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Mode de scrutin  : le débat continue

Ola Hamdi et Héba Nasreddine, Mardi, 13 mai 2014

Le scrutin mixte a été retenu pour les prochaines législatives par la commission d'amendement des lois de l'exercice politique. Mais toute la classe politique n'est pas accord.

Mode de scrutin
La nature du mode de scrutin a toujours été un facteur déterminant dans la composition du Parlement.

Les prochaines élections législatives, prévues en principe en juillet, seront organisées selon un mode de scrutin mixte. C’est ce qu’a décidé, le 4 mai, la Commission d’amendement des lois de l’exercice des droits politiques et du Parlement. Une commission formée, selon le décret républicain 126/2014, pour examiner l’ensemble des lois régissant le système électoral, en collaboration avec des juristes, et sous la présidence du ministre des Affaires parlementaires et de la Justice transitoire, Mohamad Amin Al-Mahdi.

Cette commission, qui a commencé ses travaux le 23 avril, avait un délai de 15 jours pour achever son rapport et soumettre ses propositions au dialogue communautaire, et ensuite au Conseil d’Etat, avant leur promulgation.

Après de longues discussions, c’est le mode de scrutin mixte qui a été retenu. Ce système électoral réunit le scrutin de liste et le scrutin uninominal. Il permet aux candidats indépendants de se présenter, soit à titre individuel, soit sur une liste, alors que ceux issus des partis politiques se présentent sur les listes de leurs partis.

Les récentes élections législatives de 2012 se sont déroulées conformément au scrutin mixte. Le scrutin de liste a été utilisé pour les deux tiers des sièges, et le scrutin uninominal pour un tiers des sièges. Mais le scrutin mixte avait été déclaré anticonstitutionnel par la Cour constitutionnelle, car ne garantissant pas l’égalité des chances pour les candidats indépendants et ceux appartenant à un parti.

Depuis la restauration du multipartisme en 1976, l’Egypte a connu plusieurs systèmes électoraux. Ce fut d’abord le mode de scrutin uninominal aux législatives de 1976 et 1979. En 1987, les élections se sont déroulées sur la base d’un nouveau mode de scrutin mixte, selon lequel chaque circonscription aurait un seul député élu à titre individuel, les autres étant élus à travers des listes proposées par les partis politiques. Il y avait alors seulement 48 sièges pour les indépendants, sur 480. La Cour constitutionnelle avait déclaré anticonstitutionnel le scrutin en raison de l’inégalité entre les candidats indépendants et appartenant à un parti. L’Assemblée a été dissoute avant la fin de son mandat, pour être remplacée par celle formée en 1990.

Depuis, le scrutin uninominal a été adopté. Il permet un rapprochement entre le candidat et l’électeur, car celui-ci peut directement élire son député et non pas une liste, dont les membres lui sont pour la plupart inconnus. Il a en revanche donné naissance au candidat « homme d’affaires », qui souhaite intégrer le système politique en entrant au Parlement.

Après la révolution du 25 janvier 2011, le système a été rejeté par les coalitions des jeunes révolutionnaires, l’accusant de tous les maux liés à l’ancien régime de Moubarak : irrégularités, fraude, achat des voix et violences. Ils lui reprochent aussi d’avoir affaibli les partis et corrompu la vie politique au profit de candidats apolitiques avides de gains matériels et n’aspirant qu’à leurs propres intérêts personnels, au détriment de ceux de la population.

Ils l’accusent en outre de favoriser des valeurs politiques traditionnelles telles que les liens familiaux et tribaux, contraires à une vie politique moderne et une véritable démocratisation. Ils craignent enfin que l’application de ce système ne favorise le retour des anciennes figures: hommes d’affaires et caciques de l’ancien régime. Ils ont exigé un scrutin de liste exclusivement. Celui-ci, jugé anticonstitutionnel, a été écarté par le Conseil militaire qui a géré le pays après la chute de Moubarak. C’est le système mixte qui était choisi, en accordant deux tiers des sièges aux listes, et un tiers aux candidatures individuelles.

Retour au scrutin mixte

Aujourd’hui, le mode de scrutin mixte est de nouveau sur la table. « La majorité des juristes membres de la commission saluent l’application de ce système électoral, car il est le plus pratique », souligne le conseiller Mahmoud Fawzy, porte-parole officiel de la commission.

Selon lui, ce système est en conformité avec la Constitution. Celle-ci, dans l’article 87, donne à toute personne le droit de se porter candidate aux élections. Il garantit, d’autre part, une bonne représentation de l’ensemble des partis politiques actifs ainsi que les jeunes révolutionnaires, la communauté copte, les femmes, les ouvriers, les paysans et les handicapés. « Ce qui favorise effectivement un engagement actif dans la vie parlementaire de toutes les catégories », affirme Fawzy. D’où son approbation par différentes formations politiques comme le parti salafiste Al-Nour, l’Egyptien démocrate, les Egyptiens libres, et Al-Dostour. « Les partis actuels ne représentent qu’environ 20% du total des électeurs. Ce système permettra alors à la majorité, notamment dans les zones rurales, et ceux inaptes à faire la différence entre les programmes et les idéologies politiques des différents partis, d’élire plus facilement un candidat qu’elle connaît », rétorque Achraf Sabet, vice-président du parti Al-Nour.

Pour éviter toute anti-constitutionnalité, Abdel-Ghaffar Chokr, président du parti de la Coalition populaire socialiste, propose un scrutin mixte conjuguant à proportion égale scrutin de liste et scrutin individuel. « Il faudrait accorder 50% des sièges aux listes et 50% aux candidatures individuelles, pour ne pas tomber dans le piège discriminatoire envers les candidats indépendants », dit-il. Avis partagé par le parti des Egyptiens libres.

Favoriser le retour des anciennes figures

Mais pour d’autres, notamment les forces révolutionnaires ainsi que les partis du Rassemblement, du néo-Wafd et d’Al-Moetamar (le congrès), ce système est défaillant. « Le mode de scrutin mixte favorise le retour des anciennes figures, même en nombre limité. Il ne fera que gâcher les gains de la révolution», dénonceHussein Abdel-Razeq, membre du bureau politique du parti du Rassemblement (gauche).

Il ajoute que les craintes se sont multipliées suite aux déclarations officielles du porte-parole de la commission d’amendement des lois de l’exercice des droits politiques et du Parlement. « La décision de la Cour des référées d’interdire aux cadres du Parti National Démocrate (PND, dissout) d’exercer leurs droits politiques est contraire à celle de la Cour suprême constitutionnelle, déclarant inconstitutionnelle la loi politique d’isolement. Seuls ceux condamnés par la justice qui n’ont pas le droit de se porter candidats aux élections conformément à la loi des droits politiques », avance Fawzy.

Pour les opposants, le scrutin de liste est le mieux. Selon ce système, chaque parti présente une liste de candidats. « Il évite l’intégration des caciques d’une part. Et d’autre part, il permet une rivalité équilibrée entre les partis politiques loin de l’influence de l’argent et de l’hégémonie religieuse, notamment que plusieurs nouveaux et petits partis sont encore faibles et ne jouissent pas d’une base sociale qui leur garantirait une vraie concurrence avec des indépendants puissants financièrement », explique Karima Al-Hefnawi, secrétaire générale du Parti Socialiste égyptien.

La commission doit se réunir ce mercredi avec un certain nombre de partis politiques et des coalitions de jeunes, pour écouter leurs propositions avant d’approuver officiellement la loi électorale. Déjà, ces derniers se sont réunis avec des représentants des organisations des droits de l’homme samedi pour choisir un mode convenable aux principes de la démocratie. « On est d’accord sur le mode de scrutin proportionnel ouvert. Ce système permet de faire en sorte que les élus reflètent le plus équitablement possible la diversité des opinions des électeurs. Ces derniers peuvent choisir au sein d’une liste un ou plusieurs candidats, ce qui présente l’avantage de permettre une représentation plus fidèle à la réalité politique du pays », explique Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme.

Pour lui, « ce scrutin est d’ailleurs plus juste et plus démocratique. Les partis qui sont en mesure de gouverner doivent souvent mettre en oeuvre des alliances ou des coalitions avec d’autres formations politiques, afin d’obtenir une majorité. Le jeu des coalitions peut donner aux petits partis un rôle primordial, plus important que leur poids réel au sein de la majorité parlementaire ». Le dossier n’est pas encore clos.

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