Trahison, conspirations et financement étranger. L’affaire des conversations téléphoniques, impliquant certaines figures de la révolution du 25 janvier 2011, prend les allures d’un James Bond. Tout commence il y a quelques jours sur la chaîne Al-Qahira wal Nass lorsque l’animateur Abdel-Réhim Ali affirme que certaines figures de proue de la révolution sont impliquées dans des conversations téléphoniques « hautement suspectes ».
Selon Abdel-Réhim Ali, ces conversations montrent que les activistes en question sont « commandités et financés de l’étranger » et qu’ils se livrent à « des activités contre l’intérêt de l’Egypte ». Ahmad Maher, Asmaa Mahfouz, Moustapha Al-Naggar, Mohamad Adel et Youssef Abdel-Rahmane, tous des figures de la révolution du 25 janvier, sont sur la sellette. Certains d’entre eux seraient impliqués dans l’attaque contre les sièges de la Sécurité d’Etat en mars 2011. Le Parquet vient de demander une copie des conversations pour vérifier leur authenticité. L’une de ces conversations se déroule entre Mohamad Adel, du mouvement du 6 Avril, et une femme étrangère à laquelle il promet d’envoyer des vidéos sur les événements en cours en Egypte, ainsi que sur les récents entraînements des membres du mouvement du 6 Avril en Serbie et en Egypte. Dans une autre conversation, Asmaa Mahfouz, une autre figure de la révolution, demande à son ami Souka qui travaille au sein de la Sécurité de l’Etat de lui rapporter son dossier. Souka lui dit que la sécurité a enregistré toutes ses conversations « à scandale ». Ahmad Maher dit à un homme d’affaires connu des Frères musulmans qui l’appelle de Londres qu’il ne « lâchera pas avant de faire chuter le régime ».
Abdel-Réhim Ali dit posséder plus de 500 autres conversations et qu’il continuera à les diffuser à moins que la justice ne lui ordonne d’arrêter. En réaction, une soixantaine d’activistes ont envoyé une lettre au président de la République réclamant l’arrêt de la diffusion de ces conversations téléphoniques même si elles ont été enregistrées avec autorisation du Parquet.
Légalité des enregistrements
La médiatisation de ces conversations téléphoniques ouvre tout un débat tant moral que politique. Elle rappelle le débat déclenché il y a quelque temps sur les fameux documents de Wikileaks. Quelles sont les limites entre le respect de la vie privée et les contraintes liées à la protection de la sécurité nationale ? Le débat tourne aussi autour de la légalité des ces enregistrements. Plusieurs organisations des droits de l’homme, dont le Conseil national des droits de l’homme, ont déposé une plainte au procureur général contre Abdel-Réhim Ali, réclamant l’ouverture d’une enquête immédiate sur la légalité de ces enregistrements. Elles réclament l’ouverture d’une enquête avec l’entreprise Vodafone, opérateur du service de téléphonie utilisé par les activistes. « C’est une atteinte flagrante à la vie privée, à la loi et aux conventions internationales ratifiées par l’Egypte. Si ces enregistrements sont légaux, pourquoi le Parquet n’a-t-il pas ouvert une enquête sur les activistes accusés ? Nous voulons savoir qui a enregistré ces conversations et si cela a été fait avec l’autorisation du Parquet », lance Gamal Eid, président du Réseau arabe pour les droits de l’homme.
Mais pour d’autres, peu importe que ces enregistrements soient légaux. Ce qui compte c’est leur contenu. C’est notamment l’avis de Mamdouh Ramzi, avocat, qui a déposé une plainte au procureur général réclamant l’ouverture d’une enquête avec Ahmad Maher et Asmaa Mahfouz les accusant de « conspiration, d’attaque contre le bâtiment de la Sûreté d’Etat » et de « s’être emparés de documents confidentiels ». « Il est clair que ces activistes sont impliqués dans des crimes d’espionnage pour lesquels ils doivent être jugés. S’il faut faire un choix entre le respect de la vie privée et la sécurité nationale, il faut choisir cette dernière », pense Mamdouh Ramzi. Adel Amer, expert juridique, explique que le jugement des activistes en vertu de ces documents dépend de la légalité de ces enregistrements : « Si ces enregistrements ont été faits par des instances souveraines en vertu de l’état d’urgence, qui permet pour des raisons de sécurité nationale de mettre des gens sous écoute, ils sont valides.
Mais s’ils ont été faits sans autorisation du Parquet, ils sont invalides ». Concernant le statut du présentateur du programme, Sayed Abou-Zeid, avocat du syndicat des Journalistes, affirme qu’il est solide. « Un journaliste a le droit de publier des informations sans s’attaquer à la vie privée des personnes », indique Abou- Zeid.
Enjeu de diffusion
La vraie question est de savoir qui a procédé à ces enregistrements et surtout quel est l’enjeu de leur diffusion à ce moment. Le ministère de l’Intérieur s’en lave les mains rappelant qu’à la date où ces conversations ont eu lieu la Sûreté d’Etat était démantelée. Le général Ahmad Helmi, vice-ministre de l’Intérieur pour la sécurité, a déclaré que « si le ministère possédait de tels enregistrements, il les présenterait immédiatement au Parquet ». La compagnie de téléphonie portable Vodafone a aussi nié toute implication dans ces enregistrements, affirmant
qu’elle ne possède pas les moyens techniques permettant d’enregistrer ou de décoder les appels téléphoniques de ses clients.
Pour Haissam Al-Chawaf, porte-parole de la Coalition des forces révolutionnaires, si ces enregistrements apportent la preuve que certains révolutionnaires sont financés de l’étranger, alors ils doivent être jugés. « La révolution du 25 janvier a été une révolution de tout un peuple et on ne peut pas l’abréger à ces figures », explique Al-Chawaf. Il pense que la diffusion de ces conversations est une sorte de purge dans les rangs des forces révolutionnaires. D’autres voient au contraire dans ces enregistrements une tentative de remettre en cause la légitimité de la révolution du 25 janvier en défigurant ses symboles. C’est l’avis de Moustapha Al-Naggar, ancien député pour qui c’est une diffamation préméditée et une campagne « d’assassinat moral » contre les révolutionnaires du 25 janvier. « Les symboles de cette révolution ne sont pas
des saboteurs et des traîtres comme veulent bien les présenter aujourd’hui les caciques du régime de Moubarak qui, depuis le 30 juin, reviennent sur la scène politique », affirme Al-Naggar qui a aussi déposé une plainte au procureur général contre Abdel-Réhim Ali l’accusant de diffamation et d’atteinte à la vie privée.
Selon lui, ces enregistrements ne prouvent absolument rien. Farida Al- Naqqach, rédacteur en chef du journal Al- Ahali et cadre du parti du Rassemblement, est convaincue que ces enregistrements ne discréditent absolument pas la révolution de
janvier même si certains veulent exploiter cette affaire pour reconquérir le terrain perdu et faire revenir l’Etat policier. « Ce sont les caciques du régime de Moubarak qui cherchent à montrer qu’il y a un fossé entre la révolution du 25 janvier et celle du 30 juin. Leurs tentatives seront vouées à l’échec parce que le peuple est conscient qu’il est le vrai auteur des deux révolutions et ne permettra aucun retour en arrière », estime Al-Naqqach. Elle ajoute que même pendant la révolution, le mouvement du 6 Avril et quelques activistes ont été remis en cause pour relations suspectes avec les Frères musulmans ou des organisations étrangères.
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