En 2019, une revue du livre La Charte gowharienne des vertus du cheikh Tantawi Gawhari, de Zakaria Al-Iskandarani, publiée à l’Hebdo, a conduit à une question adressée à l’Académie Nobel pour savoir si le cheikh et penseur islamique d’Al-Azhar avait bien été nommé pour le prix Nobel de la paix dans les années 1930, comme l’affirmait un article paru dans l’Egyptian Gazette le 5 décembre 1939.
L’académie a rapidement répondu en confirmant qu’aucun dossier de candidature n’avait été trouvé sous le nom de l’homme en question.
Cependant, cette réponse n’a pas totalement fermé la porte, du moins pour l’académie, qui a lancé une clarification cinq ans plus tard, en juin 2024.
La correspondance initiale a conduit à la découverte d’une série de correspondances négligées datant de 1939, obtenues par Al-Ahram Hebdo. Ces lettres racontent l’histoire d’une nomination manquée de peu. Sept lettres principales révèlent les tentatives égyptiennes pour présenter le premier candidat égyptien au prix Nobel.
Le 31 janvier 1939, la mission royale égyptienne à Stockholm envoyait une lettre au Comité Nobel de la paix du Parlement norvégien, accompagnée d’une demande de Abdel-Hamid Saïd bey, membre de la Chambre des députés égyptienne, proposant le cheikh Tantawi Gawhari pour le prix Nobel de la paix au cours de cette même année.
Les documents joints à la demande comprenaient des copies des livres Où est l’homme ? et Rêveries politiques du cheikh Gawhari, ainsi que des critiques italiennes et françaises des livres et des lettres de souverains, de responsables orientaux, de sociétés littéraires et de savants européens faisant l’éloge des deux oeuvres du cheikh.
Les documents envoyés à l’Hebdo comprennent également une lettre émise la même année par la Société des jeunes musulmans située rue La Reine Nazli au Caire et signée par le député de l’époque Abdel-Hamid Saïd, déclarant qu’« après avoir pris connaissance des conditions requises pour l’obtention du prix Nobel de la paix, conditions qui reconnaissent aux membres représentatifs le droit de faire des propositions pour l’octroi de ce prix, nous nommons le savant cheikh pour le prix ».
Obstacles
La nomination égyptienne allait cependant rencontrer plusieurs obstacles. Le Comité Nobel a répondu à la lettre de la mission royale égyptienne le 8 février 1939, annonçant que la date limite de candidature au prix avait expiré le 31 janvier, soit le même jour de l’envoi de la lettre au comité, et que la candidature de Gawhari était arrivée après cette date et était donc inéligible pour le prix de cette année-là.
Il y avait un autre défi : le dilemme linguistique. Le Comité Nobel de l’époque ne considérait pas sérieusement les oeuvres proposées dans des langues autres que les principales langues européennes. Il déclarait dans sa réponse : « Les ouvrages du candidat annexés à la lettre de proposition étant en langue arabe, je regrette aussi de porter à votre attention l’article 8 du statut stipulant que si pour l’appréciation du travail proposé, le Comité se trouve obligé de prendre connaissance d’un écrit composé dans une langue dont l’interprétation causerait des difficultés spéciales ou des frais considérables, le Comité ne sera pas tenu de procéder à un examen de la proposition ».
La réponse du Comité Nobel va soulever des questions au sein de la délégation royale égyptienne, qui, dix mois plus tard, le 15 décembre 1939, envoyait une autre lettre s’interrogeant sur la possibilité de proposer des écrits publiés plusieurs années avant le concours de 1940. Elle s’interroge aussi si les traductions dans des langues comme le français ou l’anglais d’oeuvres écrites en arabe devaient être publiées dans la presse pour être admises au concours ou si la simple publication dans la langue originale suffisait.
Le Comité, qui a répondu aux questions de la délégation égyptienne le 19 décembre, a indiqué que le statut du prix Nobel n’exigeait pas qu’une traduction de l’oeuvre soit publiée et qu’une oeuvre écrite en arabe pouvait être soumise au prix à condition qu’elle soit publiée et accompagnée d’une traduction allemande, anglaise ou française.
Il ne semble pas, cependant, d’après les documents d’archives consultés par Al-Ahram, que l’Egypte ait proposé à nouveau le cheikh Gawhari au prix dans les années suivantes.
Taha Hussein, Tawfiq Al-Hakim et d’autres
Il faudra attendre une décennie entière pour qu’un autre Egyptien soit proposé pour le prix Nobel, cette fois-ci en littérature. Il s’agit du doyen de la littérature arabe, Taha Hussein. Sa candidature aurait été acceptée pour la première fois en 1949 après une demande présentée par Ahmed Loutfi Al-Sayed, ancien ministre des Affaires étrangères et président de l’Académie de langue arabe à l’époque.
Le nom de Taha Hussein aurait été proposé à au moins huit autres reprises jusqu’en 1973 par 22 personnes et organisations, dont l’Académie Fouad Ier, l’Académie de la langue arabe, l’Université de Jordanie, l’Université du Koweït, l’orientaliste et linguiste suédois Karl Wilhelm Zetterstéen, l’historien français Charles Pellat et des professeurs de langue arabe égyptiens et occidentaux.
Et ces propositions sont peut-être plus nombreuses, car l’Académie Nobel n’a pas pu nous révéler d’informations sur les candidatures postérieures à 1974 en raison d’une règle de confidentialité des candidatures s’étendant sur 50 ans avant leur divulgation.
La liste des candidats égyptiens révèle la candidature de Tawfiq Al-Hakim en 1972 par le secrétaire général de l’Académie de langue arabe de l’époque, Ibrahim Madkour, et le président du Club des écrivains jordaniens, Hasni Fariz, ainsi que le professeur de langues sémitiques Gustaf Widengren.
La courte liste des candidats égyptiens inclut le nom du Dr Ahmed Riad Turki, proposé pour le prix Nobel de chimie en 1967.
Etonnamment, la liste des Egyptiens dans les archives du prix Nobel comprend les noms de trois personnalités étrangères ayant résidé en Egypte : Arthur Looss, proposé pour le prix Nobel de médecine en 1912, venu en Egypte étudier la transmission de la bilharziose et resté jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale ; le médecin grec Stephanos Kartalis, proposé pour le même prix en 1916, qui découvrit l’amibe chez les patients atteints de dysenterie en Egypte ; et Félix d’Hérelle, microbiologiste français proposé pour le prix Nobel de médecine en 1925-1926, qui travailla pour le Conseil égyptien de santé maritime et de quarantaine à Alexandrie.
Derrière les portes du Nobel, des histoires se cachent depuis 1974, attendant d’être racontées, et nous n’en connaissons que celles de ceux qui ont réellement obtenu le titre, tout d’abord le président Anouar Al-Sadate, lauréat du prix Nobel de la paix en 1978, puis Naguib Mahfouz, lauréat du prix Nobel de littérature en 1988, et plus tard, en 1999, Ahmad Zoweil, lauréat du prix Nobel de chimie. Mais qu’en est-il des autres noms qui ont manqué le Nobel de peu ?
Photo : Une lettre datée du 31 janvier 1939, envoyée en français par la mission royale égyptienne au Comité Nobel de Norvège, proposant la candidature du cheikh Tantawi pour le prix Nobel de la paix de cette année-là.
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