Plusieurs ONG
, partis et mouvements politiques participent à cette campagne, dont le mouvement 6 Avril, les socialistes révolutionnaires, le Chemin de la révolution et le parti d’
Al-Dostour. Les activités de cette campagne dureront deux semaines au cours desquelles des manifestations, des colloques sur les répercussions de cette loi sur les libertés ainsi que des sit-in seront organisés. Mohamad Kamal, du mouvement du 6 Avril, explique que la campagne se fera sur 3 axes dans sa lutte contre la loi sur la manifestation. «
Un axe juridique avec des procès pour inconstitutionnalité de la loi, un axe politique en lançant une campagne de signatures demandant l’annulation de la loi, et enfin un axe populaire basé sur les manifestations », dit-il. Il rappelle que cette loi n’affecte pas seulement les forces révolutionnaires, mais également les ouvriers, les fonctionnaires et les simples citoyens. «
Sous cette loi, personne ne peut contester une injustice ou réclamer un droit. Le gouvernement sera obligé enfin d’annuler cette loi qui va à l’encontre de l’esprit et des revendications des deux révolutions, du 25 janvier et du 30 juin », estime Kamal. Pour sa part, Khaled Ismaïl, membre du bureau politique du mouvement du 6 Avril, souligne que cette campagne n’est pas seulement motivée par la libération de Douma et Maher, 2 figures de la révolution de 2011. Elle l’est aussi pour celle de centaines de détenus parmi les révolutionnaires victimes de cette loi. «
On aura recours à tous les moyens de pression pacifiques pour annuler cette loi qui n’organise pas le droit de manifester, mais le confisque. Si le régime n’annule pas la loi, nous entamerons un sit-in ouvert devant le palais d’Al-Ittihadiya dès le 26 avril et jusqu’à la chute de la loi. Nous avons informé le Conseil national des droits de l’homme du plan détaillé des activités de cette campagne pour montrer son aspect pacifique et dire qu’on ne veut pas de conflits avec l’Etat, mais seulement défendre les droits légitimes », indique Ismaïl.
Cette mobilisation a été décidée suite à la confirmation, cette semaine, des peines de prison contre 3 figures de proue de la révolution de 2011. La Cour d’appel a confirmé, cette semaine, des peines de prison ferme de 3 ans contre des cadres du mouvement du 6 Avril, pour avoir enfreint la loi sur la manifestation. Ahmad Seif, père de Alaa Abdel-Fattah et avocat des 3 militants, a annoncé qu’ils allaient se pourvoir en cassation, et qu’en cas d’échec, il saisirait la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. « Rien n’indique que l’Etat est disposé à desserrer son étau », a-t-il déclaré après l’annonce du verdict. Le procès remonte au 26 novembre dernier, lorsque Alaa Abdel-Fattah, Ahmad Maher, Ahmad Douma et Mohamad Adel et d’autres militants ont été arrêtés alors qu’ils participaient à une manifestation devant le Conseil consultatif, faisant fi de la loi sur la manifestation qui impose, selon eux, des restrictions draconiennes sur le droit de manifester (voir enc). Ces appels à défier la loi ont donné lieu à des affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants. Ces derniers ont été tabassés, arrêtés et incarcérés. Des pratiques que les révolutionnaires perçoivent comme un retour à l’autoritarisme et à l’Etat policier de Moubarak.
« Les révolutionnaires écrasés »
Les militants laïques se disent « très touchés » par cette répression de l’opposition qui, autrefois, était dirigée contre les islamistes. Nourhan Hefzi, épouse d’Ahmad Douma, jure de faire tomber cette loi sur la manifestation. Elle accuse le régime d’utiliser cette loi contre les activistes et les révolutionnaires qui se sont déjà opposés aux régimes de Moubarak et de Morsi. « On pensait qu’on verrait se mettre en place un Etat démocratique. Hélas, aujourd’hui, les libéraux et révolutionnaires sont écrasés. Alors que les islamistes poursuivent leurs manifestations, Douma et ses collègues sont arrêtés pour avoir scandé des slogans et porté des banderoles. C’est de l’absurdité, et cette loi oppressive et liberticide ne doit pas rester en place », martèle Nourhan.
Elle ajoute que si ces jeunes se battent aujourd’hui contre cette loi, c’est parce qu’ils sentent que l’un des acquis de la révolution est en passe d’être perdu. « Ces groupes révolutionnaires ont été le fer de lance du soulèvement populaire du 25 janvier 2011 et étaient aussi en première ligne de la révolution du 30 juin contre le régime des Frères musulmans. Ils refusent que l’on touche au droit de manifester », dit-elle. « Les activistes ont perdu le peu de liberté qu’ils avaient acquis », renchérit, pour sa part, Ahmad Salah, du mouvement des socialistes révolutionnaires.
Laïla Soueif, activiste et professeur à l’Université du Caire, pense que certains symboles du régime de Moubarak sont toujours là. « La mise en vigueur de cette loi montre la volonté des services de sécurité de revenir aux anciennes méthodes répressives », accuse Soueif. Vision partagée par le politologue Ahmad Abd-Rabbou, qui estime que le 30 juin a été exploité par certains pour reconquérir le terrain perdu et tenter de réinstaller l’Etat profond. « Mais les forces révolutionnaires assument une partie de la responsabilité. Une partie de l’opposition a cru qu’elle pouvait s’allier à l’ancien régime pour renverser Morsi », pense-t-il. Mais pour Yasser Qoura, du parti le Mouvement national, les appels à faire tomber la loi sur les manifestations sont irresponsables et visent à démolir l’Etat de droit. « Assez de chaos. Le respect des libertés doit aller en parallèle avec le respect de la loi. Tous les pays du monde adoptent des mesures et des lois pour organiser le droit de manifester, mais en Egypte, on appelle à maintenir le désordre. Quelle est la logique ? », s’insurge-t-il. Les autorités ont cherché à maintes reprises à rassurer les jeunes qu’il « n’y aura pas de retour en arrière ».
Les articles contestés de la nouvelle loi sur l’organisation du droit à manifester
— Conformément à l’article 8 de la loi, quiconque souhaite organiser un rassemblement ou une manifestation pacifique doit en avertir le ministère de l’Intérieur au moins 3 jours à l’avance. Les organisateurs doivent présenter un document écrit indiquant le trajet précis qu’empruntera le cortège, la nature de la manifestation, son but et les demandes ou objections qui seront formulées, et l’heure de début et de fin de la manifestation. Mais aussi les slogans qui seront scandés et la teneur des affiches et pancartes qui seront brandies, l’identité complète des organisateurs ainsi que leur adresse personnelle et leurs coordonnées.
— L’article 10 octroie au ministère de l’Intérieur le droit de reporter, déplacer ou même annuler toute manifestation s’il considère que l’événement constitue « une menace pour la sécurité ou la paix ». Les organisateurs peuvent présenter un recours devant la Cour de première instance pour contester l’interdiction de leur manifestation.
— L’article 12 prévoit, en cas de violences de la part des manifestants, une utilisation graduelle de la force allant des avertissements verbaux aux canons à eau, en passant par les matraques et les gaz lacrymogènes.
— L’article 13 autorise le ministère de l’Intérieur à avoir recours à des tirs de semonce, des tirs de carabine et enfin des balles réelles, proportionnellement au danger que représentent les participants.
— Tout organisateur d’une manifestation non déclarée et non autorisée s’expose à une amende de 10000 à 30000 L.E. Et les sanctions prévues en cas d’atteinte à l’ordre public et à la sécurité peuvent atteindre 2 à 5 ans de prison, et jusqu’à 200000 L.E. d’amende sont encourues.
— En vertu de l’article 17, ceux qui, durant une manifestation, sont arrêtés en possession d’armes ou d’explosifs, risquent une peine de prison de 7 ans et une amende de 100000 à 300000 L.E.
— L’article 18 stipule que tous ceux qui financent une marche non autorisée et reçoivent un financement pour y participer sont passibles d’une peine d’emprisonnement et d’une amende de 100000 à 200 000 L.E.
— L’article 21 sanctionne les organisateurs d’une manifestation non autorisée par une amende de 10000 à 30000 L.E.
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