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Morsi joue la realpolitik

May Al-Maghrabi et Noha Ayman, Lundi, 22 octobre 2012

La divulgation par la presse israélienne de la copie d’une lettre adressée par le président Mohamad Morsi à son homologue Shimon Pérès soulève l’indignation des libéraux comme des islamistes.

Lettre de Morsi
La prière hebdomadaire du président traduit un souci de ne pas perdre la vue malgré des prises de position très peu populaires. (Photo: AP)

« Mon cher et grand ami », c’est en ces termes que le pré­sident Mohamad Morsi quali­fie son homologue israélien Shimon Pérès à qui il a souhaité, dans une lettre, « bonheur et prospérité » à l’occasion de la nomination d’un nouvel ambassadeur égyptien à Tel-Aviv. La teneur de cette lettre, sous­signée par le président de la République et son chef de la diplo­matie Mohamad Kamel Amr, a été divulguée la semaine dernière sur le site Internet du quotidien The Times of Israël.

Dans un premier temps, les Frères musulmans ont nié l’existence de cette missive, qualifiée de « fabrica­tion sioniste visant à ternir l’image du président Morsi aux yeux de son peuple », selon Gamal Hechmat, cadre de la confrérie. Une dénéga­tion qu’a fait taire la confirmation de l’authenticité de la lettre par le porte-parole de la présidence, Yasser Ali, qui a cependant ajouté que « les lettres d’accréditation des ambassa­deurs obéissent à des formules diplomatiques figées », pour expli­quer le choix du vocabulaire utilisé dans cette lettre. Mais, même sans être « l’oeuvre de sionistes », cette lettre n’a pas manqué d’indigner les Egyptiens qui n’arrivent pas à cerner la politique régionale de leur nou­veau président, notamment en ce qui concerne les relations de l’Egypte avec Israël et les Palestiniens. Les islamistes expriment leur indigna­tion et les libéraux expriment leur incompréhension.

« Nous demandons au président Morsi de s’excuser auprès de son peuple au lieu de chercher des justifi­cations pour les termes honteux qu’il a inclus dans sa lettre à Shimon Pérès. Aucun protocole ne peut obli­ger une personne à renier ses prin­cipes et ses convictions, d’autant moins si cette personne est le prési­dent d’un peuple qui refuse la norma­lisation avec Israël », affirme Yasser Abdel-Tawab, du parti salafiste Al-Nour, qui se demande « comment Morsi peut exprimer sa sympathie à la fois pour la victime et pour son bourreau ». Hussein Abdel-Razeq, cadre du parti du Rassemblement (gauche) rappelle, lui, que les Frères musulmans fustigeaient Hosni Moubarak et son prédécesseur Anouar Al-Sadate à cause de leur collaboration étroite avec Israël. « Il est très paradoxal que le président Morsi, issu de la confrérie des Frères musulmans, envoie une telle lettre à Pérès au moment même où le guide suprême de la confrérie appelle les musulmans au djihad pour libérer Jérusalem », s’étonne Abdel-Razeq.

Mais le président tente-t-il vrai­ment de se démarquer de la confrérie dont il est issu? Hani Khalaf, ancien ministre adjoint des Affaires étran­gères, trouve que « cette lettre a une signification positive dans la mesure où elle montre que le président s’abs­tient d’imposer l’idéologie de sa confrérie à la diplomatie égyp­tienne ». Mais Achraf Al-Chérif, pro­fesseur de sciences politiques à l’Uni­versité américaine du Caire, n’y voit pas l’exercice d’une quelconque rete­nue. « Par pragmatisme, les Frères musulmans ont toujours su séparer l’idéologie organisationnelle de l’exercice politique », affirme-t-il. « Depuis son investiture, Morsi a tenu à assurer son respect quant aux accords de paix avec Israël, un pays que sa confrérie considère un ennemi de l’Egypte et des musulmans », explique le politologue. Selon lui, les indices préliminaires montrent que le président Morsi penchera vers l’ins­tauration des relations régionales équilibrées.

Emad Gad, spécialiste d’Israël au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, va encore plus loin, parlant de « coordi­nation » entre les Frères musulmans, Washington et Tel-Aviv. « Ils utilisent un double discours de sorte à garan­tir leur maintien au pouvoir sans ris­quer de perdre le soutien de la rue dont une majorité demeure antago­nique à la normalisation avec l’Etat hébreu », explique le chercheur. Toutefois, Gad exclut la possibilité qu’un rapprochement égypto-israé­lien puisse affecter les relations entre les Frères musulmans et le Hamas : « Le Hamas est également un groupe pragmatique qui n’a jamais hésité à conclure des transactions politiques avec ladite entité sioniste ». Une ana­lyse confirmée par l’actualité: same­di dernier, le président Morsi et le chef du gouvernement du Hamas à Gaza, Ismaïl Haniya, discutaient par téléphone d’un important projet de reconstruction de la bande de Gaza financé par le Qatar. L’ambassadeur du Qatar à Gaza, Mohammad Al-Emadi, indiquait, quant à lui, que « les Frères en Egypte sont prêts à faciliter l’entrée des matériaux de construction dans la bande de Gaza », via le terminal de Rafah .

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