Abdel-moneim Abdel-Maqsoud, avocat et cadre de la confrérie des Frères musulmans, a été libéré la semaine dernière après avoir passé un an dans les geôles à attendre son procès. Il est la troisième grande figure de la confrérie à être libérée en l’espace d’un mois, après Helmi Al-Gazzar et l’ancien parlementaire Mohamad Al-Omda. Ces libérations surprenantes alimentent les interrogations sur un éventuel accord de réconciliation secret entre l’Etat et les Frères musulmans. Un tel accord est-il possible? Les Frères qui ont toujours refusé de reconnaître le pouvoir en place et la légitimité du président Abdel-Fattah Al-Sissi peuvent-ils revenir sur leur positions et accepter une réconciliation avec le régime ?
Au cours des récentes semaines, plusieurs initiatives de réconciliation entre les Frères et l’Etat ont été formulées. La plus récente est celle proposée par l’ancien parlementaire Mohamad Al-Omda à l’issue de sa libération. Cette initiative était composée de 7 points. Elle prévoyait notamment la reconnaissance par l’Etat des Frères musulmans et réciproquement la reconnaissance par les Frères de la présidence de Abdel-Fattah Al-Sissi. L’initiative considérait la période actuelle comme une période de transition destinée à « corriger » la voie démocratique. L’initiative prévoyait également la libération de l’ancien président Mohamad Morsi et la formation d’une commission d’enquête impartiale pour faire le point sur ce qui s’est passé après le 30 juin 2013. L’initiative a cependant été rejetée par la majorité des forces politiques, mais aussi par l’Alliance pour le soutien de la légitimité (pro-Morsi), dirigée par les Frères.
Mohamad Toussoun, avocat des Frères, assure à Al-Ahram Hebdo que la récente libération d’un certain nombre de dirigeants de la confrérie ne signifie aucunement qu’une réconciliation ou une trêve est en cours entre les Frères et l’Etat. « Toutes les libérations ont eu lieu dans un cadre purement juridique. Elles n’ont aucune dimension politique. La plupart des accusés ont dépassé la période maximale de détention provisoire, ce qui rendait leur libération impérative», explique Toussoun.
Les trois dirigeants de la confrérie ont été libérés sous caution. Ils étaient accusés d’incitation à la violence et au meurtre de manifestants l’année dernière, aux alentours de l’Université du Caire, et sur les places Al-Nahda et Bein Al-Sarayat à Guiza. Ils ont passé un an de détention provisoire.
Un accord probable
Pourtant, plusieurs observateurs y voient le signe d’un accord secret entre la confrérie et l’Etat. C’est le cas d'Ahmad Ban, chercheur au Centre Al-Nil pour les études stratégiques et spécialiste des mouvements islamistes. « La confrérie a finalement compris que les changements survenus en Egypte ne sont pas dans son intérêt. La seule issue pour garantir sa survie sur la scène politique est de négocier avec l’Etat et tenter de trouver un accord. Le pouvoir lui a bien fait comprendre le message, d’où ces libérations des cadres de la confrérie», explique Ban. Et d’ajouter : « Il s’agit pour le moment d’un geste de l’Etat, mais on ne peut pas parler encore d’un accord à proprement parler. La porte reste ouverte face à une future réconciliation ».
Pour le chercheur, l’Etat a besoin d’une réconciliation avec les Frères pour pouvoir faire face aux défis externes sans trop se préoccuper du front interne. « Si un tel accord venait à être conclu, l’Etat cherchera à travers les médias à calmer le jeu avec la confrérie et à préparer un retour de la confrérie sur la scène pour assainir le front interne et pouvoir faire face aux défis de la construction de l’Egypte», ajoute Ban.
Un avis partagé par Sameh Eid, spécialiste des mouvements islamistes, qui penche lui aussi pour un accord entre la confrérie et le pouvoir. « En vertu d’un tel accord, l’Etat peut libérer plusieurs cadres de la confrérie. En échange, ces derniers peuvent s’engager à s’éloigner de la vie politique, ou à participer à la vie politique individuellement et non pas au nom de la confrérie. Avec le temps et à l’approche des législatives, cet accord sera dévoilé. D’ailleurs, la récente sortie du parti islamiste Al-Wassat de la coalition de soutien à la légitimité est peut-être due à un accord quelconque avec l’Etat », affirme Eid. Il explique que jusqu’ici, ni le pouvoir en place, ni les membres de la confrérie n’ont une vision claire concernant cette réconciliation. « Qu’il s’agisse du pouvoir ou des Frères musulmans, ils auront tous les deux de la peine à annoncer à leurs partisans leurs intentions de se réconcilier. Les Frères ont depuis un an convaincu leurs sympathisants qu’il n’est pas question de négocier avec le régime, et le pouvoir considère depuis un an les Frères comme des terroristes excluant leur réintégration au sein de la vie politique. Aujourd’hui, les deux camps ont besoin de cette réconciliation », précise Eid.
Une trahison au peuple
Une éventuelle réconciliation ne sera pas bien accueillie par une grande partie de la société égyptienne, dont la grande majorité n’imagine pas un retour des Frères sur la scène. C’est du moins ce que pense le juriste Essam Al-Islambouli qui considère que toute tentative de réconciliation avec la confrérie est « une trahison au peuple et à la patrie qui souffrent depuis un an du terrorisme. Parler de réconciliation avec ces assassins c’est mettre fin à cette ère que nous vivons actuellement. Tout accord signifie que le pouvoir a violé les règles de la loi et de la Constitution. Et je ne crois pas que le pouvoir en place puisse le faire », affirme Al-Islambouli. Pour le juriste, toutes les libérations faites jusqu’à présent sont juridiques et non politiques. « Les accusés ont été relâchés sous caution car ils étaient en détention préventive mais ils n’ont pas été acquittés de leurs crimes. De plus, les grandes figures de la confrérie ont toutes été jugées. Donc, on est bien loin de parler de réconciliation. Car toute tentative de réconciliation avec la confrérie fera face à une grande vague de colère dont les résultats seraient imprévisibles » conclut Al-Islambouli.
Une dizaine d’initiatives en 1 an
Depuis l’éviction des Frères musulmans du pouvoir, une dizaine de tentatives de réconciliation ont été proposées. Aucune n’a cependant abouti. La plus récente est celle du parlementaire Mohamad Al-Omda qui vient d’être relâché de la prison sous caution. Al-Omda propose à l’Etat de reconnaître l’organisation des Frères musulmans qui, en contrepartie, accepterait la présidence de Abdel-Fattah Al-Sissi. Il a aussi appelé à la libération de l’ancien président Mohamad Morsi et à la formation d’une commission d’enquête impartiale pour faire le point sur ce qui s’est passé après le 30 juin 2013. Son initiative a été catégoriquement rejetée par la classe politique.
Avant l’initiative d’Al-Omda, plusieurs autres initiatives avaient été proposées, dont la première fut proposée le 8 juillet 2013 par le parti salafiste Al-Nour. Il avait proposé de former un comité des sages sous les auspices d’Al-Azhar. Son plan prévoyait de regrouper l’ensemble des forces politiques et l’armée. L’initiative n’a eu aucun écho. Le premier ministre sous Morsi, Hicham Qandil, avait aussi proposé le 25 juillet une initiative en 3 étapes. Elle consistait à libérer tous les détenus arrêtés depuis le 30 juin, à suspendre les procès en cours, à mettre fin au gel des fonds des Frères musulmans et à discuter de la feuille de route du général Al-Sissi. L’initiative est restée également lettre morte. Une autre tentative de réconciliation a été menée par des personnalités islamistes, notamment les juristes Sélim Al-Awwa et Tareq Al-Bichri, ainsi que l’écrivain Fahmi Howeidi, prévoyant un retour « symbolique » du président déchu et la tenue d’une élection présidentielle anticipée. L’initiative n’a donné aucun résultat.
Plusieurs autres propositions, comme celle lancée par le prédicateur Mohamad Hassan et celle du leader du parti L’Egypte forte, Abdel-Moneim Aboul-Fotouh, et ancien candidat à la présidentielle, restent semblables dans leur contenu aux initiatives précédentes.
Toutes ces tentatives ont été rejetées par l’Etat et encore plus par la confrérie. « La confrérie imaginait au départ qu’elle pourrait gagner la sympathie de l’opinion publique égyptienne ou même internationale, ce qui ne fut pas le cas. Ses espoirs se sont tous envolés. Elle a rejeté toutes les tentatives en espérant avoir une part plus grande du gâteau, mais en vain », explique Ahmad Ban, spécialiste des mouvements islamistes, qui ajoute : « Aujourd’hui, la donne a changé, la confrérie rêve d’une réelle réconciliation, mais craint la colère de ses partisans. Si elle accepte un léger rapprochement, c’est pour garantir sa survie sur la scène politique ».
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