Après 4 jours d’attente à la frontière tuniso-libyenne de Ras Jedir, Fayez Seddiq a enfin été choisi parmi le groupe d’Egyptiens autorisés à passer la frontière pour rentrer en Egypte. Une chance qu’attendent encore quelque 6 000 Egyptiens toujours bloqués derrière les grandes portes séparant le territoire libyen de son voisin tunisien.
Les régions frontalières avec l’Egypte étant l’objet de combats violents ou aux mains de groupes djihadistes, la solution pour quitter le pays est de passer par les frontières tunisiennes.
« Je n’arrive toujours pas à croire que j’ai pu fuir cet enfer », explique Fayez, ouvrier de 41 ans, qui s’était rendu il y a deux mois à Tripoli à la recherche d’un gagne-pain. « Pendant plusieurs jours, nous étions entassés à la frontière en plein soleil sans nourriture ni eau. Et lorsque nous nous sommes révoltés, les forces libyennes nous ont frappés et humiliés, ils nous ont tiré dessus à balles réelles et beaucoup ont été blessés », raconte ce citoyen égyptien.
Seddiq compte parmi ces milliers de citoyens égyptiens bloqués à la frontière tuniso-libyenne. Sans eau ni nourriture, ces Egyptiens sont aussi parfois pris pour cible par des groupes armés libyens. « Leur situation humanitaire est critique, certains sont restés sans manger pendant 5 ou 6 jours », a indiqué Mongi Sélim, représentant régional du Croissant-Rouge dont une équipe a pu se rendre sur place.
En effet, suite à des heurts violents entre des gardes-frontières libyens et des centaines d’Egyptiens qui tentaient de forcer le passage vers la Tunisie, le poste-frontière de Ras Jedir avait été fermé vendredi dernier et en partie samedi. Depuis dimanche, le point de passage fonctionne normalement, mais l’affluence est inférieure à celle constatée tout au long de la semaine.
Un pays dans le chaos
La situation a dégénéré à la mi-juillet. La Libye est devenue le théâtre d’affrontements meurtriers entre plusieurs milices, notamment à Tripoli et à Benghazi, dont la principale base militaire est tombée aux mains de groupes djihadistes.
Depuis la chute du régime de Muammar Kadhafi, tué en octobre 2011 après 8 mois de rébellion, les autorités ne parviennent plus à contrôler les dizaines de milices formées d’ex-insurgés qui font désormais la loi dans le pays, en l’absence d’une armée et d’une police fortes.
Face à ce chaos, le gouvernement égyptien a appelé ses ressortissants à se diriger vers la frontière tunisienne en prélude à leur rapatriement en Egypte.
Depuis le 30 juin, les Egyptiens sont victimes d’exactions des milices islamistes. Celles-ci voient d’un mauvais oeil le renversement des Frères musulmans en Egypte. Le gouvernement égyptien avait retiré son personnel diplomatique de Libye après l’enlèvement, au début de l’année, d’un certain nombre de diplomates égyptiens dans ce pays.
L’ambassadeur d’Egypte en Libye poursuit actuellement son travail à partir du Caire. « Durant mes deux mois de séjour, j’ai été arrêté 3 fois par des milices islamistes qui m’ont confisqué tous mes biens : montres, téléphones portables et argent. J’ai tout lâché pour sauver ma vie. Grâce à Dieu j’ai pu rejoindre le poste frontalier pour repartir vers l’Egypte », raconte Fayez Seddiq.
Les Egyptiens représentent la plus grande communauté étrangère en Libye avec 1,5 à 2 millions de ressortissants. Beaucoup d’entre eux subissent le chaos qui sévit dans le pays. Mais comme le souligne Khaled Hanafi du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, « ce sont surtout les Egyptiens habitant les deux régions théâtres de violences, à savoir Tripoli et Benghazi, qui tentent à tout prix de fuir la Libye, alors que dans les autres villes libyennes la communauté égyptienne reste à l’abri des violences ».
C’est aussi ce qu’affirme à l’Hebdo le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Badr Abdel-Ati, qui se dit « rassuré » au sujet des Egyptiens installés loin des violences. Il affirme que « des efforts incessants sont déployés par le ministère des Affaires étrangères pour faciliter le rapatriement des Egyptiens via les frontières tunisiennes ». Un comité national chargé de suivre les Egyptiens en Libye travaille en continu.
L’Egypte a aussi mis en place un pont aérien depuis la Tunisie pour évacuer des milliers d’Egyptiens bloqués à la frontière tuniso-libyenne, en les exemptant de tous les frais de voyage. 1 800 ont été évacués jusqu’à présent.
« L’Egypte étudie aussi la possibilité d’une liaison maritime depuis le port tunisien de Zarzis au sud », annonce Abdel-Ati. En coopération avec les autorités tunisiennes et libyennes, le ministère a aussi augmenté le personnel consulaire dépêché aux frontières entre la Libye et la Tunisie.
Dans le même contexte, le chef de la diplomatie égyptienne a précisé avoir donné ses directives à l’ambassadeur d’Egypte en Libye afin de se rendre du côté libyen des frontières et de coordonner avec les autorités et les tribus libyennes pour garantir la sécurité des Egyptiens qui se trouvent sur le sol libyen.
Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, s'est rendu en Libye pour superviser lui-même l'évacuation des Egyptiens.
L’ambassadeur d’Egypte en Tunisie doit, lui, se rendre à Ras Jedir pour s’informer des conditions de vie des ressortissants égyptiens. Des contacts ont aussi été établis avec les chefs des tribus libyennes pour assurer la protection des Egyptiens présents à la frontière avec la Tunisie jusqu’à ce qu’ils puissent gagner le territoire tunisien.
« Ces efforts sont importants, mais je pense que pour garantir la sécurité des Egyptiens aux frontières, l’Egypte devrait contacter les parties en conflit qui prennent les Egyptiens pour cible et parvenir à un accord pour garantir leur sécurité. Si la tentative échoue, il serait indispensable d’exiger une protection internationale », estime Khaled Hanafi.
Selon lui, deux raisons principales sont derrière les attaques contre les Egyptiens en Libye : « La première est qu’après la destitution des Frères, certains groupes sympathisants de la confrérie ont décidé de se venger des Egyptiens. Ces mêmes parties pensent que l’Egypte, sous le pouvoir militaire, soutient un camp au détriment de l’autre. Ce qui n’est pas vrai ».
Jusqu’à présent, le bilan des morts parmi les Egyptiens en Libye reste imprécis. Aucun chiffre officiel n’a été annoncé jusqu’à présent. On a parlé de la mort de 23 ouvriers égyptiens à Tripoli, mais cette information a été démentie par les Libyens. Dans un autre contexte, 14 travailleurs égyptiens sont morts lors d’une attaque aux missiles contre leur résidence à Tripoli. La semaine dernière, 2 Egyptiens avaient été tués par balles dans des affrontements ayant eu lieu entre des citoyens égyptiens et des éléments sécuritaires et militaires libyens, au poste frontalier de Ras Jedir.
Badr Abdel-Ati assure à l’Hebdo qu’« aucun chiffre officiel ne peut pour le moment être annoncé concernant le nombre total des Egyptiens morts en Libye ».
Lien court: