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L’ancien nouveau pays

Najet Belhatem, Mardi, 21 janvier 2014

L’Egypte se dirige-t-elle vers une certaine stabilité ou vers plus de troubles ? Trois ans après le 25 janvier 2011, le flou règne en maître. Quelques éditos tentent d’y voir plus clair.

Le romantisme révolutionnaire des 18 jours de Tahrir en 2011 a été pris dans les vagues de la réalité : les conflits d’intérêts, les batailles pour le pouvoir, les exigences du pain quoti­dien. Les chansons des jeunes qui vantaient la liberté, la fin de l’oppression et la dignité retrouvée se sont tues au profit d’autres vantant la poigne de fer de l’armée face au terrorisme et aux Frères musulmans. « Les réalistes », comme les appelle le journaliste et analyste Waël Gamal dans son éditorial paru dans le quotidien Al-Shorouk, ont désormais le vent en poupe. « Ce sont les mêmes conservateurs qui se disent réalistes qui nous expliquaient, suite à la révolution du Jasmin en Tunisie, que l’Egypte n’est pas la Tunisie. Parce que les Tunisiens sont mieux organisés, plus instruits, parce que les syndicats là-bas sont forts … Ils nous avaient dit à l’époque qu’il n’y avait pas en Egypte de force organisée pour planifier une révolution contre ce mastodonte d’oppression et que les gens ont délaissé la politique. Or, quelques jours après, Moubarak a dû laisser le pouvoir ». Actuellement, et trois ans après, l’auteur explique que « les efforts pour restituer le régime de Moubarak vont bon train ». Et de continuer : « Les réalistes de tout genre sont revenus pour nous affirmer que nos options se limitent à l’équilibre maintenu par le régime Moubarak dans sa nouvelle version. Et voilà que les arrestations et la maltraitance sont revenues comme si c’était une vérité inhérente à cette partie du globe ».

L’ombre du khédive Mohamad Ali

Dans le quotidien Al-Masry Al-Youm, un autre éditorialiste, Gamal Aboul-Hassan, tente d’expliquer la situation actuelle par un retour à l’Histoire. Dans son article intitulé Le Moment bonapartien, « l’Egypte vivait un moment sem­blable à celui de la France la même année de l’intronisation de Bonaparte en 1804. Les Français s’étaient retirés du pays, les Anglais aussi, les Ottomans et les Mamelouks étaient à bout de souffle. Les conflits et les luttes intes­tines avaient déchu le wali et ceux qui lui ont succédé en deux ans. L’un d’eux n’a résisté au pouvoir qu’un seul jour. Un vide de pouvoir. La politique refuse le vide. Et voilà que paraît un astre militaire jeune qui deviendra le pivot du conflit en cours. C’est comme si c’était le seul à avoir compris la réalité du conflit en Egypte, avec la même intuition bonapar­tienne. Les notables et les oulémas lui ont demandé de prendre le pouvoir. Il a refusé. Car il sait comment manoeuvrer pour dégager la bonne équation politique : c’est vous qui avez besoin de moi, ce n’est pas moi qui demande le pouvoir. En quelques années, Mohamad Ali est ainsi devenu l’homme le plus fort d’Egypte et du Moyen-Orient ». Pour l’auteur, l’Egypte s’engage actuellement dans cette voie. « Cela ne veut pas dire que les troubles vont prendre fin, ou que le « sau­veur » détient les secrets de la sortie de crise. Cela veut seulement dire que nous sommes devant une nouvelle naissance. L’émergence d’une nouvelle organisation des choses. Ce sont des moments difficiles et troublés qui devancent l’arrivée d’un nouveau-né au monde ».

Crise structurelle du pouvoir

A lire ces lignes, on se demande également si cette partie du globe est condamnée à la fatalité de l’Histoire. A une sorte de retour incessant au même point quelles que soient les velléités de sortie du cercle vicieux. « L’Histoire se répète parce que les humains sont les humains. Leurs peurs sont les mêmes. Parce que la politique est la politique. Ses équations reposent sur ces peurs. L’organisation des choses ce sont les modalités qui régissent la société et son admi­nistration. Une certaine relation entre le pou­voir et les gens garantissant un minimum de vie stable. Si la relation est brisée et l’organisation décousue, les gens se retrouvent dans le vide qui n’est rempli que par le plus fort, mais sur­tout par celui — et c’est le plus important — qui réalise la réalité de l’existence de ce vide et qui comprend le besoin des gens d’atteindre le point de stabilité ».

Cette stabilité n’est pas gagnée, fait remar­quer Waël Gamal. « J’affirme qu’il y a une crise structurelle du pouvoir, même si ce der­nier donne l’impression de tenir toutes les ficelles. Il n’y a pas une seule vision entre les différentes ailes du pouvoir. Il y a ceux du grand cercle du capitalisme qui poussent vers un retour à l’ancien régime. Et ceux qui sont pour garantir la stabilité du pouvoir et recourir à certaines concessions, afin d’absorber la crise économique, sociale et politique. Mais leur voix ne se fait pas entendre, même si elle existe », affirme Gamal.

Quant à la peur des gens face à l’inconnu et à l’instabilité invoquée plus haut par l’éditoria­liste Gamal Aboul-Hassan, « la généralisation des sentiments de peur est une grande erreur », écrit Waël Gamal, qui fait lui aussi un retour dans l’Histoire : « L’histoire des révolutions est remplie d’exemples de revirements brusques des populations quand celles-ci découvrent, via leur expérience, que celui en qui elles ont fondé leurs espoirs les a déçues. Que dire alors de l’expérience des 3 dernière années, où les Egyptiens ont testé leur force et la faiblesse de leurs adversaires ».

Le mur et le pragmatisme des salafistes

Le quotidien Al-Tahrir résume la situation à partir de la faible participation des jeunes au référendum dans un style allégorique. « La voix la plus entendue dans ce référendum a été le silence, qui a dévoilé que l’Etat avance sans la locomotive jeune. L’Etat rebâtit le mur de Berlin entre les jeunes et le pays. Mais supportera-t-on un nouveau mur de Berlin en Egypte ? », a-t-on écrit. De leur côté, les sala­fistes ne font pas dans le romantisme révolu­tionnaire même teinté de religion. Ils ont choisi, au milieu de ce magma politique, l’op­tion du pragmatisme. « La gestion d’un Etat impose à celui qui en tient les rênes d’accep­ter les opposants avant les partisans en incluant tout le monde dans la gestion, parce qu’ils sont partie prenant de cette nation. Elle impose aussi de présenter des signes d’apai­sement à l’intérieur comme à l’extérieur », écrit Ihab Chahine, dans le site électronique Islamiyoune, dans une critique acerbe aux Frères musulmans.

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