Al-Ahram Hebdo : Vous vous êtes rangés du côté des partis, notamment laïques, qui ont soutenu la destitution de l’ancien président Mohamad Morsi. Aujourd’hui, les libéraux et la gauche vous excluent de leurs coalitions électorales sous prétexte que vous êtes une formation islamiste. Vous sentez-vous trahis ?
Younès Makhioun : Nous n’avons pas cherché de coalitions avec eux, et nous n’en avons pas envie. Ces partis pratiquent justement ce qu’ils reprochaient aux Frères, notamment l’exclusion. Et c’est ce qui leur a fait perdre leur crédibilité à nos yeux. Nous ne sommes pas pressés d’entrer dans des coalitions qui se forment aujourd’hui et se dissolvent demain, parce que toute alliance basée sur l’exclusion est condamnée à l’échec. Si nous décidons de faire partie d’une coalition, c’est nous qui allons la former.
— Et avec les mouvements islamistes, notamment ceux autour des Frères musulmans, avez-vous des contacts en vue d’un rapprochement électoral ?
— Toute entente avec les partis dits d’obédience islamiste est exclue. Les récents événements ont prouvé que nos idées, notre manière de voir et nos prises de position sont très éloignées d’eux. Ces partis considèrent que nous les avons trahis en soutenant ce qu’ils appellent le « coup d’Etat ». Comment peut-on s’allier avec des partis qui sont allés jusqu’à nous accuser d’apostasie, ou espérer compter sur les voix de leurs sympathisants ?
— Des responsables de votre parti ont toutefois signalé qu’Al-Nour ne pourra s’allier qu’avec les formations qui partagent ses idées. De quelles formations s’agit-il si l’on exclut les partis islamistes ?
— Toute formation qui ne rejette pas la référence islamique et l’article 2 de la Constitution (ndlr, l’islam est la religion de l’Etat ... Les principes de la charia islamique sont la source principale de la législation) est un allié potentiel, sans être forcément islamiste.
— Votre parti aurait donné des instructions à ses responsables locaux d’approcher les notables de grandes familles, les anciens parlementaires de l’ex-Parti national démocrate de Hosni Moubarak, ainsi que les hommes d’affaires en vue de concertations électorales … des figures honnies du peuple et qui symbolisent une ère révolue …
— Notre principe est clair : nous ne portons de jugements généraux sur aucune classe. Le Parti national démocrate comptait plus de 3 millions de membres, ils ne sont pas tous corrompus. Nous refusons uniquement d’avoir affaire avec ceux d’entre eux impliqués dans des affaires de corruption ou d’autres crimes. A part cela, tout Egyptien a le droit à l’exercice de ses droits politiques. Ceci est valable pour les grandes familles, les tribus et les hommes d’affaires, ces derniers sont d’ailleurs très peu nombreux au sein de notre parti. Nous aurions souhaité que le système électoral ait privilégié la liste plutôt que le scrutin uninominal, justement pour éviter l’influence de l’argent et des notables sur les élections et la reproduction des Parlements de l’ère de Moubarak. En tout état de cause, nos critères de choix de candidats sont la bonne réputation, le passé irréprochable et la capacité à servir les gens.
— A propos des listes, auriez-vous un problème à inclure sur les vôtres des candidats coptes ou des femmes ?
— C’est trop tôt pour en parler, il faut d’abord savoir si le parti entend participer à travers les listes ou uniquement à titre uninominal, ou s’il finit par ne pas participer du tout. Toutes les options sont à l’étude actuellement. Le principe général c’est le droit des coptes et des femmes, comme de tous les citoyens éligibles, à disputer les élections, mais nous sommes soucieux de faire appliquer la Constitution, laquelle interdit la discrimination. Or, la liste, en accordant un quota aux femmes et aux coptes, implique une forme de discrimination basée sur le genre et la religion.
— Votre position favorable à la destitution d’un président islamiste vous a fait perdre de nombreux membres et sympathisants. Comment cela pourrait-il influencer sur votre performance électorale ? Pensez-vous atteindre les 23 % des sièges du Parlement de 2012 ?
— Il est vrai que nous avons perdu de nombreux jeunes qui, poussés par leur zèle, ont assimilé la destitution d’un président islamiste à une guerre contre l’islam, mais en revanche, nous avons gagné beaucoup d’autres Egyptiens qui ont apprécié notre engagement du côté du pays et du peuple. Aujourd’hui, notre base électorale est solide, et on s’attend à réaliser le même score, sinon plus.
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