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Police universitaire  : le débat s’enflamme

May Al-Maghrabi, Lundi, 03 mars 2014

La justice a ordonné cette semaine le retour de la police au sein du campus universitaire. Une décision très controversée.

Police universitaire 
En 2010, la justice avait jugé illégale la présence de la police au sein du campus universitaire. Ajourd'ui, elle autorise son retour.

La police est de retour sur les campus universitaires. C’est ce qu’a décidé cette semaine le tribunal des référés du Caire, suscitant un débat houleux entre partisans et opposants à la présence poli­cière dans les universités. Dans les attendus du jugement, le tribunal a estimé que « la pour­suite des actes de violence par les Frères musulmans dans les universités exige le retour de la police, pour protéger les étudiants et les professeurs ». Le tribunal a laissé aux établis­sements universitaires la liberté d’autoriser ou non la présence de la police au sein du campus universitaire. Le Conseil suprême des universi­tés doit se réunir, pour étudier cette nouvelle mesure. Pour sa part, le ministère de l’Intérieur a indiqué qu’il ne souhaitait pas le retour de la police aux universités, car sa présence « pour­rait donner lieu à plus de tension ». Jusqu’à présent, aucune mesure n’a été officiellement prise pour la mise en application de ce verdict. Toujours est-il que le verdict soulève un débat houleux.

En octobre 2010, la Haute Cour Administrative (HCA) avait jugé illégale la présence des policiers dans les universités. Leur remplacement par des vigiles civils avait été salué par l’élite politique et les défenseurs des libertés. Mais l’escalade de la violence dans les établissements universitaires a renou­velé les appels au retour de la garde universi­taire d’autant plus que les vigiles civils étaient incapables de contrôler les débordements des étudiants.

Professeurs et étudiants sont divisés sur la présence permanente de la police sur le cam­pus universitaire. Nourhan Al-Cheikh, profes­seur à l’Université du Caire, affirme que les troubles sont sans précédent et nécessitent des mesures fermes pour y faire face. « Les sabo­tages, les jets de pierres et de Molotov, et les agressions sont monnaie courante dans les universités. Tout ceci sous prétexte de la liberté d’expression. Même les vigiles ont été tabassés par les étudiants Frères musulmans. A mon avis, dans de telles conditions, le retour de la police est une nécessité », juge Al-Cheikh.

Ce point de vue n’est pas partagé par Laïla Soweif, professeur à l’Université du Caire et membre du mouvement du 9 Mars qui était à l’origine de la campagne contre la présence de la police dans les universités. Selon elle, le rejet d’un retour de la police universitaire est dû en premier lieu à la mauvaise réputation de cette dernière. « Sa mission ne se limitait pas à la protection de l’enceinte universitaire et des installations, mais s’étendait à l’espionnage et à l’ingérence dans les affaires des étudiants. C’était en réalité une couverture pour la Sûreté d’Etat qui s’ingérait dans les affaires de l’université et donnait son point de vue sur l’admission des étudiants à la cité universi­taire, la promotion des professeurs et leur nomination aux postes de responsabilité. L’indépendance des universités est une ligne rouge à ne pas franchir », dit Soweif.

Les étudiants opposés au verdict

Des appréhensions partagées aussi par les étudiants, dont certains s’opposent catégori­quement au retour de la garde universitaire, alors que d’autres optent pour un retour condi­tionné. Les unions estudiantines de 12 univer­sités se sont réunies, afin d’exprimer leur refus de cette décision. « Les libéraux et les révolu­tionnaires n’admettront pas de tel revirement. Le campus universitaire est un lieu de savoir, de liberté de pensée, et non pas un terrain pour les blindés et les matraques de la police. C’est lamentable que les étudiants Frères musulmans soient responsables du retour de la police alors que les uni­versitaires ont réalisé une victoire his­torique pour le retrait de la police hors des campus », dit le communiqué. Mahmoud Radwane, président de l’Union des étudiants de l’Université d’Alexandrie, affirme que la majorité des étudiants, toutes tendances poli­tiques, s’opposent au retour de la garde universitaire. « Les étudiants ne permet­tront à ce qu’on touche ni aux libertés, ni à l’indépendance des universités, sous prétexte de lutter contre le terro­risme. Le Non à la violence ne peut en aucun cas justifier le Oui à la répres­sion », indique Radwane. Il souligne que les unions estudiantines ont déjà proposé d’autres solutions pour le main­tien de l’ordre dans les universités. Entre autres: la formation de vigiles civils, l’installation de portiques élec­troniques et l’application rigoureuse du règlement universitaire aux contreve­nants. Ce refus est partagé par Mohamad Moustapha, coordinateur du Courant populaire à l’Université de Aïn-Chams. Il pense que cette décision sera vouée à l’échec, car elle signifie la répression des mouvements estudiantins. « Nous ne resterons pas les bras croisés. Les unions des étudiants vont présenter un recours contre ce verdict. Nous le dénoncerons par tous les moyens paci­fiques », dit-il.

La présence des policiers exacerbe les tensions

Pour sa part, Ahmad Galal, membre de l’Union des étudiants de l’Université de Aïn-Chams, craint que la présence de la police au sein du campus ne fasse qu’exacerber la tension. « Les recteurs appliquent déjà des sanctions discipli­naires très strictes contre les étudiants qui commettent des abus, et la sécurité a été renforcée à l’entrée des universités. La pré­sence permanente de la police à l’intérieur des universités permettra aux étudiants de provo­quer les policiers, pour se présenter comme des victimes et attirer ainsi la sympathie des citoyens », prévient Galal.

D’autres étudiants reconnaissent l’urgence d’un retour de la garde universitaire, pour mettre un terme à la violence. Samir Moustapha, membre de l’union estudiantine de la faculté de mass media, avoue que le chaos qui domine les universités exige le retour de la police. Mais il demande que son rôle soit limité uniquement au maintien de l’ordre, sans intervenir dans les affaires des universités.

Ces appréhensions sont non fondées, selon Saïd Al-Dawe, doyen de la faculté de com­merce à l’Université du Caire. « Les étudiants ne doivent pas se méfier du retour de la garde universitaire, qui vise en premier lieu à les protéger contre la violence des Frères musul­mans. La page de l’ingérence de la police dans les activités politiques et estudiantines est tournée à jamais », assure Al-Dawe.

Achraf Al-Chérif, politologue, pense que l’opposition des étudiants à la présence de la police à l’intérieur ou à l’extérieur des univer­sités est due en premier lieu au désespoir de beaucoup de jeunes. « Ils ont l’impression que la révolution du 30 juin a été accaparée par les partisans du régime de Moubarak, et que les objectifs de la révolution du 25 janvier 2011 ne sont pas encore atteints. Les Frères musul­mans, eux, tentent de mettre à profit cette colère des jeunes pour leurs propres intérêts », explique Al-Chérif. Et d’ajouter: « Le gouver­nement doit leur faire barrage en améliorant les conditions de vie des étudiants, les méthodes d’enseignement et les universités en général pour attirer ces jeunes. Favoriser la solution sécuritaire ne fera qu’exacerber la tension et augmentera le nombre d’opposants au régime », conclut Al-Chérif.

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