Les militants refusent la décision du gouvernement de ne pas amender la loi. (Photo : Reuters)
C’est le porte-parole du Conseil des ministres, Hossam Al-Qawech, qui l’a annoncé. Le gouvernement n’a pas l’intention d’amender la loi sur les manifestations. «
Cette loi a été soumise à un débat avant sa promulgation. Il n’est pas question de la modifier », a martelé Al-Qawech, ajoutant que le gouvernement «
ne voit aucune nécessité d’amender cette loi, ni aujourd’hui, ni dans l’avenir ». Pourtant, le gouvernement avait laissé entendre deux jours auparavant par le biais du porte-parole du ministère de la Justice transitionnelle, Mahmoud Fawzi, que cette loi serait révisée.
La loi qui rend obligatoire l’autorisation du ministère de l’Intérieur à toute manifestation est fortement contestée par la société civile. Des activistes et des militants des droits de l’homme, dont certains sont emprisonnés pour avoir transgressé la loi, ont même entamé le 7 septembre une campagne de grève de la faim baptisée Guibna akherna (nous en avons marre) pour exiger son amendement. Face au refus gouvernemental d’amender la loi, les militants cantonnés au siège du Conseil national des droits de l’homme et du parti Pain et liberté, rejoints par des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme, ont décidé de continuer leur mouvement. « Après avoir laissé entendre qu’il modifierait la loi, le gouvernement a fait marche arrière. Il y a visiblement deux courants au sein du pouvoir, l’un est favorable à l’amendement et l’autre y est opposé », affirme Mahmoud Ezzat, l’un des militants en grève. « Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout. Nous ferons tomber cette loi injuste et inconstitutionnelle », explique pour sa part Mohamad Kamal, l’un des grévistes du mouvement du 6 Avril. Et d’ajouter: « Nous gagnons chaque jour de nouveaux partisans. La bataille se poursuivra jusqu’à la chute de cette loi au nom de laquelle des dizaines de militants sontinjustement emprisonnés ». Parmi ces militants figurent notamment le blogueur Alaa Abdel-Fattah, condamné à 15 ans de prison en juin dernier, mais libéré la semaine dernière sous caution, sa soeur Sanaa et le fondateur du mouvement du 6 Avril (fer de lance de la contestation contre le régime de Hosni Moubarak en janvier 2011) Ahmad Doma.
La loi adoptée en novembre 2013 stipule que les organisateurs d’une manifestation ont l’obligation d’informer le ministère de l’Intérieur du lieu de la manifestation au moins trois jours à l’avance. Celui-ci peut interdire la manifestation (article 10). L’article 13 donne au ministère le droit d’utiliser la force de manière graduelle contre les manifestants et ce, jusqu’aux balles réelles. Or, les activistes réclament l’amendement de ces deux articles.
« Les déclarations du Conseil des ministres ne sont pas satisfaisantes et sont en contradiction avec les propos du président Abdel-Fattah Al-Sissi », affirme Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, et membre du Conseil national des droits de l’homme. Selon lui, le gouvernement aurait tout à gagner en modifiant la loi. « L’amendement de cette loi ne portera pas atteinte au prestige de l’Etat, mais au contraire améliorera son image face à toutes les nations du monde », ajoute Abou-Seada.
La porte aux troubles
Comment expliquer l’attitude du gouvernement? Pour le politologue Yousri Al-Azabawi, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, le gouvernement craint qu’une modification de la loi n’ouvre la porte aux troubles, notamment à l’université, alors que la rentrée universitaire est proche. « Les Frères musulmans sont toujours actifs et chercheront encore à soulever les jeunes des universités contre l’Etat », précise Al-Azabawi. L’année passée a témoigné d’importantes manifestations dans les universités, surtout à l’Université d’Al-Azhar. L’Etat a pris cette année plusieurs mesures en vue d’empêcher les troubles à l’université. Il a notamment interdit toute activité politique au sein du campus universitaire et a fait signer aux étudiants de la cité universitaire un engagement de ne pas manifester. « Au vu de ces considérations, il est probable que la sécurité ait refusé tout amendement de la loi », affirme Al-Azabawi. Il ne faut pas oublier qu’une modification de la loi impliquerait la sortie de prison de milliers de membres des Frères musulmans emprisonnés pour avoir transgressé la loi sur les manifestations, ce qui menace d’un retour des manifestations massives et des protestations. « Un fait que l’Etat ne peut pas permettre », selon Al-Azabawi. Un rapport présenté cette semaine par le ministère de l’Intérieur au premier ministre et au président de la République évoque les « conséquences d’un amendement de la loi », selon le quotidien Al-Shorouk. Le rapport affirme qu’un tel amendement ouvre la porte à « ceux qui souhaitent semer le chaos et déstabiliser l’Etat ». Toujours selon le rapport, un amendement renforcerait les activistes et leur donnerait la conviction que « les pressions donnent des résultats ». L’Etat ne veut donc pas donner l’impression qu’il cède aux pressions. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi avait parlé à plusieurs reprises de la nécessité de « restaurer le prestige de l’Etat ». « L’Etat sait que le mouvement de contestation de la loi n’a pas de bases populaires. Il sait aussi que le président Abdel-Fattah Al-Sissi a une grande popularité », indique Yousri Al-Azabawi. L'activiste Mahinour Al-Masry a été libérée dimanche. Elle avait été condamnée à six mois de prison pour manifestation illégale.
Face aux partisans de la loi, il y a aussi ceux qui s’y opposent. Mohamad Abou-Hamed, président du parti Hayat Al-Masréyine (la vie des Egyptiens), dénonce les grèves de la faim en tant que moyen pour lutter contre la loi. « Ces grévistes n’ont pas le sens de la responsabilité envers le pays qui lutte contre le terrorisme. Ils auraient pu emprunter la voie des tribunaux et présenter une plainte devant le Conseil d’Etat. Aucun régime au monde ne donnera à son peuple les moyens de se révolter contre lui », assure-t-il.
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