Le président égyptien Abdel-Fattah El-Sisi serre la main à son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan à Doha, au Qatar, en présence de l’émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad, dimanche avant la cérémonie d’inauguration de la Coupe du monde Qatar 2022. Présidence égyptienne
Une première depuis plus de dix ans. Ce mercredi 14 février, le président Recep Tayyip Erdogan est arrivé au Caire dans une visite qui marque une nouvelle phase dans la normalisation entre Le Caire et Ankara et qui a de larges répercussions sur la sécurité de la région, compte tenu de la dimension stratégique et du poids régional des deux pays.
C’est en 2021 qu’ont été entamés les premiers pas vers la normalisation à travers des négociations exploratoires au niveau ministériel. Plusieurs étapes s’en sont suivies et ont abouti à surmonter les obstacles à restaurer les relations.
Mais ce n’est qu’en juillet 2023 que les deux pays ont annoncé le retour de leurs relations diplomatiques au niveau des ambassadeurs, après près d’une décennie de désaccords et d’escarmouches médiatiques mutuelles. Les deux présidents ont repris communication au cours des derniers mois, après s’être serré la main en novembre 2022 en marge de la Coupe du monde de football au Qatar, puis se sont rencontrés en marge du sommet du G20 dans la capitale indienne, New Delhi, en septembre 2023.
Mais outre le volet bilatéral, cette visite intervient à un moment délicat au vu des tensions régionales. Pour le président du Centre égyptien des affaires étrangères et ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Al-Orabi, les relations entre le Caire et Ankara évoluent positivement.
« Le rapprochement égypto-turc constitue une étape majeure pour assurer la stabilité régionale et tenter de trouver des solutions aux problèmes qui sont devenus presque chroniques dans la région », dit-il, assurant que ceci aura de nombreuses répercussions stratégiques, étant donné que la région a besoin du plus grand degré de coopération plutôt que de confrontation entre les forces régionales, notamment dans le contexte actuel et la guerre contre Gaza. « Des points de vue égypto-turcs convergents généreront une dynamique susceptible de résoudre les tensions, et ce, en unissant leurs efforts pour mettre un terme à la guerre ».
Selon Al-Orabi, même s’il existe des divergences entre les deux pays sur certaines questions, l'objectif stratégique principal reste la coopération afin de réduire les tensions dans la région. « Et c'est pourquoi l'Égypte et la Turquie sont conscientes qu’il est nécessaire de surmonter les divergences, à condition que cela ne menace pas la sécurité de l'un ou l'autre. C’est l'approche qui sera adoptée par les deux pays dans la période à venir », dit-il.
Relations économiques prometteuses
Sur le volet des relations bilatérales, le rapprochement politique et diplomatique entre l’Egypte et la Turquie contribuera à l'amélioration des relations économiques entre les deux pays. C’est ce qu’affirme le spécialiste de la Turquie au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, Karam Saïd. L’expert explique que les relations économiques ont toujours constitué la pierre angulaire des relations entre l’Égypte et la Turquie. Il rappelle que « malgré le désaccord politique persistant depuis 2013, les relations économiques et commerciales bilatérales n’ont jamais été interrompues. Aujourd’hui, ce rapprochement est prometteur. On prévoit une augmentation importante dans le volume des échanges commerciaux entre les deux pays, puisque l’un de leurs principaux objectifs est de coopérer pour affronter les mauvaises conditions économiques mondiales ».
Selon les données de l'Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques, la valeur des échanges commerciaux entre l'Égypte et la Turquie a augmenté de 14 % en 2022, atteignant 7,7 milliards de dollars, contre 6,7 milliards de dollars en 2021.
La valeur des exportations égyptiennes vers la Turquie a augmenté à 4 milliards de dollars en 2022, contre 3 milliards de dollars en 2021, soit une augmentation de 32,3 %, tandis que la valeur des importations égyptiennes en provenance de Turquie a atteint 3,72 milliards de dollars en 2022, contre 3,74 milliards de dollars en 2021, marquant une diminution de 0,7 %.
Un développement important qui verra selon le spécialiste un bond considérable à la lumière de cette visite. En effet, en avril 2023, l'ancien ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu avait déclaré qu’Ankara souhaitait porter le niveau des échanges commerciaux avec le Caire à 15 milliards de dollars, lors d'une conférence de presse conjointe qu'il a tenue avec son homologue égyptien, Sameh Shoukry. Il a même assuré que son pays s'efforce de stimuler les entreprises turques afin d'augmenter leurs investissements en Égypte, notamment les entreprises touristiques. Un plan qui intervient dans le cadre d’une feuille de route établie entre les deux pays pour augmenter les échanges commerciaux entre les deux pays de 50 % au cours des cinq prochaines années.
Ce n’est pas tout. Le président du Conseil des affaires égypto-turc, Adel Lamei, a déclaré le 11 février que des discussions sont en cours entre l'Égypte et la Turquie sur l'utilisation des monnaies locales dans les échanges commerciaux entre les deux pays.
Aussi le ministre du Commerce et de l'Industrie, Ahmed Samir, a déclaré qu’à la lumière du développement positif qui s'est reflété dans le mouvement des échanges commerciaux et des investissements entre les deux pays, 'une coordination est en cours avec le ministère turc du Commerce pour accélérer le rythme de fonctionnement de la ligne maritime « RORO » entre l'Égypte et la Turquie, ce qui contribuera à accroître les échanges commerciaux entre les deux pays.
D’autres volets de coopération
Le volet économique n’est cependant pas le seul axe de coopération. Une semaine avant la visite du président turc, divers volets de coopérations ont commencé à s’ouvrir entre les deux pays, notamment la coopération militaire. Le ministre turc des Affaires étrangères Hakan Fidan a annoncé que la Turquie a l’intention de vendre des drones à l'Égypte, marquant par cette étape un tournant et un nouveau pas dans les relations bilatérales. « Le processus de normalisation est largement achevé. Les relations entre les deux pays sont importantes pour la sécurité et le commerce dans la région », a souligné Fidan lors d'un entretien télévisé. Pour Saïd, le renforcement de la coopération militaire constitue un axe très important qui vient promouvoir les relations bilatérales. « Avant la rupture des relations, l’Egypte et la Turquie menaient des manœuvres militaires conjointes. On s’attend donc à un renforcement de ces relations ».
Ainsi, selon les analystes, ce rapprochement vient répondre à l’intérêt des deux pays. L’Egypte veut créer de nouvelles opportunités d’investissement. Pour la Turquie, l'Egypte constitue une terre propice pour les investissements et une porte d’entrée pour l’Afrique. Aussi explique Saïd, ce rapprochement répond aux ambitions d’Ankara de rejoindre le Forum gazier de la Méditerranée orientale, à la lumière de l’évolution actuelle des relations régionales. « Le rapprochement se reflétera également dans de nombreux dossiers régionaux, notamment celui de la Méditerranée orientale, d’autant plus que l’Egypte n’a pas de différends maritimes avec la Turquie », conclut-il.
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