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Des mesures qui ne font pas l’unanimité

May Al Maghrabi, Mardi, 08 avril 2014

Le gouvernement a modifié le code pénal tandis qu’une loi sur le terrorisme est en préparation. Les amendements proposés font toutefois craindre le retour de l’Etat policier.

Etat policier
L'attentat contre le quartier général de la police au Caire fin janvier dernier a choqué les Egyptiens. (Photo : AP)

L’Etat s’en va en guerre contre le ter­rorisme. Alors que les attaques contre l’armée et la police se multiplient et que l’université est devenue un terrain d’attentats terroristes et de violence, le Conseil des ministres s’est empressé d’amender cer­taines clauses du code pénal relatives aux « crimes terroristes ». En vertu de ces amende­ments, les sanctions à l’égard de ces actes « ter­roristes » ont été durcies et la notion même de terrorisme a été élargie. Parallèlement, le gou­vernement entend promulguer prochainement une loi indépendante sur le terrorisme. L’article 15 du code de procédure pénale élargit désor­mais les pouvoirs de l’exécutif en attribuant au Président de la Républiquele droit d’appliquer des mesures de sécurité exceptionnelles avec l’approbation préalable du Parlement. En outre, les forces de sécurité peuvent détenir des indivi­dus sans mandat d’arrêt pendant 74 heures renouvelables sans préciser les raisons de cette détention, ceci en dépit du fait que la loi stipule que tout individu a le droit d’être présenté devant le procureur dans les 24 heures suivant son arrestation. La peine minimale de certains crimes comme le fait de « changer par la force le régime ou la Constitution » et le fait « d’em­pêcher un fonctionnaires d’exercer son tra­vail » est de 10 ans de prison. L’article 86 défi­nit les crimes terroristes comme étant toute activité « portant gravement atteinte à l’ordre public », « mettant en danger les intérêts ou la sécurité de la société », « empêchant les autori­tés de mener à bien certaines de leurs activi­tés », « mettant en danger la vie, les droits ou les libertés des citoyens », et « impliquant des actes dont la finalité est d’entraver la mise en oeuvre de la Constitution ou de la loi ».

La loi sur le terrorisme toujours au stade de projet prévoit la peine capitale pour toute per­sonne qui « fonde, ou crée un groupe, une asso­ciation ou un organisme qui appelle par n’im­porte quel moyen à suspendre les dispositions de la Constitution ou les lois et à empêcher les institutions de l’Etat ou les autorités d’exercer leurs fonctions ». Le projet de loi s’étend aussi aux restrictions sur la liberté d’expression sur Internet. L’article 21 prévoit 7 ans de prison pour toute personne quifait la propagande, directement ou indirectement, d’un acte terro­riste cité par la loi, soitverbalement ou par la publication sur des sites électroniques. L’article 28 du projet octroie au Parquet général le droit d’arrêter ou de bloquer n’importe quel site Internet s’il est utilisé dans un acte considéré comme « terroriste ». Le Parquet a en vertu du projet de loi accès aux comptes bancaires des clients durant l’enquête. Et ceci en violation de la loi 205 de l’année 1990, relative à la confi­dentialité des comptes bancaires, qui interdit un tel accès sans l’autorisation préalable d’un juge. L’article 37 prévoit la création d’un « Parquet spécial pour les crimes terroristes », ainsi que « des tribunaux spéciaux ». L’article 40 accorde à tout membre du Parquet les mêmes pouvoirs et prérogatives que le procureur général, le juge d’instruction et le tribunal correctionnel.

Réactions controversées

La nouvelle législation anti-terroriste pro­voque des réactions controversées. Pour cer­tains, c’est une tentative de réinstaurer l’Etat policier tandis que pour d’autres, ces législations sont indispensables pour éradiquer le terrorisme. « La situation est alarmante, face à cette montée en flèche des actes terroristes, l’Etat ne peut pas rester les bras croisés », indique Hafez Al-Rahawan, professeur à l’Académie de Police. Selon lui, le durcissement des peines et l’élargis­sement des pouvoirs de l’exécutif faciliteront la poursuite des éléments terroristes. « Aux Etats-Unis, comme dans d’autres pays du monde, on a eu recours à des lois exceptionnelles anti-terro­risme. Il est légitime de recourir à de telles mesures pour protéger la sécurité nationale. Mais il faut avoir la volonté politique de les appliquer fermement et fournir aux forces de sécurité les moyens techniques et financiers nécessaires pour accomplir leur mission », pense Rahawan. Tout le monde ne partage pas cependant ce point de vue. Pour Mohamad Rashwan, avocat, l’Egypte souffre d’une défaillance sécuritaire et pas législative. « L’état d’urgence et les lois exceptionnelles n’ont jamais mis fin aux attentats terroristes. Le véri­table problème réside dans l’insuffisance des moyens dont souffrent les services de sécuri­té. Les articles du code pénal suffisent ample­ment pour lutter contre le terrorisme et il n’y a pas besoin de donner de larges pouvoirs à la police, ce qui débouchera sur des atteintes fla­grantes aux droits de l’homme », estime Rashwan.

Les droits fondamentaux menacés

Gamal Eid, avocat des droits de l’homme, ne cache pas son inquiétude. Selon lui, ces amen­dements du code pénal ne feront que renforcer la répression en incriminant certaines activités pacifiques et légitimes qui relèvent de la liberté d’expression, d’association et de réunion. « Comment peut-on qualifier ces activités de crimes terroristes passibles de la peine de mort ? », s’étonne-t-il. Quant au projet de loi sur le terrorisme, il touche, selon lui, les droits fondamentaux comme le droit de grève ou de manifestation. « Une grève qui empêche l’accès à une université ou à une institution de l’Etat, ou une manifestation contre une loi ou un article de la Constitution peuvent désormais être considérées comme des crimes terroristes. Le fait de ne pas imposer à la police l’obliga­tion de déclarer immédiatement l’arrestation d’une personne pourrait donner lieu à des détentions arbitraires », explique Eid.

Un communiqué signé par neuf organisations des droits de l’homme, critique la définition élargie de l’acte terroriste. Celui-ci englobe désormais un grand nombre de crimes, mais aussi d’actes de nature « légale ». Ainsi, les termes utilisés dans la définition de l’acte terro­riste sont très vagues comme « violation grave à l’ordre public », « acte susceptible d’exposer la sécurité ou les intérêts de la société au dan­ger ». L’acte terroriste est également défini comme étant « tout comportement qui pourrait nuire aux systèmes de télécommunications, à Internet, aux systèmes financier et bancaire, à l’économie nationale ou aux monuments et à l’environnement ». Les ONG craignent que cette définition ne soit mal exploitée pour res­treindre la liberté d’expression.

« Ces mesures ouvrent en effet la voie à des décisions arbitraires. Elles mettent dans le même panier tous les opposants au régime. Alors que la lutte contre le terrorisme est légi­time et nécessaire, elle ne doit pas mettre en péril les droits civils, économiques et poli­tiques », estime le politologue Hassan Nafea.

L’Etat semble encore hésiter à promulguer la loi sur le terrorisme. Suite à une réunion du Conseil des ministres qui a eu lieu jeudi dernier, il a été annoncé que la loi a été adoptée. Mais dimanche, la présidence a nié sa promulgation. Ali Awad, conseiller à la présidence, a déclaré que le Conseil des ministres a uniquement approuvé les amendements du code pénal.

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