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Droit de manifester : une liberté muselée

May Al-Maghrabi, Mardi, 22 octobre 2013

Le nouveau projet de loi régissant le droit de manifester soulève des remous, rejeté par la plupart des forces politiques. Le gouvernement examine la possibilité de le soumettre à un débat de société.

Alors que l’Egypte est frappée depuis quelques semaines par la violence des manifestations islamistes, le gouvernement intérimaire vient d’approuver un projet de loi régissant le droit de manifester. Il devrait ensuite être soumis au Conseil d’Etat avant que le président de la République ne le ratifie.

Le projet soulève cependant un tollé qui a poussé le gouvernement à le soumettre à un débat social. Ce qui était exigé par les forces politiques et les ONG qui qualifient ce projet de « restrictif ».

Ce projet de loi est en réalité quasi identique à celui élaboré par les Frères musulmans lorsqu’ils étaient au pouvoir. Son but est de réglementer les manifestations et d’empêcher la confusion entre manifestations pacifiques et attaques visant les individus et les propriétés. Selon le ministère de la Justice, le projet de loi fait l’équilibre entre le droit des citoyens à manifester pacifiquement et le droit de l’Etat à maintenir l’ordre public.

Dans ce contexte, la loi stipule que les organisateurs d’une manifestation doivent alerter le ministère de l’Intérieur 24 heures à l’avance en déterminant le motif, le lieu, l’itinéraire, la date et la durée du regroupement. Le ministère de l’Intérieur pourra refuser l’organisation d’une manifestation s’il y voit une atteinte à l’ordre public. Une décision que l’organisateur de la manifestation a le droit de contester en justice.

Un périmètre de 100 m autour des bâtiments publics et des ministères sera interdit aux manifestants. Il leur sera aussi interdit de se masquer le visage ou de posséder des armes même non létales ou des matières inflammables. Les manifestations dans les lieux de culte et devant les établissements gouvernementaux policiers ou militaires seront de même catégoriquement prohibées.

La nouvelle loi incrimine par ailleurs les sit-in, le déploiement des tentes sur les lieux de manifestation, le blocage des routes, des lignes de chemins de fer et les entraves à la circulation. Le ministère de l’Intérieur est, lui, autorisé à disperser toute manifestation en cas de dérapage aux moyens des canons à eau, des gaz lacrymogènes et à coups de matraques. La loi autorise également les forces de l’ordre à utiliser la force en cas de défense légitime.

Toute infraction à la loi sera passible d’amende et de peine de prison. Toute personne qui finance une manifestation sans autorisation préalable risque une amende de 100 000 à 300 000 L.E. Et les organisateurs de la manifestation risquent eux une amende allant de 1 000 à 5 000 L.E.

Selon l’Organisation Egyptienne des Droits de l’Homme (OEDH), ces restrictions sont « exagérées » et en contradiction avec les conventions internationales des droits de l’homme garantissant la liberté d’expression individuelle et collective. Le projet de loi est en contradiction avec l’article 10 de la récente déclaration constitutionnelle qui garantit le droit de manifester librement et sans notification préalable.

Entre restriction et organisation

Les avis divergent également sur la nécessité d’une telle loi à une période aussi trouble. Certains la trouvent nécessaire pour faire face à la violence. D’autres y voient un retour sur l’un des acquis de la révolution du 25 janvier 2011 : le droit de manifester.

Le mouvement Tamarrod (qui avait mené le mouvement de contestation contre Mohamad Morsi) a menacé de manifester contre cette loi et a appelé le président intérimaire Adly Mansour à ne pas la ratifier. Le Front National du Salut (FNS), regroupant une coalition de partis libéraux, a aussi condamné l’élaboration de la loi « par un gouvernement censé représenter la révolution ». Magdi Hemdan, membre du FNS, trouve illogique, en cette période transitoire avec une tension politique à son comble, de promulguer cette loi sans consultations préalables avec les forces politiques. Mais Réfaat Al-Saïd, cadre du parti du Rassemblement, trouve cette loi indispensable pour ramener l’ordre et la stabilité dans le pays. Selon lui, il est temps de mettre fin aux crimes commis par les islamistes au nom du droit de manifester. « Ce qui se passe en Egypte est sans précédent. Personne ne s’oppose à la liberté de manifester mais cette liberté ne doit pas se transformer en scènes de chaos en barrant des routes, en fermant des places publiques et en organisant des manifestations armées », explique-t-il.

D’autres ne s’opposent pas au principe d’une loi réglementant les manifestations mais contestent le monopole du gouvernement dans son élaboration. Amr Ali, secrétaire général du parti du Front démocrate, trouve que le gouvernement de Beblawi refait la même erreur que celui des Frères musulmans en promulguant des lois intimement liées aux droits et aux libertés sans consultations des forces politiques et représentants de la société civile : « On comprend la volonté du gouvernement de freiner les dérives des islamistes commises au nom de la liberté de manifester. Toutefois, on redoute qu’elle ne puisse être mal exploitée au futur pour resserrer l’étau autour de l’ensemble de l’opposition ».

Mais pour Gamal Eid, président du Réseau arabe pour les droits de l’homme, cette loi ne peut s’inscrire que dans le cadre d’une volonté de bafouer les libertés. « Pourquoi devons-nous avertir les instances étatiques de notre volonté de manifester ? C’est absurde ! Quelle sera la réponse du ministère de l’Intérieur si on lui dit qu’on veut manifester contre les abus policiers ? », ironise Eid. Refus partagé par Ahmad Bassioni, du mouvement du 6 Avril, qui trouve que l’application d’une loi sur le droit de manifester doit aller de pair avec une réforme du ministère de l’Intérieur et la mise en vigueur de la justice transitionnelle. « Moubarak et Morsi ont échoué à étouffer leurs opposants et toute autre tentative dans ce sens sera aussi vouée à l’échec », dit Bassioni.

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