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Rabea Al-Adawiya: le rapport qui fâche

Ola Hamdi, Lundi, 10 mars 2014

Le Conseil national des droits de l’homme a fait connaître la teneur du rapport, sur le point d’être publié, de l’évacuation policière du sit-in de Rabea Al-Adawiya au Caire en août dernier, qui a fait 632 morts. Un rapport qui ne fait pas l’unanimité.

La place Rabea
Après la destitution de Morsi, des milliers des partisans des Frères musulmans ont campé sur la place Rabea, réclamant son retour. (Photo: Reuters)

Des personnes à l’intérieur du sit-in de Rabea Al-Adawiya ont commencé les premiers à tirer sur les services de sécurité, et ces derniers ont répliqué de manière disproportionnée. C’est la conclusion du rapport du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) sur les événements de Rabea Al-Adawiya, le 14 août dernier au Caire, qui ont fait plus de 600 morts selon un bilan officiel.

Après une longue attente, la commission d’enquête du Conseil s’est finalement fendue d’un communiqué sur le rapport à paraître de ces événements, lors d’une conférence de presse mercredi 5 mars en présence du président du Conseil, Mohamad Faek, du vice-président Abdel-Ghafar Choukr et de Nasser Amin, directeur du bureau des plaintes au CNDH et membre de la commission d’enquête.

La publication du rapport a été annoncée à plusieurs reprises avant d’être à chaque fois annulée. Le document est divisé en deux parties. La première évoque les infractions commises dans le sit-in, la seconde celles des forces de l’ordre. « Des personnes dans le sit-in ont commis plusieurs infractions comme l’usage de la force et de la torture, la détention illégale de personnes et l’exploitation d’enfants à des fins politiques. Nous sommes sûrs qu’il y avait des armes avec les manifestants et qu’ils ont incité à la violence », précise Nasser Amin qui assure que la commission d’enquête a recueilli ces informations à partir des vidéos prises sur le terrain et des rapports des organisations des droits de l’homme. « Les responsables du sit-in ont laissé, sinon favorisé, la présence d’éléments armés qui ont tiré sur la police au beau milieu de manifestants pacifiques transformés en boucliers humains », précise le rapport précisant que les voies d’entrée et de sortie n’ont pas été sécurisées avant 15 heures, ce qui a entravé l’arrivée des ambulances.

Mais si des éléments armés retranchés ont tiré les premiers sur la police, cette dernière a aussi commis des abus, précise le rapport. « L’intervention de la police était légale mais l’opération a été entachée de nombreuses violations », ajoute Amin. Ainsi, elle a fait un usage démesuré de la force à plusieurs occasions. « De plus, le délai d’une demi-heure laissé par la police aux protestataires pour quitter le sit-in était insuffisant, et les couloirs mis en place pour permettre la sortie du sit-in n’étaient pas sécurisés », explique Amin.

De manière générale, le rapport attribue la responsabilité du grand nombre de morts aux Frères musulmans. L’intervention policière du 14 août a fait selon le rapport 632 morts, dont 624 civils et 8 policiers. Le rapport précise que les attaques contre des églises et des postes de police dans les 4 jours qui ont suivi l’intervention contre le sit-in ont fait 686 morts civils et 24 policiers.

Le rapport recommande l’ouverture dans les plus brefs délais d’une enquête judiciaire permettant de punir les responsables des violences. Le document recommande aussi que le gouvernement « prenne des mesures à l’égard de médias locaux incitant à la haine, dédommage les victimes innocentes et amende les lois contre la torture pour qu’elles soient conformes aux accords internationaux ».

Un vif débat

Le sit-in
Le sit-in a été dispersé après 47 jours d'occupation de la place.(Photo: Reuters)

Dès sa publication, le rapport a soulevé un vif débat aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du Conseil. Deux membres du Conseil ont déclaré qu’ils refusaient le contenu du rapport. Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation Egyptienne des Droits de l’Homme (OEDH) et l’un des coordinateurs de la commission d’enquête, explique pourquoi il n’a pas assisté à la conférence de presse. « Ce rapport n’est pas fondé sur des sources convenables! Le ministère de l’Intérieur n’a pas interrogé les Frères musulmans. Et le plan de l’intervention policière dont parle le rapport est strictement imaginaire ! », lance Abou-Seada. Et d’ajouter: « La conférence de presse a été retardée de plus de 3 heures à cause d’une réunion des membres de la commission durant laquelle des conflits ont eu lieu au sujet du rapport. J’ai été surpris par certains propos de Nasser Amin à la conférence de presse qui sont contraires à ce qui était convenu entre nous ».

Abou-Seada n’est pas le seul à critiquer le rapport. Mohamad Abdel-Qoddous, un autre membre du Conseil de tendance islamiste, rejette aussi le rapport. « La version finale du rapport n’a pas été présentée devant les 25 membres du Conseil et nous avons beaucoup d’objections. J’ai donné à la commission les numéros de 12 manifestants de Rabea, pour collecter leurs témoignages. Mais le rapport est sorti vide de tout témoignage. Ce rapport ne représente pas tous les membres du Conseil », affirme Abdel-Qoddous.

Le sit-in de Rabea Al-Adawiya a commencé le 28 juin 2013 lorsque des milliers de partisans des Frères musulmans sont allés soutenir le président Mohamad Morsi. Ils ont campé sur la place Rabea Al-Adawiya à Madinet Nasr. Après la destitution de Morsi, ils ont réclamé son retour et le retour de « la légitimité ». Le sit-in a été dispersé par la police le 14 août dernier après 47 jours d’occupation de la place. Les partisans des Frères musulmans affirment que le rapport n’est pas neutre et vise seulement à disculper les autorités et la police. Plusieurs partis et mouvements islamistes ont rejeté le rapport comme le parti salafiste Al-Nour, le Parti Liberté et justice, le Parti de la construction et du développement de la Gamaa islamiya et l’Alliance nationale pour soutenir la légitimité.

Cette dernière conteste la crédibilité du rapport. « C’est un faux témoignage qui n’a aucun lien avec la vérité. Les membres du CNDH sont tous nommés par le gouvernement et par conséquent leur rapport a été publié avec l’appui de ce pouvoir au détriment des innocents », lance un communiqué de l’Alliance. Magdi Qarqor, dirigeant de l’Alliance, pense que le rapport « manque de professionnalisme et d’objectivité ». « Les droits des martyrs ne seront pas ignorés. Tout le monde sait que les sit-in de Rabea et d’Al-Nahda étaient pacifiques et qu’il n’y avait pas d’éléments armés comme l’assure le Conseil. Où sont ces éléments armés? Est-il permis de disperser un sit-in avec des bulldozers et des balles réelles ? », demande Ahmad Bad, un autre membre de l’Alliance.

« Neutre et objectif »

George Ishac, président de la commission des droits politiques et civils au sein du CNDH, rejette ces propos. Il revient sur les déclarations de Mohamad Abdel-Qoddous. « Abdel-Qoddous mélange son rôle au sein du Conseil et sa tendance islamiste. Pour les témoignages, nous avons contacté ces 12 personnes dont il parle, mais elles ont refusé de nous parler », explique Ishac. Par ailleurs, le ministère de l’Intérieur se dit satisfait du rapport et le décrit comme « neutre et objectif ». « Le ministère a pris en compte les critères internationaux en matière de dispersion des sit-in. Des voies de secours ont été créées pour évacuer les manifestants. Ils n’ont pas voulu partir et ils sont entrés dans des affrontements avec les forces de l’ordre. Plusieurs de nos agents innocents sont tombés lors de cette confrontation », affirme Abdel-Fattah Osman, ministre adjoint de l’Intérieur chargé des relations publiques et des médias. Il ajoute que les manifestants n’étaient pas pacifiques, et « ce sont eux qui ont commencé à tirer des coups de feu et à jeter des cocktails Molotov sur les forces de sécurité. Le plan de l’intervention était clair, nous avons discuté des mesures prises lors de l’intervention avec des juristes et elles sont légales. Il était nécessaire d’utiliser la force contre les personnes armées à Rabea », ajoute-t-il.

Le rapport ignore plusieurs questions comme les cadavres des protestataires qui ont été brûlés, l’incendie de la mosquée Rabea Al-Adawiya, ainsi que l’arrestation et le meurtre de manifestants lors de leur sortie par les voies d’évacuation mises en place par les forces de sécurité.

Abdel-Ghafar Choukr nie les critiques des partis et groupes islamistes affirmant que le rapport a acquitté la police de toute responsabilité. « Le rapport précise que la police a tiré de manière disproportionnée », défend Choukr. Il ajoute que les membres de la commission d’enquête ont cherché à recueillir des témoignages de toutes les parties et à contacter les partis qui ont participé au sit-in par des lettres officielles, y compris le Parti Liberté et justice et celui d’Al-Assala, mais ils ont refusé de coopérer avec le Conseil. Le rapport complet doit être publié le 16 mars.

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