« 40 % des médicaments égyptiens sont en risque de pénurie ». Lors d’une récente séance parlementaire, le président de la commission de la santé au Parlement, Ashraf Hatem, a lancé l’alerte sur le problème des médicaments en Egypte. Plusieurs députés avaient en effet présenté au gouvernement des interrogations sur le manque de certains médicaments sur le marché, notamment ceux importés. Mais selon certains députés, la pénurie touche aussi les médicaments fabriqués localement.
La dévaluation de la livre égyptienne par rapport au dollar a augmenté les prix des médicaments. En effet, si l’Egypte fabrique 90 % de ses besoins en médicaments dans des usines pharmaceutiques égyptiennes, 95 % des matières premières, y compris celles requises pour les emballages, sont importées. « Nous comprenons qu’il y a le problème du taux de change mais cela ne doit pas devenir un prétexte pour justifier le problème », estime la députée Maha Abdel-Nasser, du Parti démocratique égyptien, qui avait soumis au parlement une interrogation sur la pénurie de médicaments. Erene Saeid, députée et membre de la commission de la santé au Parlement, renchérit : « Les usines égyptiennes ne produisent plus les quantités qu’elles produisaient auparavant. Les patrons des usines pharmaceutiques ont été contraints de réduire non seulement la production mais également le nombre d’ouvriers. Ce qui a amplifié la crise ».
En fait, il y a d’un côté la pénurie, de l’autre la hausse des prix. Certains médicaments, notamment ceux contre les maladies chroniques, ont connu des hausses importantes. Une augmentation des prix comprise entre 70 et 200 %. Par ailleurs, certains médicaments sont difficilement trouvables comme les anti-coagulants, ainsi que les médicaments contre le diabète, les maladies cardiovasculaires et la sclérose en plaque.
Des alternatifs disponibles
Or, interrogé par l’Hebdo, Gamal Al-Leithy, directeur de la Chambre de fabrication des produits pharmaceutiques, explique que la pénurie existe au niveau des marques pharmaceutiques et non pas au niveau des médicaments eux-mêmes, vu qu’il y a, sur le marché, des alternatives aux médicaments manquants mais par d’autres fabricants. « En réalité, la pénurie ne concerne que 5 à 10 % des médicaments », précise-t-il. Même son de cloche chez le chef du département des médicaments de l’Union générale des Chambres de commerce, Ali Auf. « Les patients se plaignent du manque de certaines marques qu’ils semblent préférer ou qu’ils ont l’habitude de consommer, mais il existe des alternatives qui ont la même qualité. Il faut que les médecins prescrivent le nom scientifique du médicament, celui du principe actif du médicament et non pas le nom commercial car celui-ci réfère à la firme pharmaceutique qui le produit », assure-t-il.
Autre problème relevé par Auf, le fait que de nombreux médicaments sont vendus sans ordonnance. Selon lui, il est nécessaire de promulguer une loi imposant obligatoirement la possession d’une prescription médicale pour l’achat des médicaments. « Les Egyptiens en achètent en quantité et sans ordonnances, ce qui peut mener au gaspillage du stock de médicaments », affirme Auf. Il propose même l’adoption de deux types de prescriptions médicales, une pour l’achat du médicament une seule fois et une autre pour les traitements à long terme.
Malgré le mérite de ces solutions, elles ne peuvent seules résoudre le problème. La dévaluation de la livre égyptienne rend la pénurie des médicaments un problème permanent, puisque l’industrie pharmaceutique est toujours dépendante de l’importation, explique Al-Leithy qui souligne que « l’Egypte a environ 170 usines pharmaceutiques, mais elle importe des matières premières à hauteur de 250 millions de dollars par mois ».
Un marché mondial sclérosé
Le manque de médicaments n’est pas exclusif à l’Egypte, mais représente un phénomène mondial. Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), plus de 3 700 ruptures ou risques de ruptures de médicaments ont été signalées sur le sol français en 2022, contre 700 en 2018 et moins de 200 en 2012. Le mot-clé de cette pénurie mondiale est les principes actifs, c’est-à-dire la matière qui produit un effet thérapeutique. Deux pays seulement produisent désormais 80 % des principes actifs des médicaments dans le monde : l’Inde et la Chine. Le monde entier est extrêmement dépendant de ces deux pays. L’Europe s’est rendu compte de ce problème quand la Chine a fermé ses frontières lors du Covid-19 au printemps 2020 et quand l’Inde a arrêté l’exportation de paracétamol pour le réserver à sa population. Selon les experts, les pays développés ont négligé la fabrication des principes actifs parce que c’est une industrie polluante. Ils s’intéressent plutôt aux recherches scientifiques et au développement des médicaments.
Mais qu’en est-il de l’Egypte ? Dans les années 1960, sous la présidence de Gamal Abdel-Nasser, l’Egypte avait commencé la première étape de fabrication des principes actifs lorsqu’elle avait fondé en 1960 la compagnie Al-Nasr pour les produits chimiques et pharmaceutiques afin de donner accès aux médicaments aux classes pauvres et moyennes dans les hôpitaux publics. La décision de fonder cette usine a été prise après la nationalisation du Canal de Suez en 1956, lorsque l’Occident avait arrêté d’exporter des médicaments vers l’Egypte. Mais aujourd’hui, explique El-Leithy, la société Al-Nasr produit moins de 0,5 % des principes actifs dont a besoin l’industrie pharmaceutique locale. « Nous avons entre 3 et 5 usines privées qui ont commencé à produire les principes actifs, mais ils ne couvrent que 1 % des besoins des usines pharmaceutiques. L’industrie des principes actifs est stratégique ». Le directeur de la Chambre de la fabrication des produits pharmaceutiques assure qu’il faut encourager le secteur privé à entrer dans cette industrie en offrant des avantages fiscaux et en diminuant les impôts, les douanes sur les équipements et les matières premières pour diminuer le prix des principes actifs.
Plusieurs démarches
Malgré toutes ces difficultés, l’Egypte déploie d’intenses efforts pour faire face au problème des médicaments. Elle a déjà franchi des pas importants sur la voie de la localisation des produits pharmaceutiques et du développement de l’industrie dans ce secteur. Le conseiller du président de la République pour la santé et les affaires préventives, Dr Mohamad Awad Tagueddine, avait déclaré en décembre 2023 qu’il existait des directives claires de la part du président de la République pour localiser l’industrie pharmaceutique afin d’alléger le fardeau qui pèse sur les citoyens et mettre l’Egypte sur la carte médicale mondiale de cette industrie, alors qu’aujourd’hui, le pays compte 177 usines de médicaments qui produisent 85 % des médicaments essentiels.
En avril 2021, le président Sissi a en outre inauguré la Gypto Pharma City ou la cité pharmaceutique dans la ville d’Al-Khankah, dans la province de Qalyoubiya, sur une superficie de 180 000 m2. Il s’agit d’une ligne d’emballage de produits pharmaceutiques sous blister automatique qui a pour but de produire des médicaments sûrs et efficaces. Cette cité a pour objectif d’accroître la coopération entre l’Etat et le secteur privé. Gypto Pharma est divisée en deux grandes usines qui comprennent vingt lignes de production où sont fabriqués et mis en emballage tous les produits pharmaceutiques requis dans le pays : comprimés, capsules, effervescents, sirops pharmaceutiques, crèmes, ampoules, flacons, solutions, médicaments ophtalmiques et anesthésiques, etc. La cité pharmaceutique « produit de nombreux médicaments importants utilisés dans le traitement des infections respiratoires, des maladies chroniques telles que le diabète, l’hypertension artérielle et les maladies cardiaques, ainsi que des solutions médicales utilisées dans les hôpitaux. Elle coopère avec certaines sociétés internationales pour fabriquer et localiser conjointement certains médicaments modernes », affirme Tagueddine. Elle a recours aux dernières technologies et à des machines automatisées qui permettent de garantir une production de la plus haute qualité : les appareils sont autonettoyants et permettent que le processus de production soit toujours en activité, sans aucune interruption. Parallèlement, l’Egypte a lancé un autre projet pour résoudre le problème de l’importation des matières brutes pharmaceutiques, à savoir la cité des matières premières pharmaceutiques qui sera la seule au Moyen-Orient à produire les matières premières et les préparations pharmaceutiques.
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