Après la turquie, dont l’ambassadeur a été expulsé il y a quelques semaines, c’est au tour du Qatar de connaître des tensions avec l’Egypte. Depuis le 3 juillet dernier, date du renversement de l’ex-président Mohamad Morsi, les relations égypto-qatari sont sur la corde raide.
Et pour cause : le soutien continuel de Doha aux Frères musulmans exaspère les nouvelles autorités égyptiennes. Cette semaine encore, plusieurs « incidents » sont venus accentuer cet état de tension entre Le Caire et Doha. D’abord, l’apparition cette semaine sur la chaîne qatari Al-Jazeera de Assem Abdel-Magued, un partisan de Morsi et ancien membre de la Gamaa islamiya.
Abdel-Magued, recherché par la justice égyptienne pour incitation à la violence, se trouverait dans un hôtel du Qatar : une provocation pour l’Egypte. D’où les déclarations plutôt fermes du ministre des Affaires étrangères, Nabil Fahmi : « Il y a des problèmes avec le Qatar. Les relations avec ce pays ne sont pas stables et nous souhaitons que le régime qatari revienne à une attitude plus positive envers l’Egypte ».
Le président par intérim, Adly Mansour, avait lui aussi averti il y a quelque temps que la patience de l’Egypte est « à bout » en allusion au soutien qatari au président déchu et aux Frères musulmans. Soutien qui s’est traduit notamment par une couverture médiatique très partiale des événements en Egypte.
D’après le quotidien américain World Tribian, le Qatar est devenu « un véritable refuge pour les islamistes égyptiens », une sorte de tribune à travers laquelle ils attaquent le nouveau régime. Outre Assem Abdel-Magued, le petit émirat pétrolier d’un million d’habitants abrite des figures comme le célèbre prêcheur Youssef Al-Qaradawi. Ce partisan des Frères musulmans naturalisé qatari est recherché notamment pour incitation au meurtre. Il avait appelé au djihad contre le régime intérimaire et au rétablissement de Morsi dans ses fonctions. D’autres figures connues des Frères se trouvent également au Qatar comme le prédicateur Wagdi Ghoneim, très actif sur Internet.
Restitution du prêt
Exaspéré par la politique du Qatar, Le Caire a annoncé cette semaine la restitution à Doha d’un dépôt de deux milliards de dollars après avoir échoué à les transformer en bons du Trésor, et ce, malgré la crise économique. Le Caire avait refusé récemment une demande qatari d’augmenter le nombre de vols qu’effectue chaque semaine la compagnie Qatar Airways entre les deux pays de 28 à 42.
La tension entre les deux pays a également touché le domaine sportif. Le Qatar a accueilli une réunion du Centre de développement régional relevant de la Fédération internationale d’athlétisme sans prévenir l’Egypte, et ce, en violation des lois de la fédération. Le club Ahli a, lui, refusé une offre pour jouer un match amical avec une équipe qatari contre 200 000 dollars.
Les responsables du club ont affirmé qu’ils se sentaient « embarrassés » à l’idée de jouer au Qatar. Au niveau populaire, deux manifestations ont été organisées durant cette semaine par des mouvements révolutionnaires et des partis politiques devant le siège de l’ambassade du Qatar à Guiza demandant au gouvernement égyptien d’expulser l’ambassadeur et de réduire le niveau de représentation diplomatique entre les deux pays. Enfin, un avocat du nom de Samir Sabri vient d’intenter un procès réclamant une rupture des relations avec le Qatar et le renvoi de l’ambassadeur.
Pourquoi cette tension persistante avec le Qatar ? Et comment les relations entre les deux pays peuvent-elles évoluer ? « La tension avec le Qatar remonte à 1995 lorsque le cheikh Hamad Ben Khalifa a renversé son père avec le soutien des Etats-Unis. La plupart des pays arabes, et à leur tête l’Egypte, avaient alors soutenu l’émir déchu, chose que le nouvel émir n’a jamais oubliée », explique Mohamad Saïd Idris, chef du département des recherches arabes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
« Le Qatar est un tout petit Etat qui cherche à combler son infériorité. Fort de ses pétrodollars, mais aussi du soutien américain, il cherche à se forger un rôle régional plus grand que son vrai potentiel », ajoute le chercheur. Mais comment ? En se dressant contre l’ordre établi. Dès l’arrivée au pouvoir de l’émir Hamad Ben Khalifa en 1995 et jusqu’à son départ en juin dernier, le Qatar a joué les trouble-fêtes multipliant les interventions sur la scène régionale et n’hésitant pas à bousculer des pays autrement plus importants que lui comme l’Egypte et l’Arabie saoudite. Doha a cherché par exemple à se poser en médiateur dans le processus de paix israélo-palestinien mais aussi au Darfour, créant des frictions avec l’Egypte.
Soutenir les « nouveaux maîtres »
Avec le déclenchement du Printemps arabe, le Qatar a vu une opportunité d’étendre son influence en soutenant les « nouveaux maîtres » de la région, à savoir les mouvements islamistes. Doha soutient le régime des Frères musulmans et fournit à l’Egypte une aide de plusieurs milliards de dollars. Juste après le déclenchement de la révolution du 25 janvier, le cheikh Youssef Al-Qaradawi, qui était interdit d’entrer en Egypte à l’époque de Moubarak, arrive au Caire et dirige plusieurs prières du vendredi.
« Le Qatar s’appuie dans sa politique sur le soutien américain. Ce pays possède les plus grandes bases militaires américaines dans la région du Moyen-Orient. La politique qatari reflète la rencontre des intérêts des Etats-Unis et du Qatar », explique Idris. Pour preuve, la chaîne Al-Jazeera est un instrument servant les intérêts américains. D’après le journal britannique Financial Times, le comportement de la chaîne est au centre des tensions entre Le Caire et Doha. Al-Jazeera était la chaîne préférée des Egyptiens révolutionnaires pendant la révolution du 25 janvier. Mais après la destitution de Morsi, la couverture des événements par la chaîne fut considérée comme clairement partiale et ne reflétant pas la réalité des choses.
La destitution de Mohamad Morsi a détruit tous les espoirs qatari. Choqués par la position du Qatar, les responsables égyptiens souhaitent un changement de la politique de ce pays notamment après l’arrivée au pouvoir de l’émir Tamim, fils de l’émir Hamad. A en croire l’écrivain tunisien Sami Al-Galouli, auteur d’un livre sur le rôle du Qatar dans les révoltes arabes intitulé Les Printemps arabes, l’attitude du Qatar ne changera pas. L’émir Tamim a, en effet, été l’élève du cheikh Youssef Al-Qaradawi.
Cependant, les intérêts des deux pays devraient prendre peu à peu le dessus et on devrait assister à un retour à la normale après l’avènement d’un gouvernement élu en Egypte. « Nous ne sommes pas en conflit avec le peuple qatari que nous respectons, mais avec le régime de Doha. Et nous souhaitons qu’il retrouve une attitude plus positive envers l’Egypte », déclarait le porte-parole du Conseil des ministres, l’ambassadeur Hani Salah .
Lien court: