
Adly Mansour, le président par intérim. (Photo : AP)
Le président par intérim, Adly Mansour, a promulgué cette semaine deux décrets présidentiels ayant force de loi. Le premier concerne la création pour la première fois en Egypte d’un conseil de la sécurité nationale. Ce conseil, présidé par le chef de l’Etat, a pour mission « d’approuver les stratégies relatives à la sécurité, ainsi que les plans de développement qui visent à protéger l’identité de l’Etat et sa souveraineté ». Le conseil est composé, outre le chef de l’Etat, du premier ministre, du président du Parlement, des ministres de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, des Finances, de la Justice, de la Santé, des Télécommunications, de l’Education ainsi que du chef des renseignements généraux et du président de la commission de la défense au Parlement. Le conseil se réunit une fois tous les trois mois à l’appel du président de la République. Ses réunions sont secrètes et ses décisions sont prises par un vote à la majorité des membres présents. En cas de déclaration de guerre ou de catastrophes, le conseil se tient en session continue.
La création de ce conseil est perçue comme une mesure positive. C’est en tout cas l’avis de l’analyste militaire Ahmad Soueilam. « Certains trouveront que la présence, au sein de ce conseil, de ministres comme celui de l’Education ou la Santé n’a aucun sens, mais la création de ce conseil vise à traduire dans les faits certaines clauses de la nouvelle Constitution. C’est un pas positif dans le sens où il fait passer l’Egypte du stade de l’autocratie à celui du travail institutionnel qui donne à tous les ministres le droit de faire partie de la prise de décision et pas seulement le président de la République », explique Soueilam.
L’autre décret émis par le président de la République introduit plusieurs amendements à la loi régissant les forces armées. Ces amendements sont relatifs au choix du ministre de la Défense et aux prérogatives de l’institution militaire. En vertu de ces amendements et pour la première fois, le président de la République ne présidera pas le Conseil suprême des forces armées. Une mesure qui « répond aux impératifs de la sécurité nationale » et qui vise à garantir l’indépendance de l’armée par rapport au pouvoir en place quel qu’il soit. A cet égard, il faut rappeler que depuis la Révolution de Juillet 1952, trois présidents issus de l’institution militaire se sont succédé au pouvoir. Un fait qui garantissait aux forces armées un certain contrôle sur les questions de sécurité nationale. Mais sous Mohamad Morsi, premier président non issu de l’institution militaire, la sécurité nationale a été menacée aux yeux des forces armées. Morsi a libéré des dizaines d’islamistes emprisonnés et condamnés dans des affaires de terrorisme souhaitant sans doute s’approprier leur appui politique. Il est actuellement jugé pour espionnage. Il est accusé notamment d’avoir communiqué au mouvement palestinien Hamas et à l’Iran des informations pouvant porter atteinte à la sécurité nationale de l’Egypte.
Selon Ammar Ali Hassan, politologue, « l’institution militaire ne permettra plus que le sort du pays soit mis en danger. C’est pourquoi elle cherche un statut quasi indépendant qui ne peut pas être affecté par l’étiquette politique du président au pouvoir », explique Hassan.
« Protéger la patrie »
Autre changement introduit par le président Adly Mansour, l’inclusion d’un article stipulant que les forces armées « appartiennent au peuple » et leur mission est de « protéger la patrie, de défendre la souveraineté de l’Etat et l’intégrité de ses territoires, en vue de maintenir son unité et sa sécurité nationale ». Selon l’amendement, les forces armées sont « chargées de protéger les intérêts stratégiques de l’Etat. Il est interdit à tout individu, organe, ou groupe de créer des milices ou des rassemblements militaires ». L’article III de la loi amendée stipule que le président de la République n’est autorisé à déclarer la guerre ou à envoyer des forces armées hors du pays qu’après l’approbation du Conseil national de défense et l’aval des deux tiers des députés. Si le Parlement n’est pas formé, il faut l’aval du Conseil suprême des forces armées, celui du Conseil des ministres et du Conseil national de défense. L’article 4 de la loi en question se rapporte à la nomination du ministre de la Défense, commandant général des forces armées. Celui-ci doit impérativement être issu des forces armées. L’article stipule que le ministre de la Défense doit avoir servi au moins 5 ans aux forces armées sous le grade de général. La nomination du ministre de la Défense exige l’accord du Conseil suprême des forces armées pour deux mandats présidentiels, et ce, à partir du 18 janvier 2014, date de l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution. Selon l’expert stratégique, Talaat Mossalam, cette définition scrupuleuse des prérogatives du ministre de la Défense évitera tout probable conflit entre l’armée et le président de la République.
Ces modifications traduisent les articles 201 et 203 de la Constitution relatifs au statut de l’armée. Des clauses controversées qui ont déjà donné lieu à un vaste débat. Des intellectuels et des politiciens libéraux se sont opposés à ces deux articles qui exigent l’accord de l’armée pour la nomination du ministre de la Défense. L’ancienne Constitution limitait le choix du ministre de la Défense parmi les militaires, sans exiger le consentement de ces derniers. Le militant politique Khaled Abdel-Hamid explique : « J’ai demandé avant le référendum sur la Constitution de modifier cet article car la Constitution ne doit pas réserver une place privilégiée à l’armée. Les responsables politiques doivent avoir la volonté de construire un Etat de droit, qui respecte la loi et le principe de transparence. Il ne faut pas faire de l’institution militaire un Etat dans l’Etat ».
Mais Nasser Amin, membre du Conseil national des droits de l’homme, ne voit pas les choses du même oeil. Selon lui, la nomination du ministre de la Défense par le Conseil militaire octroie une immunité à l’armée contre les changements politiques potentiels. « Il ne faut pas que ce poste soit tributaire des tendances politiques du chef de l’Etat », conclut-il .
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