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Les révolutionnaires dans l’oeil du cyclone

Héba Nasreddine, Lundi, 09 décembre 2013

La Cour criminelle a entamé dimanche l'examen du procès de deux figures emblématiques de la révolution, Ahmad Douma et Ahmad Maher. Les deux hommes sont accusés d'« actes de violence » et de « manifestation illégale ».

Les faits remontent à la semaine dernière, lorsque Douma, ancien porte-parole de la Coalition des jeunes de la révolution, et plusieurs dizaines d’activistes ont manifesté devant la Cour de Abdine, au centre du Caire, en solidarité avec un autre militant, Ahmad Maher, fondateur du mouvement du 6 Avril, convoqué par le tribunal pour répondre d’une accusation de « manifestation illégale ». Douma et Maher sont des figures emblématiques de la révolution du 25 janvier 2011, qui avait mené à la chute du président Moubarak. Les deux hommes ont comparu dimanche devant la Cour criminelle, pour « actes de violence » et « manifestation illégale ». Leur procès soulève des réactions controversées au sein de la classe politique et des organisations des droits de l’homme. « Pourquoi déférer ces deux activistes devant la Cour criminelle ? », s’insurge Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation Egyptienne des Droits de l’Homme (OEDH), qui appelle à la libération « immédiate et sans condition » de ces « prisonniers d’opinion ». Selon lui, c’est une mise en garde claire adressée par le gouvernement à l’opposition et affirmant qu’aucun débordement ne sera toléré.

Le procès de Douma et d’Ahmad Maher intervient, en effet, dans un contexte particulièrement tendu, avec notamment une contestation à la loi sur les manifestations promulguée récemment, et à certaines clauses de la Constitution, comme celle se rapportant au jugement des civils devant les tribunaux militaires. Cette contestation s’est traduite notamment par des manifestations violentes. Or, l’Etat veut se montrer ferme. D’où l’arrestation des activistes et leur déferrement devant la justice.

Le 26 novembre, une autre figure de la révolution, le blogueur Alaa Abdel-Fattah, avait été arrêté à son domicile et accusé lui aussi de « manifestation illégale » et « d’agression contre un officier de police ». Abdel-Fattah avait pris part, quelques jours plus tôt, à une manifestation contre le projet de Constitution devant le Conseil consultatif. D’autres figures de la révolution, tels l’activiste Ahmad Harara, Mohamad Adel, membre du mouvement du 6 Avril, et Mona Seif, fondatrice de la campagne « Non aux procès militaires pour les civils », ont fait l’objet d’intimidations. Seif et 15 autres militantes avaient notamment été arrêtées et relâchées au milieu de la nuit, à une dizaine de kilomètres au sud du Caire, suite à une manifestation contre le jugement des civils devant les tribunaux militaires au Caire. Le procureur général vient, en outre, d’ouvrir une enquête sur Douma et Asmaa Mahfouz, une autre militante de la révolution, pour « insultes au ministre de la Défense, Abdel-Fattah Al-Sissi ».

Pour certains, cette « fermeté » des autorités est nécessaire dans la phase actuelle que traverse le pays. « L’Egypte est confrontée à une situation extrêmement difficile, et l’Etat doit absolument être ferme. Il doit faire respecter la loi, sinon, ce sera la grande pagaille. Les manifestations sont régies par une loi, et cette loi doit être respectée. La seule manière de mettre fin au chaos est d’être ferme et d’appliquer la loi », lance le président du Parti démocratique, Effat Al-Sadate.

Tentative d’intimidation

Mais cet avis n’est pas partagé par tous, car pour d’autres, l’arrestation et la traduction en justice des militants de l’opposition signifient la fin de l’Etat de droit et le retour aux méthodes répressives de l’ancien régime. Plusieurs activistes de la révolution ont déjà fait de la prison durant la période qui a suivi la chute de Moubarak, et sous Morsi. Alaa Abdel-Fattah a fait plusieurs mois de prison en 2011 suite à une manifestation devant le siège de la Radiotélévision à Maspero. Ahmad Douma avait été, lui aussi, arrêté en 2012, lors d’une manifestation devant le Conseil des ministres. Il avait été condamné à 6 mois de prison pour insulte à Mohamad Morsi et libéré 3 jours après la destitution de ce dernier. « Aujourd’hui, il y a une claire tentative d’intimidation à l’égard de ces activistes de l’opposition », estime Khaled Ali, avocat et candidat à la présidence de la République en 2012. Et d’ajouter : « La preuve en est que le projet de la nouvelle Constitution adopté la semaine dernière par le comité des 50 autorise le jugement des civils devant les tribunaux militaires ». Cet avis est partagé par le politologue Ahmad Abd-Rabbou, pour qui la décision de traduire en justice les militants de la révolution est une décision non réfléchie. « La confiance entre le régime et les révolutionnaires risque d’être brisée si de telles méthodes continuent, et la rue égyptienne risque de ne plus soutenir le gouvernement », conclut Abd-Rabbou.

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