
(photo: Bassam Al-Zoghby)
Alors que les journalistes militent pour une réelle liberté d’expression qu’ils croyaient acquise depuis la révolution, plusieurs institutions étatiques cherchent à s’octroyer une immunité contre toute critique. La semaine dernière, le rédacteur en chef du quotidien gouvernemental Al-Gomhouriya, Gamal Abdel-Réhim, a été suspendu de ses fonctions après la publication d’un article évoquant des accusations de corruption contre les deux principaux ex-dirigeants militaires du pays, mis à la retraite en août.
D’après cet article, le maréchal Hussein Tantawi, chef d’Etat de facto de l’Egypte pendant la période de transition, et son second, le général Sami Annan, avaient été interdits de quitter le territoire égyptien en raison d’accusations de corruption.
Un responsable militaire avait fait part de la « profonde indignation » des forces armées après la publication de cet article, dont l’information a été tout de suite démentie par des sources judiciaires. Ahmad Fahmi, président du Conseil suprême de la presse (chargé de nommer les dirigeants des journaux gouvernementaux), a nommé à sa place un nouveau rédacteur en chef pour le journal, « jusqu’à ce que la question soit abordée lors de la prochaine réunion du Conseil ».
Le président Mohamad Morsi a cherché jeudi à rassurer les forces armées. « Je réfute totalement ce qui a été publié sur eux », a-t-il souligné, en affirmant que ces informations étaient « sans fondement ». « En tant que président de la République et commandant suprême des forces armées, j’insiste sur le respect total envers les dirigeants actuels et anciens des forces armées », a-t-il ajouté.
De son côté, le journaliste Gamal Abdel-Réhim a accusé les Frères musulmans, dont est issu le président Mohamad Morsi, d’exploiter cette affaire pour régler des comptes avec son journal, connu pour ses positions anti-islamistes. Il demande l’application de l’article 34 du code de la presse, qui désigne le syndicat des Journalistes comme l’instance habilitée à prendre des mesures disciplinaires contre ses membres.
Les journalistes d’Al-Gomhouriya avaient publié un communiqué pour dénoncer le renvoi humiliant de leur rédacteur en chef. Ils ont organisé une marche de protestation depuis les locaux du journal jusqu’au syndicat des Journalistes. Dans un autre communiqué, le syndicat a exprimé sa solidarité avec Abdel-Réhim, promettant d’engager une poursuite judiciaire contre le président de la Chambre haute du Parlement, Ahmad Fahmi, à l’origine de la décision pour « sa violation flagrante du code de la presse ».
Au-dessus des critiques
Abdel-Réhim n’est pas la première victime des restrictions imposées à la presse depuis l’élection du président. Aujourd’hui, plusieurs institutions étatiques, dont la présidence de la République, cherchent à se donner une place au-dessus des critiques, notamment celles de la presse. Des journalistes et des blogueurs se voient traîner devant la justice pour diffamation du président, de la justice ou de l’armée.
Le ministère de la Justice a désigné un juge d’instruction pour s’occuper d’un millier de plaintes adressées par des magistrats contre des journalistes et des responsables de chaînes de télévision. Les deux cas les plus célèbres sont ceux des animatrices de talk-shows Rim Magued, de la chaîne privée ONTV, et Hala Sarhane, de la chaîne Rotana, qui ont été interrogées pour avoir « permis à leurs invités d’insulter la magistrature ». Quant au journaliste de la chaîne Al-Faraeen, Tewfiq Okacha, il a été, lui, poursuivi pour humiliation du président Morsi.
« Il faut faire la différence entre l’armée en tant qu’institution militaire digne de respect et les responsables militaires que la presse peut critiquer. Cette dernière a le droit de s’intéresser à leur implication éventuelle dans des affaires de corruption. Pourquoi les militaires se fâchent-ils contre les journalistes alors que leur ancien commandant suprême, Hosni Moubarak, est en prison ? », s’indigne le président du parti Al-Tagammoe, Réfaat Al-Saïd.
« Les tentatives d’intimidation des journalistes montrent que le nouveau régime cherche à museler la presse. Le plus dangereux ce serait d’insérer dans la nouvelle Constitution des articles permettant l’emprisonnement des journalistes ou des sanctions collectives contre eux allant jusqu’à la fermeture des journaux », s’inquiète l’ancien président du syndicat des Journalistes, Makram Mohamad Ahmad .
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