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Les intentions belliqueuses des Frères

May Al-Maghrabi, Mercredi, 17 octobre 2012

Des partisans des Frères musulmans s’en sont pris vendredi à des opposants venus contester le bilan du président Morsi. Reportage.

Manifestation
Un véritable champ de bataille entre, d’un côté les Frères musulmans, et de l’autre, des mouvements de gauche et des libéraux. (Photo:Reuters)

Jets de pierre, cocktails Molotov, tirs d’armes, altercations verbales et des dizaines de blessés : telle était la scène qui a régné vendredi sur la place Tahrir lors d’affrontements entre opposants et partisans du président Mohamad Morsi. Le bilan officiel est de 145 blessés, mais c’est le bilan politique de ces accrochages qui risque de se révéler le plus important.

Berceau de la révolution de 2011, la place Tahrir, qui a jadis réuni contre l’ancien régime toutes les couleurs du spectre politique, s’est transformée ce jour-là en un véritable champ de bataille entre, d’un côté les Frères musulmans, et de l’autre, des mouvements de gauche et des libéraux.

Deux semaines auparavant, les opposants au régime du président Morsi ont appelé à un rassemblement géant en ce « vendredi du règlement de comptes ». L’objectif était simplement de souligner l’échec du nouveau président lequel, estiment-ils, a échoué à tenir ses promesses électorales. Les organisateurs des manifestations revendiquent la dissolution de l’assemblée dominée par les islamistes et chargée de rédiger la nouvelle Constitution, la réalisation des objectifs de la révolution, dont notamment la justice sociale et le respect des libertés, ainsi que le jugement des caciques de l’ancien régime impliqués dans le meurtre des « martyrs de la révolution ».

Les manifestations s’annonçaient déjà chaudes, notamment après l’annonce, l’avant-veille, de l’acquittement de plusieurs poids lourds de l’ancien régime accusés d’avoir envoyé des hommes de main à dos de chameaux pour attaquer les manifestants place Tahrir l’an dernier en pleine révolution.

Voulant tirer le tapis sous les pieds des opposants, les Frères musulmans ont profité de la nouvelle pour diriger les manifestations plutôt contre la justice que contre un président issu de leur mouvement. Ils ont annoncé à leur tour leur participation aux manifestations, le même jour au même endroit.

Sur Tahrir, les forces de l’ordre sont absentes, mais aussi ces « comités populaires » qui, d’habitude, assurent un semblant de sécurité aux principaux accès de la place. Le podium des opposants libéraux et de la gauche est installé comme d’habitude du côté des bâtiments de l’Université américaine. Sur les banderoles, on lit « Monsieur le président de tous les Egyptiens : qu’en est-il de vos promesses révolutionnaires ? », « Mohamad Morsi Moubarak : Non à la sortie honorable des membres du Conseil militaire ! », ou encore « A bas le guide suprême ! ».

Le calme qui régnait a été interrompu peu après la fin de la prière du vendredi. Les manifestants sur l’estrade ont été brutalisés par des dizaines de partisans des Frères musulmans qui ont fait irruption et qui scandaient à leur tour des slogans, mais cette fois hostiles au système judiciaire. En quelques minutes, ils ont tabassé les gens sur l’estrade, arraché les banderoles et détruit les hauts-parleurs.

Les opposants se sont retirés vers la rue adjacente de Mohamad Mahmoud où ils ont été poursuivis par les jeunes de la confrérie, armés de pierres et de gourdins.

« Bande de laïcs »

« Quelle différence entre le régime de Moubarak et celui des Frères ? Le régime déchu était moins vil que ces fascistes ! », s’écriait Ahmad Sami, un jeune du mouvement du 6 Avril, qui dit avoir reçu une pierre à la tête après avoir été agressé à l’entrée de la place Tahrir du côté de la mosquée de Omar Makram. « Dés qu’ils m’avaient vu se diriger vers la place, ils m’ont jeté par terre et m’ont frappé à coups de pied. Je leur demandais : Mais pourquoi vous faites ça ? Vous ne me connaissez pas ! Ils ont répondu : Tu n’es pas l’un des nôtres, on ne permettra à personne de dénigrer le président, surtout pas à vous, bande de laïcs », raconte Sami.

« Pourquoi les Frères sont venus manifester sur Tahrir alors qu’ils savaient qu’une autre manifestation allait y avoir lieu ? », se demande Chérif Sabri, du parti Al-Dostour, avant de répondre lui-même à sa question. « Ils ne sont pas là pour le sang des martyrs comme ils prétendent. Les Frères ne s’intéressent qu’à leurs propres intérêts, et c’est pourquoi ils ont trouvé un prétexte pour nous gâcher cette manifestation destinée à mettre à jour le fiasco de leur régime », poursuit-il. Selon Sabri, il s’agit d’une nouvelle « bataille du Chameau » mais dont l’auteur, cette fois, est la confrérie musulmane.

La présence féminine sur les lieux de la manifestation était remarquable ce jour-là, mais d’un seul côté de la « ligne de front ». « Les islamistes sont lâches, ils n’ont pas amené leurs femmes contrairement à leur habitude, c’est une preuve que leur agression est préméditée. Mais nous, les femmes, on leur montrera que nous sommes plus courageuses que leurs milices terroristes », s’insurge Dalia Fathi, une « communiste révolutionnaire », qui s’est faite blesser à la jambe.

Vers 18h, les opposants qui ont trouvé le temps de s’organiser ont regagné la place, alors que les Frères ont reçu l’ordre de se retirer du côté du Musée, où se trouvaient les bus qui les ont transportés et dont deux ont été mis à feu.

Dans un communiqué sur leur site Internet, la confrérie a nié sa responsabilité dans les violences qui ont marqué cette journée. Mais pour prouver leur « innocence », les responsables de la confrérie ont usé d’arguments parfois contradictoires. Ainsi, Essam Al-Eriane, candidat à la présidence du Parti Liberté et justice (bras politique de la confrérie), compte 71 blessés parmi les Frères, au moment où Ahmad Abou-Baraka, conseiller juridique du même parti, assure qu’aucun jeune de la confrérie n’était sur la place Tahrir ce jour-là.

De son côté, la présidence de la République a tenu à prendre ses distances de ces événements en exprimant son « indignation » et en appelant « au dialogue » les différents courants politiques.

Ce qui n’a pas empêché plusieurs formations politiques de déposer des plaintes auprès du procureur général accusant les Frères musulmans d’agression de manifestants pacifiques. D’autres mouvements appellent déjà à d’autres manifestations vendredi prochain.

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