Les révolutionnaires réclament l'amendement de la loi sur les manifestations.
Depuis son adoption en novembre 2013, la loi régissant le droit de manifester alimente les interrogations. Et la récente décision de la déférer devant la Cour constitutionnelle n’a fait qu’envenimer le débat. La Cour administrative du Caire avait accepté, le 17 juin, un recours déposé contre la constitutionnalité de cette loi. Le recours, présenté par le Centre égyptien des droits sociaux et économiques, présidé par l’avocat et l’ancien candidat à la présidentielle de 2012, Khaled Ali, et le Centre du soutien à l’Etat de droit, a été déféré devant la Haute Cour Constitutionnelle (HCR). Celle-ci devra statuer sur la constitutionnalité de la loi d’ici octobre prochain.
La loi est très contestée par les associations de défense des droits de l’homme ainsi que par plusieurs partis politiques qui réclament son amendement. Alors qu’elle est en examen à la Cour constitutionnelle, le débat resurgit de plus belle. « Les articles 15 et 73 de la Constitution égyptienne garantissent aux citoyens le droit de manifester pacifiquement ainsi que le droit de faire grève et d’organiser des sit-in. Or, la loi sur les manifestations permet aux autorités de les interdire et de les disperser violemment », explique Khaled Ali. Il réclame un amendement de la loi, notamment les articles 8 et 10 qui ne sont pas conformes à la Constitution. L’article 8 rend obligatoire l’autorisation préalable du ministère de l’Intérieur à toute personne voulant organiser une manifestation. La demande d’autorisation doit être présentée au moins trois jours à l’avance et doit indiquer le lieu et le trajet de la manifestation ainsi que les revendications et les slogans qui seront scandés. L’article 10 donne au ministère de l’Intérieur le pouvoir de reporter ou d’annuler une manifestation pouvant « représenter une menace à la sécurité et à l’ordre public », ou de modifier son itinéraire. En cas de contravention, la loi impose une peine d’un à 5 ans de prison et/ou une lourde amende de 100 000 L.E.
La loi sur les manifestations a été adoptée quatre mois après la destitution du président Mohamad Morsi, le 3 juillet 2013, en pleine vague de violence menée par les partisans de Morsi, qui contestaient sa destitution. Des manifestations quasi quotidiennes avaient alors lieu dans tout le pays, bloquant les routes, entravant la circulation et commettant des actes de sabotage et de violence. Le chef du gouvernement de l’époque, Hazem Al-Beblawy, avait alors affirmé que « la loi ne restreint pas le droit de manifester, mais vise en premier lieu à rétablir l’ordre, à réglementer les manifestations et à protéger les droits des manifestants ».
Plusieurs activistes et figures de la révolution du 25 janvier 2011 ont été arrêtés par les autorités, pour avoir transgressé la loi et « manifesté illégalement ». Parmi eux, figurent les activistes Mohamad Adel, Ahmad Douma et Ahmad Maher, fondateur du mouvement du 6 Avril, qui ont été condamnés en avril à 3 ans de prison ferme et une amende de 50 000 L.E. Le blogueur Alaa Abdel-Fattah a lui aussi été poursuivi pour violation de la loi, et condamné, le 11 juin, à 15 ans de prison. Des centaines de personnes font l’objet de poursuites en justice ou ont été condamnées à des peines de prison pour avoir violé la loi. « La situation est devenue insupportable. La loi est effectivement destinée à interdire les manifestations et non pas à les réglementer. Elle constitue un sérieux revers aux acquis de la révolution, et n’a fait que rétablir l’Etat sécuritaire », s’insurge Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme.
La semaine dernière, plusieurs centaines de personnes s’étaient rendues devant le palais d’Al-Ittihadiya, pour protester contre la loi. Une vingtaine de manifestants ont été arrêtés, dont 7 femmes.
Pas utiliser la force
La loi contredit non seulement la Constitution, mais aussi les chartes et conventions internationales ratifiées par l’Egypte sur les libertés et les droits civils et politiques. En vertu du droit international, les forces de sécurité ne doivent pas utiliser la force, sauf s’il n’existe pas d’autres solutions pour protéger la vie ou éviter des blessures graves. Les normes des Nations-Unies indiquent également que lors de la dispersion des rassemblements illégaux mais non violents, les forces de sécurité doivent éviter le recours à la force ou le réduire au strict minimum nécessaire. « Cependant, la loi égyptienne permet aux forces de sécurité d’utiliser des balles réelles pour disperser les manifestants qui menacent la sécurité publique, ou pour protéger des vies, des intérêts financiers ou des bâtiments. Ce qui contredit clairement la Constitution », ajoute Malek Adly, avocat au Centre des droits sociaux et économiques, tout en promettant de s’opposer aux tentatives des autorités, pour interdire les manifestations d’opposition.
Une autre question se pose. La loi a été promulguée par le président par intérim Adly Mansour. Or, ce dernier est revenu à son poste d’origine en tant que président de la Haute Cour constitutionnelle. Et c’est lui qui devrait décider de la constitutionnalité de la loi qu’il avait déjà ratifiée, conformément aux pouvoirs législatifs qui lui avaient été accordés, vu l’absence d’un Parlement élu. « Pour garantir l’objectivité, Mansour devrait renoncer à examiner la loi », conclut Ali.
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