
Le vide laissé par les Frères a encouragé de nouvelles formations politiques à émerger.
L’annonce a été faite il y a quelques jours. Des figures politiques, des intellectuels et des personnalités de tous bords ont créé un front politique commun. Objectif : soutenir la feuille de route et les autorités intérimaires actuelles. Appelé Misr Baladi (l’Egypte est mon pays), le front regroupe des personnalités bien connues, tels l’ancien mufti de la République, Ali Gomaa, le journaliste Moustapha Bakri (porte-parole du groupe) ou l’ancien conseiller à la présidence de la République, Moustapha Al-Fiqi. Il comprend aussi des islamistes dissidents, comme Khaled Al-Zaafarani, ancien membre de la confrérie des Frères musulmans, et d’anciens députés de l’époque Moubarak. Son secrétaire général est Qadri Abou-Hussein, ancien gouverneur de Hélouan sous Moubarak, et son coordinateur général est Ahmad Gamaleddine, ancien ministre de l’Intérieur. « Notre front regroupe des personnalités de tous bords qui veulent bâtir l’avenir de l’Egypte. Notre but n’est pas d’exercer la politique, puisque nous ne sommes pas un parti politique. L’objectif principal du front est la protection des institutions du pays et le soutien de l’armée dans sa lutte contre le terrorisme et les violences commises par les pro-Morsi », explique Moustapha Bakri.
Le front se dit prêt à former une alliance avec tous les partis qui « oeuvrent pour l’intérêt de l’Egypte » et les jeunes révolutionnaires pour approuver la nouvelle Constitution, préparer les élections législatives et présidentielle, soutenir l’armée dans sa lutte contre le terrorisme, et faire « régner l’Etat de droit ». Le front a ainsi annoncé le lancement d’une campagne pour soutenir le « oui » au référendum sur la Constitution prévu les 14 et 15 janvier. « C’est le seul moyen pour l’Egypte pour aller de l’avant », ajoute Bakri. Misr Baladi fait partie d’une série d’autres formations qui ont émergé récemment sur la scène. Parmi celles-ci Houmat Misr (les protecteurs de l’Egypte), un parti nouvellement formé, le Front égyptien, présidé par l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmad Aboul-Gheit, le parti Misr Al-Watan (l’Egypte est la patrie), et la Coalition de la volonté populaire.
Toutes ces formations s’inscrivent dans la même optique, à savoir soutenir les autorités intérimaires et la feuille de route. Pour certains, il s’agirait de vitrines permettant la résurgence de l’ancien régime de Moubarak. C’est en tout cas l’avis d’Aboul-Ezz Al-Hariri, du parti du Rassemblement (gauche). Il refuse toute coordination avec ces nouveaux partis et mouvements politiques. « Ces formations sont formées principalement de partisans de l’ancien régime avec l’objectif de réformer leur image auprès des citoyens avant de se présenter aux élections législatives », lance-t-il.
Des accusations rejetées par Moustapha Bakri. « Les ennemis du pays cherchent à diffamer Misr Baladi ainsi que tous les partis créés après la révolution de 30 juin, car ces partis soutiennent la candidature d’Al-Sissi à la présidentielle », commente Bakri.
En réalité, la chute du régime des Frères a sans doute encouragé ces formations politiques à émerger. Les Frères ont laissé un vide politique derrière eux. Or, celui-ci devait être occupé.
« Depuis la révolution du 25 janvier 2011 et la dissolution du PND, un bon nombre de ses membres attendaient leur retour sur la scène politique. Alors que certains d’entre eux se sont contentés d’apparaître dans les chaînes satellites, d’autres ont insisté sur le fait de ne pas quitter le champ politique. C’est le cas par exemple d’Ahmad Chafiq, ancien candidat à la présidentielle de 2012. Bien qu’il ait quitté le pays il a créé son parti le Mouvement national, et se prépare à disputer les législatives », explique le politologue Ahmad Abd-Rabbo. Et de rappeler que sous Moubarak, l’Egypte comptait une vingtaine de partis d’opposition, dont le rôle était assez fragile en comparaison avec le Parti national démocrate.
Cette aspiration a été ravivée après la destitution du président Morsi d’une part, au vu de l’apparente faiblesse des partis islamistes présents sur la scène, et d’autre part, par le sentiment ressenti par la population que la révolution n’a pas apporté ses fruits. En effet, avec la violence et le chaos dans le pays, beaucoup de citoyens ont commencé à douter de la révolution estimant que le régime de Moubarak était peut-être préférable. « Or, il ne s’agit pas encore du retour direct de toutes les figures de l’ancien régime, mais plutôt des cadres compétents de ce régime qui a gouverné pendant trois décennies. Les signes du retour de ce régime existaient avec notamment la formation du gouvernement de Hazem Al-Beblawi, où un tiers des ministres (11 sur 34) avaient servi d’une façon ou d’une autre sous Moubarak. Ils sont entrés au gouvernement Beblawi sous couvert qu’ils sont des technocrates, et qu’ils sont de hauts fonctionnaires qui n’exercent pas la politique de manière directe », ajoute Abd-Rabbo. C’est le cas par exemple du ministre des Finances, Ahmad Galal, un ancien cadre de la Banque mondiale qui était conseiller de Gamal Moubarak, et du ministre du Développement local, Adel Labib, l’ancien gouverneur d’Alexandrie en 2010.
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