Environ 3 000 ONG qui travaillent dans le domaine des droits de l'homme n'ont pas de licence.
Le ministère de la Solidarité sociale vient d’accorder 45 jours à toutes les ONG ne disposant pas de licence pour régulariser leur situation conformément à la loi 84/2002. Khaled Sultan, chef de l’Administration centrale des organisations non gouvernementales au ministère, affirme : « Certaines organisations ne disposent pas de licence et ne sont pas sous le contrôle du ministère. Nous demandons à ces organisations de se conformer à la loi ».
La nouvelle sonne comme un coup de semonce en direction des ONG. « Nous ne voulons pas être contrôlés par le ministère de la Solidarité sociale. Etre sous la tutelle de l’Etat signifie que nous ne serons pas libres », lance Mohamad Adel, avocat au Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux, travaillant dans le domaine des droits de l’homme et des droits des ouvriers.
Selon les données du ministère de la Solidarité sociale, il existe 46 000 ONG en Egypte. Certaines de ces organisations, notamment celles qui travaillent dans le domaine des droits de l’homme, ne disposent pas de licence et travaillent sous couvert d’un autre statut : cabinets d’avocats ou centres de recherches. Ces organisations étaient tolérées sous l’ancien président Hosni Moubarak.
« Certaines de ces associations ont régularisé leur situation comme l’Organisation Egyptienne des Droits de l’Homme (OEDH) qui dispose depuis une dizaine d’années d’une licence de l’ancien ministère des Affaires sociales. Cette organisation avait un rôle important dans le domaine des droits de l’homme mais, après avoir été placée sous la tutelle du ministère, sa performance a beaucoup faibli », affirme Mohamad Adel.
La loi sur les ONG n° 84 de l’année 2002 donne à l’Etat un droit de regard sur le financement des ONG. De même, elle donne à l’Etat une tutelle administrative sur ces organisations. Ainsi, en cas d’infraction administrative ou financière, l’Etat peut dissoudre une ONG ou la suspendre.
Mohamad Adel dénonce des mesures de rétorsion contre les ONG qui travaillent dans le domaine des libertés. « Si le ministère voulait seulement contrôler les ONG pour lutter contre la corruption financière, pourquoi il n’a jamais fait fermer une ONG pour corruption ? Même quand il y a de la corruption, le gouvernement ferme les yeux si l’ONG ne s’occupe pas de politique. Nous refuserons toute tutelle de l’Etat ».
Les ONG sont d’autant plus inquiètes que cette décision coïncide avec la préparation d’un nouveau projet de loi qui organise le travail des ONG et qui est rejeté par la plupart de ces organisations. 29 ONG avaient publié un communiqué, il y a quelques semaines, pour annoncer leur opposition au projet. Le Conseil national des droits de l’homme doit organiser prochainement un atelier de travail afin de discuter la loi avant sa promulgation, en présence de responsables du ministère de la Solidarité sociale et des ONG.
Contrôle de l’Etat
La loi en question, comme celle de 2002, soumet les ONG au contrôle administratif de l’Etat. Ahmad Ezzat, de l’Institution Pensée et Liberté d’expression, estime qu’ « il y a depuis deux ans une campagne dans les médias contre les ONG. Certaines sont présentées comme étant à la solde de l’étranger. Il est clair que l’Etat ne veut pas d’ONG au cours de la phase actuelle, car elles mettent au jour les violations des droits de l’homme ».
Le ministère de la Solidarité sociale rejette totalement ces accusations. « Certaines ONG ne veulent pas faire partie du système. Il s’agit d’une minorité, soit environ 300 ONG qui travaillent dans le domaine des droits de l’homme et qui n’ont pas de licence. Nous savons pourquoi elles refusent d’avoir une licence. C’est à cause du contrôle fiscal, surtout vis-à-vis des dons qui viennent de l’étranger. Ces organisations ne veulent pas de contrôle. Mais y a-t-il un pays au monde qui ne les contrôle pas ? L’Etat doit avoir un droit de regard sur la manière dont ces organisations sont financées. C’est normal », affirme, à l’Hebdo, Khaled Sultan. Il ajoute que le ministère ne ferme pas les yeux sur la corruption. « Lorsqu’il y a corruption, l’ONG est fermée et il n’y a pas de différence entre celles qui travaillent dans le domaine social ou politique ». Au cours des dernières années, les relations entre les ONG et l’Etat ont été particulièrement tendues. Sous Moubarak, les ONG avaient refusé la loi régissant leurs activités accusant l’Etat de vouloir imposer son hégémonie à leur égard.
Depuis l’époque de Sadate et la politique d’ouverture économique, les autorités ont encouragé les ONG à investir le champ social pour combler le vide laissé par l’Etat. Mais la multiplication des ONG oeuvrant dans le domaine politique a exaspéré l’Etat. C’est ce qu’affirme Achraf Al-Chérif, professeur à l’Université américaine du Caire : « Il est bien connu que les réseaux sociaux et les ONG ont joué un grand rôle pour diriger le peuple vers la révolution du 25 janvier. Sous Moubarak, le régime était stable et il n’y avait pas de crainte. Il faisait un certain équilibre avec les partis d’opposition et les ONG parce qu’il dominait la vie politique depuis longtemps. Mais avec le gouvernement actuel, la situation est différente. Le gouvernement a réduit les subventions et il ne veut pas de manifestations ou de forte opposition, du moins pour l’instant », conclut le chercheur .
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