquement et politiquement. Ce qui n’est pas le cas de cette coalition islamiste, qui luttait pour une cause perdue d’avance. Sa décomposition confirme sa fragilité et l’absence d’un credo commun », trouve Eid. La coalition regroupait des forces islamistes dont l’idéologie, la stratégie et les objectifs ne sont pas en harmonie.

« Salafistes, Frères musulmans et Gamaa islamiya, les principaux composants de cette coalition, sont réunis sous un seul parapluie, celui de la défense de l’Etat islamique qui s’est retrouvé menacé après la chute de Morsi. Mais les membres de cette coalition n’ont jamais pu parvenir à une vision commune sur la stratégie nécessaire. A maintes reprises, il y a eu des positions contradictoires des partis de la coalition sur des sujets comme la revendication du retour du président destitué, la participation aux échéances électorales et la poursuite des manifestations. Des désaccords dus en premier lieu aux politiques différentes », décrypte Eid. A cet égard, il explique que ce sont les Frères musulmans qui ont précipité la chute de cette coalition.

« Affaiblis par l’érosion de leur popularité et les opérations sécuritaires, les Frères exploitent cette coalition dans le seul but de maintenir l’instabilité dans le pays. En optant pour la violence, les Frères n’ont cessé de miner toute chance de regagner le terrain politique perdu depuis leur évincement du pouvoir. Et ceci alors que leurs alliés islamistes visent à reconquérir la scène politique. Un but dont la réalisation a été entravée par leur alliance avec les Frères, puisque ces partis ont aussi été taxés de violence et risquaient eux aussi d’être dissous comme le parti des Frères musulmans. Ils ont décidé de quitter un navire en naufrage », ajoute Eid. Et d’ajouter que l’hégémonie imposée par les Frères musulmans sur les politiques et les décisions de la coalition est un raison de plus qui a poussé les partis à l’abandonner. Ces partis ont réalisé que leur partenariat avec les Frères musulmans ne rapporterait que plus de pertes.

Reste à savoir quel sera l’impact sur les Frères musulmans. Kamal Habib trouve que les Frères sont dans une mauvaise passe à cause de ces fractures dans la coalition. « Il s’agissait du dernier soutien dont disposaient les Frères musulmans qui ont déjà perdu le soutien populaire et le terrain politique. C’est à cause de leur obstination. Ils sont aujourd’hui lâchés sur le plan populaire et politique, même par les islamistes. Il leur sera difficile de reconquérir la vie politique, ou même de mobiliser la rue contre le régime. Bref, les Frères sont aujourd’hui en mort clinique », évalue Habib.

Conscients de l’impact du retrait des partis les plus influents de la coalition, les Frères musulmans tentent de se repositionner. Dans un communiqué, la coalition a annoncé qu’elle étudie actuellement les moyens de restructurer sa politique dans le but de remédier aux erreurs ayant causé les récentes dissensions. Le communiqué précise qu’il n’est pas exclu de renoncer à la revendication du retour du président destitué Mohamad Morsi. Un revirement visant à garantir le retour des partis qui se sont retirés de la coalition et à mobiliser d’autres mouvements libéraux. Mais il est probable que ces tentatives soient vouées à l’échec, selon Kamal Habib.

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