L'attentat contre le quartier général de la police au Caire fin janvier dernier a choqué les Egyptiens. (Photo : AP)
L’Etat s’en va en guerre contre le terrorisme. Alors que les attaques contre l’armée et la police se multiplient et que l’université est devenue un terrain d’attentats terroristes et de violence, le Conseil des ministres s’est empressé d’amender certaines clauses du code pénal relatives aux «
crimes terroristes ». En vertu de ces amendements, les sanctions à l’égard de ces actes «
terroristes » ont été durcies et la notion même de terrorisme a été élargie. Parallèlement, le gouvernement entend promulguer prochainement une loi indépendante sur le terrorisme. L’article 15 du code de procédure pénale élargit désormais les pouvoirs de l’exécutif en attribuant au Président de la Républiquele droit d’appliquer des mesures de sécurité exceptionnelles avec l’approbation préalable du Parlement. En outre, les forces de sécurité peuvent détenir des individus sans mandat d’arrêt pendant 74 heures renouvelables sans préciser les raisons de cette détention, ceci en dépit du fait que la loi stipule que tout individu a le droit d’être présenté devant le procureur dans les 24 heures suivant son arrestation. La peine minimale de certains crimes comme le fait de «
changer par la force le régime ou la Constitution » et le fait
« d’empêcher un fonctionnaires d’exercer son travail » est de 10 ans de prison. L’article 86 définit les crimes terroristes comme étant toute activité «
portant gravement atteinte à l’ordre public », «
mettant en danger les intérêts ou la sécurité de la société », «
empêchant les autorités de mener à bien certaines de leurs activités », «
mettant en danger la vie, les droits ou les libertés des citoyens », et «
impliquant des actes dont la finalité est d’entraver la mise en oeuvre de la Constitution ou de la loi ».
La loi sur le terrorisme toujours au stade de projet prévoit la peine capitale pour toute personne qui « fonde, ou crée un groupe, une association ou un organisme qui appelle par n’importe quel moyen à suspendre les dispositions de la Constitution ou les lois et à empêcher les institutions de l’Etat ou les autorités d’exercer leurs fonctions ». Le projet de loi s’étend aussi aux restrictions sur la liberté d’expression sur Internet. L’article 21 prévoit 7 ans de prison pour toute personne quifait la propagande, directement ou indirectement, d’un acte terroriste cité par la loi, soitverbalement ou par la publication sur des sites électroniques. L’article 28 du projet octroie au Parquet général le droit d’arrêter ou de bloquer n’importe quel site Internet s’il est utilisé dans un acte considéré comme « terroriste ». Le Parquet a en vertu du projet de loi accès aux comptes bancaires des clients durant l’enquête. Et ceci en violation de la loi 205 de l’année 1990, relative à la confidentialité des comptes bancaires, qui interdit un tel accès sans l’autorisation préalable d’un juge. L’article 37 prévoit la création d’un « Parquet spécial pour les crimes terroristes », ainsi que « des tribunaux spéciaux ». L’article 40 accorde à tout membre du Parquet les mêmes pouvoirs et prérogatives que le procureur général, le juge d’instruction et le tribunal correctionnel.
Réactions controversées
La nouvelle législation anti-terroriste provoque des réactions controversées. Pour certains, c’est une tentative de réinstaurer l’Etat policier tandis que pour d’autres, ces législations sont indispensables pour éradiquer le terrorisme. « La situation est alarmante, face à cette montée en flèche des actes terroristes, l’Etat ne peut pas rester les bras croisés », indique Hafez Al-Rahawan, professeur à l’Académie de Police. Selon lui, le durcissement des peines et l’élargissement des pouvoirs de l’exécutif faciliteront la poursuite des éléments terroristes. « Aux Etats-Unis, comme dans d’autres pays du monde, on a eu recours à des lois exceptionnelles anti-terrorisme. Il est légitime de recourir à de telles mesures pour protéger la sécurité nationale. Mais il faut avoir la volonté politique de les appliquer fermement et fournir aux forces de sécurité les moyens techniques et financiers nécessaires pour accomplir leur mission », pense Rahawan. Tout le monde ne partage pas cependant ce point de vue. Pour Mohamad Rashwan, avocat, l’Egypte souffre d’une défaillance sécuritaire et pas législative. « L’état d’urgence et les lois exceptionnelles n’ont jamais mis fin aux attentats terroristes. Le véritable problème réside dans l’insuffisance des moyens dont souffrent les services de sécurité. Les articles du code pénal suffisent amplement pour lutter contre le terrorisme et il n’y a pas besoin de donner de larges pouvoirs à la police, ce qui débouchera sur des atteintes flagrantes aux droits de l’homme », estime Rashwan.
Les droits fondamentaux menacés
Gamal Eid, avocat des droits de l’homme, ne cache pas son inquiétude. Selon lui, ces amendements du code pénal ne feront que renforcer la répression en incriminant certaines activités pacifiques et légitimes qui relèvent de la liberté d’expression, d’association et de réunion. « Comment peut-on qualifier ces activités de crimes terroristes passibles de la peine de mort ? », s’étonne-t-il. Quant au projet de loi sur le terrorisme, il touche, selon lui, les droits fondamentaux comme le droit de grève ou de manifestation. « Une grève qui empêche l’accès à une université ou à une institution de l’Etat, ou une manifestation contre une loi ou un article de la Constitution peuvent désormais être considérées comme des crimes terroristes. Le fait de ne pas imposer à la police l’obligation de déclarer immédiatement l’arrestation d’une personne pourrait donner lieu à des détentions arbitraires », explique Eid.
Un communiqué signé par neuf organisations des droits de l’homme, critique la définition élargie de l’acte terroriste. Celui-ci englobe désormais un grand nombre de crimes, mais aussi d’actes de nature « légale ». Ainsi, les termes utilisés dans la définition de l’acte terroriste sont très vagues comme « violation grave à l’ordre public », « acte susceptible d’exposer la sécurité ou les intérêts de la société au danger ». L’acte terroriste est également défini comme étant « tout comportement qui pourrait nuire aux systèmes de télécommunications, à Internet, aux systèmes financier et bancaire, à l’économie nationale ou aux monuments et à l’environnement ». Les ONG craignent que cette définition ne soit mal exploitée pour restreindre la liberté d’expression.
« Ces mesures ouvrent en effet la voie à des décisions arbitraires. Elles mettent dans le même panier tous les opposants au régime. Alors que la lutte contre le terrorisme est légitime et nécessaire, elle ne doit pas mettre en péril les droits civils, économiques et politiques », estime le politologue Hassan Nafea.
L’Etat semble encore hésiter à promulguer la loi sur le terrorisme. Suite à une réunion du Conseil des ministres qui a eu lieu jeudi dernier, il a été annoncé que la loi a été adoptée. Mais dimanche, la présidence a nié sa promulgation. Ali Awad, conseiller à la présidence, a déclaré que le Conseil des ministres a uniquement approuvé les amendements du code pénal.
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