Le terrorisme frappe à nouveau mais change de tactique. Les attentats à la voiture piégée contre les bâtiments de la sécurité cèdent la place à des attaques sporadiques à l’arme automatique contre l’armée et la police. C’est le constat que l’on peut faire au lendemain de l’attentat de Mostorod.
Il était 5h du matin, samedi 15 mars, lorsque des inconnus ouvrent le feu sur un poste de contrôle de la police militaire dans la région de Mostorod à Choubra Al-Kheima, au nord du Caire. Bilan: 6 soldats tués.
« Les assaillants avaient posé deux bombes à proximité du point de contrôle avec l’intention de les faire exploser au moment de l’arrivée des secours », indique l’armée dans un communiqué. « L’attaque s’est produite pendant que les soldats faisaient leur prière », précise le porte-parole de l’armée, le colonel Ahmad Ali.
La télévision d’Etat a diffusé des images montrant des démineurs de l’armée faisant exploser l’une des bombes qui se trouvaient sur les lieux, placée à proximité du cadavre d’un soldat. Cet attentat est le deuxième visant des militaires cette semaine. Le 13 mars, un officier avait été tué et 3 soldats blessés au cours d’une attaque contre un bus de l’armée, au Caire.
Les attaques visant les militaires se multiplient depuis la destitution du président islamiste Mohamad Morsi en juillet 2013, et ont coûté la vie à plus de 200 soldats et policiers.
Les Frères accusés
L’armée accuse l’organisation des Frères musulmans d’être responsable des deux attaques. Mais cet attentat, tout comme les précédents, a été revendiqué par Ansar Beit Al-Maqdes, le plus actif des groupes terroristes en Egypte. Ce groupe djihadiste, qui opérait dans le Sinaï et qui a déjà revendiqué plusieurs attentats depuis la destitution de Morsi, comme celui de Mansoura, est soupçonné de servir d’écran à la confrérie des Frères musulmans, même s’il n’y a pas de preuve claire à ce sujet.
Le groupe affirme mener des attentats en représailles à la répression contre les partisans de Morsi. Quelques jours avant l’attentat de Mostorod, Ansar Beit Al-Maqdes avait annoncé la mort de son chef, Tewfiq Mohamad Fareej, suite à l’explosion d’une charge explosive qu’il transportait et qui a été déclenchée lors d’un accident de la route.
Mahmoud Zaher, expert en matière de sécurité, fait le lien entre la mort de Fareej et l’attentat de Mostorod. « Après la mort de son chef, le groupeveut prouver qu’il n’a pas été affecté et n’a pas perdu ses capacités », dit-il.
Mais le plus important selon lui, c’est que les terroristes ont profité du vide sécuritaire dans cette région pour exécuter l’attentat. « Comme c’est souvent le cas dans les postes de contrôle, l’armement des soldats est médiocre et ne leur a pas permis de se défendre, d’autant plus que Mostorod est très loin des zones de renforts. Cet attentat doit tirer la sonnette d’alarme pour les responsables de la sécurité. Ceux-ci doivent reconsidérer leurs plans en tenant compte du changement de tactique opéré par les terroristes qui optent désormais pour des opérations limitées mais sporadiques. Ce qui nécessite pour les appareils de sécurité plus de compétence et le recours à des technologies de pointe pour y faire face ».
Un avis partagé par Ahmad Bane, spécialiste des mouvements islamistes, pour qui la récente série d’attentats témoigne d’un changement important dans la tactique des groupes terroristes. D’une part, les groupes terroristes très actifs au nord du Sinaï ont pris pied dans le Delta, dans les villes du Canal de Suez et au Caire. D’autre part, les terroristes mènent des attaques moins fréquentes mais plus dispersées, pour épuiser les forces de sécurité.
« Ces nouveaux djihadistes disposent de techniques plus sophistiquées et leurs frappes sont extrêmement bien ciblées », précise Ban. Selon lui, le danger de ces individus vient du fait qu’ils ne sont pas réunis sous une même ombrelle. Et d’ajouter: « Il s’agit de petits groupes de 7 à 10 personnes, dont la majorité n’est pas connue des services de sécurité et qui constituent des cellules activistes prêtes à mourir au nom du djihad ».
Face à ce changement tactique des terroristes, les forces de sécurité doivent elles aussi changer de stratégie. A titre d’exemple, il propose de doter les installations étatiques et les bâtiments de la sécurité de caméras et d’appareils de détection sophistiqués, de substituer les postes de contrôle immobiles par d’autres mobiles, ce qui permettrait aux forces de l’ordre de couvrir un espace plus vaste et rendre plus difficile aux terroristes de choisir leurs cibles.
« La coopération entre les services de renseignement et les appareils de sécurité est aussi très importante pour pouvoir cibler ces groupuscules », assure l’expert.
Défis sécuritaires colossaux
Abdel-Rafée Darwich, expert militaire, reconnaît que des failles existent au niveau de la sécurité, mais il affirme en même temps que « les défis qu’affrontent l’armée et la police sont colossaux » face à une vague de terrorisme sans merci. « Des milliers d’extrémistes se sont infiltrés en Egypte par les frontières du Sinaï et par la Libye pendant la révolution de janvier 2011 et sous le pouvoir des Frères musulmans. Ces derniers ont facilité l’accès de ces groupes à l’Egypte, et le président destitué Morsi a libéré plusieurs dizaines d’éléments dangereux. La bataille ne sera pas facile, et il faudra sans doute des mesures exceptionnelles pour endiguer cette vague de terrorisme ».
Darwich pense que le code pénal ne suffit pas pour faire face au terrorisme, et réclame d’accélérer la promulgation de la nouvelle loi sur le terrorisme. Ce projet de loi prévoit la création d’un « Parquet spécial pour les crimes terroristes », ainsi que « des tribunaux spéciaux ». Le projet accorde aussi à tout membre du Parquet les mêmes pouvoirs et prérogatives que le procureur général et le tribunal correctionnel. Des dispositifs que Darwich juge nécessaires pour dissuader les terroristes et pour que leurs procès « ne traînent pas devant la justice ordinaire ».
Radicalisation
Kamal Habib, spécialiste des mouvements islamistes, estime, quant à lui, que la multiplication des attentats terroristes après la chute des Frères musulmans reflète la conviction des mouvements djihadistes que leurs buts ne seront plus atteints à travers un processus politique. « Ces radicaux misaient sur les Frères musulmans, pour instaurer l’Etat islamique, mais maintenant que le régime des Frères est tombé, il ne leur reste plus qu’à reprendre la lutte armée directement contre le régime comme dans les années 1990. Une exaspération que leur partagent les Frères musulmans, qui semblent aussi décidés de se radicaliser ».
Les autorités ont promis de venger « le sang des soldats morts en martyrs », lors d’une réunion du Conseil de la défense nationale, dirigé par le président par intérim Adly Mansour. Une réunion d’urgence du Conseil des ministres a été aussi convoquée dans la nuit de samedi à dimanche. Le gouvernement a promis d’agir avec fermeté contre « quiconque attaquerait des civils ou des installations gouvernementales ».
La réunion a débouché sur un certain nombre de décisions, entre autres, la poursuite des responsables des attaques contre l’armée devant les tribunaux militaires, le renforcement des mesures de sécurité autour des installations étatiques et le renforcement de l’armement livré aux soldats. Le gouvernement a aussi exhorté les syndicats ouvriers et les fonctionnaires à suspendre leurs contestations salariales en cette phase critique.
Hani Salah, porte-parole du Conseil des ministres, a déclaré que les forces armées vont renforcer la police si nécessaire. « Ces décisions réaffirment la volonté de l’Etat de frapper le terrorisme d’une main de fer. La campagne sécuritaire en cours dans le Sinaï depuis quelques mois a réalisé un grand succès et se poursuivra jusqu’à l’éradication de toutes les cellules terroristes cantonnées dans la péninsule », affirme Salah.
Il ajoute que ces actes terroristes n’entraveront pas la feuille de la route. Certains observateurs s’attendent à une montée de la violence à l’approche de l’élection présidentielle. Seuls les jours à venir dévoileront si le régime sera capable d’endiguer cette vague de terrorisme.
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