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Les ouvriers ne décolèrent pas

May Atta, Lundi, 17 février 2014

La reprise des grèves ouvrières dénote l’incapacité des gouvernements successifs, depuis la révolution de janvier 2011, à réaliser la justice sociale. Décryptage.

Usine de textile de Mahalla
Poursuite de la grève des ouvriers à Mahalla.

Les contestations ouvrières s’amplifient, mettant le régime dans l’embarras, avec plusieurs usines et sociétés au centre de débrayages cette semaine.

C’est surtout la grève de l’usine de textile de Mahalla, ville du Delta du Nil, qui retient l’attention. Plus de 22 000 ouvriers ont entamé une grève depuis le mardi 11 février contestant le non-paiement de leurs primes annuelles sur les bénéfices. A cause de cette grève, les pertes se sont élevées à 15 millions de L.E. Les grévistes accusent l’administration de mauvaise gestion et de corruption qui ont entraîné les pertes de l’usine et la détérioration du statut salarial des ouvriers. 34 syndicats ouvriers indépendants ont annoncé leur solidarité avec cette grève la qualifiant de « légitime ».

Dans une tentative d’apaiser la situation, le gouvernement a décidé de payer aux ouvriers toutes leurs primes non payées. Une mesure qui n’a pas atténué la colère des ouvriers déterminés à poursuivre leur grève jusqu’à la satisfaction de toutes leurs revendications salariales et professionnelles. Certains voient en la recrudescence des grèves un complot visant à embarrasser le nouveau régime. « Ce sont les Frères musulmans au sein des syndicats ouvriers qui tentent d’exacerber cette vague de contestations ouvrières pour mettre le gouvernement dans l’embarras. Vu la crise économique, il est difficile de satisfaire toutes les revendications salariales. Il faut donner du temps au gouvernement », pense Farouq Al-Makrahi, ancien vice-ministre de l’Intérieur.

Des accusations que rejettent les ouvriers considérant que les primes impayées sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les ouvriers revendiquent l’application de la loi fixant les salaires minimum et maximum, la démission de Fouad Abdel-Alim, président de la compagnie holding du textile, l’ouverture d’une enquête sur la corruption de la direction de l’usine ainsi que l’élection d’un nouveau conseil d’administration. « Depuis le 30 juin dernier, les ouvriers ont décidé de reporter leurs revendications jusqu’au retour de la stabilité. Ils n’ont pas voulu que leurs grèves soient instrumentalisées dans le combat entre le nouveau pouvoir et les Frères musulmans. Mais c’est le ras-le-bol. On ne peut plus rester les bras croisés face aux ressources gaspillées de notre usine », s’indigne Wael Habib, un cadre au sein de l’usine de textile. Il rappelle que même sous le régime des Frères musulmans, les ouvriers ont dû organiser des centaines de grèves réclamant leurs droits. « Le malaise des ouvriers s’est poursuivi aussi sous le règne des Frères qui n’ont été que le revers de la monnaie d’un libéralisme économique qui ne prend pas en considération les droits sociaux et économiques des ouvriers », s’exprime Habib. Il ajoute que depuis la nomination de Fouad Abdel-Alim à la tête de la société en 2007, la situation n’a cessé de se détériorer : les pertes ont atteint environ 2 milliards de L.E.

« Les politiques n’ont pas changé »

Selon Fatma Ramadan, membre du conseil exécutif de l’Union égyptienne des syndicats indépendants, il ne faut pas oublier que les protestations des ouvriers, qui ont culminé en 2008 dans la ville de Mahalla, bastion des industries textiles, ont été les prémices de la révolution de janvier 2011. « N’est-il pas paradoxal que trois ans après la révolution, la classe ouvrière lutte toujours pour l’obtention de ses droits fondamentaux ? », déplore Ramadan. Elle précise que le nombre de grèves ouvrières qui ont éclaté au cours des trois dernières années dépasse les débrayages qui ont eu lieu au cours des dix dernières années du règne de Moubarak. « Un indicateur qui révèle que les politiques du gouvernement optant toujours pour le capitalisme n’ont pas changé d’un iota. Les problèmes des ouvriers n’ont pas été réglés, voire leur situation s’est aggravée », estime Ramadan. L’Union régionale des syndicats indépendants à Suez a menacé d’escalade si le gouvernement ne parvient pas à faire l’équilibre entre la politique économique et les droits des ouvriers. « Aujourd’hui, les hommes d’affaires se vantent du fait que le régime en place les soutient au détriment des ouvriers. Le licenciement arbitraire de centaines d’ouvriers grévistes en est la preuve de ce que j’avance », dit Mohamad Soudi, un des cadres ouvriers à Suez. Il ajoute que des propriétaires d’usines ont récemment obligé des ouvriers bénéficiant de contrats permanents à signer des contrats de travail de 3 mois. Une mesure permettant aux patrons de limoger ceux qui osent hausser le ton ou contestent les décisions de la direction.

Selon Kamal Abbas, membre du Conseil national des droits de l’homme, le secteur industriel public regroupant 112 usines est victime de la négligence du gouvernement. « Sans un plan global de restructuration du secteur industriel public basé sur l’augmentation du taux d’investissement et la lutte contre la corruption, ce secteur primordial s’effondrera et des centaines de milliers d’ouvriers seront au chômage », prévient Abbas.

Situation pas meilleure

Dans le secteur privé, les ouvriers représentent 75 % de l’effectif. Ces ouvriers se plaignent aussi de leurs droits bafoués par les hommes d’affaires avec la passivité du gouvernement. « Face à l’intransigeance des hommes d’affaires qui exigent la réduction de la valeur des assurances sociales contre l’application du salaire minimum, le gouvernement n’a pas pu ou n’a pas voulu défendre les droits des ouvriers. La relation entre le gouvernement, le secteur privé et les ouvriers n’a pas évolué dans le sens de trouver un terrain d’entente qui permet de garantir les intérêts des patrons sans porter atteinte à ceux des ouvriers », indique Kamal Abbas, syndicaliste. Pour sa part, le gouvernement affirme à tue-tète que la justice sociale est une priorité mais les défis économiques énormes qu’affronte le pays entravent la réalisation de cette revendication. Un facteur à ne pas nier vu le déficit énorme, une dépréciation de la monnaie, un tourisme en berne et un taux de chômage à la hausse. Dans l’attente d’une stabilité politique favorisant la relance de l’économie et sauvant un pays au bord de la banqueroute, les ouvriers n’entendent pas lâcher du lest.

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