Seul rescapé de la révolution du 30 juin parmi les partis islamistes, le parti salafiste Al-Nour va-t-il survivre au régime de Abdel-Fattah Al-Sissi ? Interrogé sur le sort de ce parti, deuxième force politique derrière les Frères musulmans après le 25 janvier 2011, le maréchal a rappelé que la Constitution interdit les partis à référence religieuse. « Je ne dois rien à personne », avait martelé Sissi.
Ces déclarations de Sissi et celles, similaires, du mouvement Tamarrod, qui avait lancé le mouvement de contestation contre l’ancien président Mohamad Morsi, annoncent la fin de la lune de miel entre le parti et le nouveau pouvoir.
Sur les nerfs, à cause de la faiblesse du taux de participation à l'élection présidentielle, la campagne électorale de Sissi a ouvert le feu sur Al-Nour, l’accusant de « duperie » et d’afficher un soutien fictif à Sissi alors qu’en réalité, le parti aurait boycotté le vote.
La campagne de Sissi accuse sans fard Al-Nour de jouer un double jeu. « Le déroulement du vote a dévoilé que les membres du parti ont boycotté le scrutin ou invalidé leur voix. Hélas, en dépit du soutien déclaré à Sissi, le parti reste loyal aux Frères musulmans », critique Mohamad Hamed, ex-député, et membre de la campagne de Sissi.
Selon lui, la « mobilisation » du parti en faveur de Sissi est un mensonge, ni plus ni moins une forme d’opportunisme politique. « Les salafistes sont à la recherche d’une place sur l’échiquier politique. A l’issue de la révolution du 25 janvier, ils se sont ralliés aux Frères sans rien gagner. Aujourd’hui, tout en gardant cette loyauté aux Frères, ils manoeuvrent pour survivreet faire survivre les Frères. Leur but est de dominer le Parlement, mais aussi d’offrir une vitrine aux Frères musulmans en les incluant dans leurs listes », accuse Abou-Hamed, qui trouve « normal » que ce parti soit dissout, car la Constitution interdit les partis religieux.
Cet avis est partagé par Emad Gad, du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Les salafistes veulent rester sur la scène politique sous un étendard religieux. Nous voyons renaître ici une autre forme du Parti Liberté et justice des Frères musulmans. Il faut absolument mettre fin à cela, il est temps d’éloigner la politique de la religion en interdisant tout parti politique à tendance religieuse », dit-il.
Selon lui, le maintien de ce parti, comme des autres partis islamistes, représente une « atteinte inadmissible à la Constitution. Si au début le pouvoir transitoire a dû fermer les yeux sur le parti Al-Nour, après l’approbation de laConstitution pour ne pas apparaître comme hostile au courant de l’islam politique. Il faut redresser la barre ».
Des arguments rejetés catégoriquement par Galal Al-Morra, secrétaire général du parti Al-Nour. « Il serait injuste de nous imputer l’échec de la campagne de Sissi à mobiliser les électeurs. La campagne n’a pas travaillé sur le terrain et s’est contentée de parcourir les chaînes satellites. Quant à nous, nous avons sillonné les villages pour exhorter les gens à voter Sissi, et nous avons offert plus de 4 000 bus pour transporter les électeurs », se défend Al-Morra.
Il ajoute que ces accusations ne visent qu’a défigurer le parti et reflètent une hostilitéinjustifiée au courant islamiste. « Ce courant est bien implanté dans la société. C’est une réalité à ne pas omettre. Il faut ouvrir une nouvelle page. Le processus politique doit être inclusif », affirme-t-il.
Le difficile pari des salafistes
Après le 30 juin, les salafistes Al-Nour ont apporté leur soutien à Sissi, dans l’espoir de survivre. Le 3 juillet, à la surprise générale, ils sont entrés par la grande porte dans l’arène politique de la nouvelle période transitoire.
Al-Nour est né après la révolution de janvier 2011 de l’appel salafiste, un mouvement qui prêche « l’islam authentique des prédécesseurs ». Al-Nour est le bras politique de ce mouvement religieux. Al-Nour s’allie aux Frères musulmans au lendemain de la révolution de janvier 2011, mais sans rien obtenir.
Malgré un résultat de 25% aux élections législatives, le parti n’obtient aucun ministère important sous Morsi et se voit proposer seulement le ministère des Waqfs. Après la révolution du 30 juin, le parti prend fait et cause pour la destitution de Morsi, une exception dans le paysage politique islamiste.
Le politologue Gamal Zahrane, estime qu’il est trop tôt pour connaître l’intention de Sissi à l’égard d’Al-Nour. « Je ne crois pas que le maréchal lui-même ait tranché cette question. Il se trouve à présent dans une situation embarrassante. D’une part, il doit faire preuve de respecter la Constitution, de l’autre, il est difficile de se débarrasser des salafistes alors que la contestation islamiste se poursuit, que les forces révolutionnaires s’indignent de la répression. Dans de telles conditions, il n’est pas prudent d’ouvrir un nouveau front avec les salutistes. Le scénario le plus probable est de laisser la justice décider de l’avenir du parti Al-Nour. Celle-ci examine en ce moment un recours sur sa dissolution ».
Représenter l’islam politique
Ahmad Ban, spécialiste des mouvements islamistes, estime cependant que les salafistes tenteront de représenter l’islam politique, qui n’a certainement pas pris fin avec la chute des Frères musulmans. « Le parti Al-Nour est conscient des erreurs commises par les Frères et estime qu’il serait injuste de mettre tous les courants islamistes dans le même panier. C’est pourquoi les salafistes se sont rapprochés, depuis le début, de l’Armée. C’est en se ralliant à la révolution du 30 juin que ce parti est parvenu à sauver sa place, jusqu’à présent, sur la scène politique. Le problème est qu’aujourd’hui, il commence à perdre son âme et ses partisans », affirme Ban.
Selon lui, « contrairement aux autres partis islamistes, Al-Nour a choisi de jouer pragmatique. Mais plusieurs facteurs menacent son existence, dont sa rigidité doctrinale, imposée par les cheikhs de l’appel salafiste ». L’Appel salafiste a toujours reproché au parti l’exercice politique loin des objectifs du mouvement salafiste, notamment en ce qui concerne l’application de la charia. « Les membres du parti sont plus influencés par l’appel salafiste que par le parti. Et c’est ce qui explique pourquoi les bases du parti ne se sont pas pliées aux instructions de leurs dirigeants lors de l'élection présidentielle comme lors du référendum sur la Constitution. Cette inflexibilité dogmatique des salafistes, malgré certaines prises de positions politiques habiles de la part du parti, devrait lui poser de réels problèmes s’il participe un jour au pouvoir. De même, la chute de popularité des Frères musulmans a aussi affecté l’ensemble de la mouvance islamiste, y compris les salafistes d’Al-Nour», poursuit le spécialiste des mouvements islamistes.
Si le sort d’Al-Nour est menacé, c’est en partie à cause des salafistes eux-mêmes, qui se sont propulsés sur le devant de la scène politique dans un esprit de compétition avec les Frères musulmans et sans avoir de ligne politique claire et distincte des Frères ou de l’appel salafiste.
« Cette rapidité avec laquelle les salafistes sont entrés dans l’arène politique sans délimiter les frontières entre la prédication et la politique les a empêchés de développer un programme politiquement cohérent. Enfin, les divisions au sein du courant salafiste et l’hostilité accrue aux islamistes depuis le 30 juin, sont des facteurs qui peuvent faciliter la tâche du nouveau régime pour se débarrasser d’Al-Nour sans lui reprocher d’avoir tourné le dos à ses alliés du 30 juin », conclut Ban.
Lien court: