La récente décision de l’administration Américaine de suspendre son aide militaire à l’Egypte risque d’avoir de nombreuses implications aux niveaux bilatéral et régional, sans pour autant représenter une vraie «
menace » pour l’Egypte.
En représailles à la répression sanglante visant les partisans du président islamiste Mohamad Morsi destitué par l’armée le 3 juillet dernier, les Etats-Unis ont ainsi décidé, le 10 octobre, de « recalibrer » leur aide à l’Egypte : 1,5 milliard de dollars par an, dont 1,3 milliard d’aide militaire. Washington a cessé de fournir des équipements lourds et son assistance financière au gouvernement « en attendant des progrès crédibles vers un gouvernement civil démocratiquement élu ».
Si Le Caire a dénoncé une « mauvaise décision », celle-ci a également suscité des appréhensions en Israël. L’aide militaire américaine, censée contribuer à la stabilité régionale, date de la signature du Traité de paix égypto-israélien en 1979. Les Israéliens craignent que l’Egypte ne soit plus tenue d’observer de manière stricte ce Traité.
Jusqu’ici, aucune déclaration officielle provenant du Caire n’a établi ce lien, pourtant évident pour les Israéliens. Pour le professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, Moustapha Kamel Al-Sayed, l’aide américaine ne figure pas dans le Traité de paix, et par conséquent, Washington peut se permettre de la réduire partiellement ou de carrément l’annuler.
D’autres spéculations se multiplient sur le fait que l’Egypte pourrait être amenée à substituer les Etats-Unis par un autre pourvoyeur, comme elle l’a déjà fait avec la Russie par le passé.
Ainsi, l’ancien ministre adjoint des Affaires étrangères, Hussein Haridi, souligne la nécessité de « renoncer à cette aide, pour mettre fin à l’ingérence américaine dans les affaires intérieures de l’Egypte ». Selon lui, « l’armement américain n’est pas irremplaçable et ne profite pas forcément à l’Egypte ».
Haridi se fait l’écho du chef de la diplomatie égyptienne Nabil Fahmi, lequel estime que le problème entre l’Egypte et les Etats-Unis remonte à bien avant l’annonce de la suspension de l’aide. « Il provient du fait que, tout au long des 3 dernières décennies, l’Egypte a choisi la solution de facilité en comptant exclusivement sur l’aide américaine sans chercher à diversifier ses sources (…) Cela a amené les Etats-Unis à croire à tort que l’Egypte s’alignerait toujours sur les politiques et les objectifs américains », a dit le ministre.
Mais s’il est peu probable que l’Egypte décide de profiter de cette sanction pour « se libérer » de son traité de paix avec Israël ou de son « patron » américain, elle en a sûrement déjà profité sur le plan intérieur.
Gouvernement dépanné
A un moment où l’Egypte baigne dans les pétrodollars fraîchement reçus des pays du Golfe, le gouvernement se trouve à la fois dépanné et enhardi. Par conséquent, la réduction de l’aide américaine permet aux nouveaux dirigeants, qui sont friands de gloire populiste, de faire valoir leur image « révolutionnaire » et leur position « indépendante » vis-à-vis de la superpuissance américaine.
Face à ce que de nombreux politologues et experts militaires égyptiens considèrent comme une carte de pression pour astreindre le gouvernement à réintégrer les Frères musulmans dans le processus politique, Badr Abdel-Aati, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, martèle : « L’Egypte ne cédera pas à la pression américaine, et continuera son chemin vers la démocratie, tel qu’il est prévu par la feuille de route ».
C’est l’attitude que le journal indépendant Al-Tahrir, opposé aux islamistes, traduit explicitement dans l’une de ses manchettes : « L’aide américaine peut aller au diable ».
Si les choses s’arrêtent là, les Etats-Unis ne devraient pas s’inquiéter. C’est que pour beaucoup d’analystes, tout ce que cherche Washington c’est d’être vu comme faisant « quelque chose » pour pénaliser le gouvernement égyptien dirigé par les militaires.
Ceci a été clair dans un premier temps, par l’abstention des Américains de qualifier ce qui s’est passé en Egypte de « coup d’Etat », mais aussi par le retard qu’a pris l’administration Obama pour décider de cette « sanction » aussi partielle que symbolique. Alors que le Département d’Etat utilisait les termes les plus diplomatiques pour exprimer sa « colère », le secrétaire d’Etat John Kerry rassurait Le Caire en insistant sur « l’engagement des Etats-Unis à la réussite du gouvernement » égyptien de transition, et que la suspension de l’aide n’était pas « un retrait de la relation entre les deux pays ». Washington a, en outre, précisé que cette mesure n’avait pas vocation à être permanente. En attendant, la formation d’officiers égyptiens aux Etats-Unis se poursuivra.
Loin des manchettes de la presse, le discours des experts égyptiens est beaucoup moins flatteur pour l’homme de la rue. « Même s’il est nécessaire de diversifier les sources d’armement, il faut reconnaître que les Etats-Unis ont les armes les plus sophistiquées », reconnaît Qadri Saïd, directeur de l’unité des études militaires au Centre des Etudes Politiques et Stratégique (CEPS) d’Al-Ahram. Il souligne l’intérêt de l’Egypte à maintenir de bons rapports avec Washington. « Cela signifie également de bons rapports avec l’Europe », dit-il.
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