2022 débute par un rétablissement des relations entre l’Egypte et le Qatar. Elle s’achève sur un espoir d’une normalisation des relations avec la Turquie. L’Egypte était en froid avec ces deux pays depuis 2013, suite à la chute de l’ancien président Mohamad Morsi, membre de l’organisation terroriste des Frères musulmans, qui était soutenu par Ankara et Doha.
Les relations égypto-qataries, restaurées vers la fin 2021, ont connu une importante évolution au cours de l’année 2022 sur tous les niveaux. Quant à la Turquie, qui peine à réaliser un pas positif sur la voie de la normalisation des relations avec l’Egypte, elle doit toujours prouver sa crédibilité en mettant fin aux divergences qui entravent le processus de normalisation. Une nouvelle et première étape a été franchie en novembre dernier, lorsque le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a serré la main du président Abdel-Fattah Al-Sissi, en présence de l’émir qatari, cheikh Tamim bin Hamad Al Thani. Les deux hommes ont tenu des entretiens bilatéraux en marge de leur participation à la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de football 2022. « Cette rencontre constitue le début d’un développement des relations entre les deux pays », a déclaré Bassam Rady, porte-parole de la présidence. Pour sa part, Erdogan a déclaré: « C’est un pas vers une plus grande normalisation des relations ».
Une lueur d’espoir qui vient se dessiner sur la voie de la reprise des relations, qui s’accentuent par des déclarations prometteuses de responsables turcs, à l’exemple du ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, qui a affirmé que « la Turquie et l’Egypte pourraient rétablir des relations diplomatiques complètes et reconduire mutuellement leurs ambassadeurs dans les mois à venir », ajoutant qu’« Ankara et Le Caire pourraient reprendre bientôt les consultations diplomatiques menées par les vice-ministres des Affaires étrangères dans le cadre du processus de normalisation ».
Mais quelles réelles chances de réussite pour ces tentatives de rapprochement dans les mois à venir? Deux cycles de pourparlers exploratoires entre l’Egypte et la Turquie, tenus en 2021, n’ont pas abouti à des progrès significatifs. La Turquie a certes pris des mesures dans le bon sens, elle a fermé des chaînes satellitaires ciblant la propagande négative contre l’Egypte, a annoncé son intention d’extrader au Caire 40 de personnes recherchées et, plus important, a explicitement déclaré sa volonté d’abandonner son soutien au mouvement terroriste des Frères musulmans. Mais Le Caire, qui a salué ces mesures, a cependant appelé à achever un nombre de questions en suspens. L’Egypte appelle la Turquie à mettre fin à son soutien politique et militaire aux milices armées de l’ouest libyen. Autre point : la Turquie a de plus introduit des combattants syriens dans le conflit et poursuit son soutien au gouvernement d’union nationale dirigé par Abdelhamid Dbeibah, dont le mandat a expiré et avec lequel Ankara a récemment signé un certain nombre d’accords économiques préliminaires, lui assurant le droit de l’exploration énergétique dans la zone maritime de la Méditerranée. Ankara est également appelée à mettre fin aux opérations militaires turques dans le nord de la Syrie et de l’Iraq, que l’Egypte condamne constamment.
Ces conditions, qui ont entravé la réalisation du rapprochement égypto-turc, depuis 2021, pourront-elles être accomplies par la Turquie en 2023? Il semblerait que oui. Pour les spécialistes des affaires internationales, il y a de grandes chances de voir au cours du nouvel an des pas positifs de la part de la Turquie en faveur de la normalisation.
Avec Ankara, une normalisation conditionnée
C’est ce qu’affirme Dr Mona Soliman, la spécialiste de la Turquie, qui explique que la poignée de main n’élimine pas l’existence de différences entre les deux pays, mais confirme plutôt que les deux pays travailleront pour résoudre ces différences. « La Turquie est bien consciente que la seule voie pour assurer son intégration dans la région passe par l’Egypte, puisque ses tentatives de s’y imposer par le biais de l’accord conclu avec l’ancien gouvernement libyen d’Al-Sarraj n’ont pas abouti », précise-t-elle. La spécialiste souligne que cette semaine déjà, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a confirmé la possibilité de tenir une rencontre avec Bachar Al-Assad dans le cadre d’un réaménagement des relations entre Ankara et Damas. Elle explique: « Le rétablissement des relations avec la Syrie représente pour la Turquie un double intérêt qui lui assurera à la fois de prouver sa bonne foi à l’Egypte pour un renouement des relations, mais aussi réalisera le but d’Erdogan de gagner plus de voix pour s’assurer la victoire pour un nouveau mandat présidentiel lors des prochaines élections qui se tiendront mi-2023. On s’attend à ce que Doha, connue pour son rôle de médiateur réussi entre les grands pays, déploie des efforts importants pour assurer la réussite de cette normalisation ».
Revenant sur l’importance d’établir cette normalisation égypto-turque, Soliman assure que les troubles que vit la région du Moyen-Orient et les agissements de certaines puissances internationales ont rendu cette réconciliation nécessaire. « La reprise des relations, conditionnée par l’Egypte par le retrait turc des affaires libyennes et syriennes, engendrera un état de stabilité et de calme dans la région. Elle assurera également pas seulement la sécurité régionale mais aussi la sécurité nationale de l’Egypte étroitement liée à l’Etat de stabilité en Libye ». Et d’affirmer : « La Turquie espère aussi une adhésion au Forum du gaz méditerranéen. C’est très important pour elle. Une telle adhésion, si elle avait lieu, accroîtrait la concurrence et la coopération entre les pays membres et contribuerait à collaborer avec la Turquie qui a une grande expérience dans ce domaine. Ankara transporte effectivement le gaz et le pétrole de l’Asie centrale, qui est une région enclavée, vers l’Europe, afin qu’elle puisse être une alternative au gaz russe qui a été arrêté en raison des sanctions ».
Stabilité régionale et intérêts bilatéraux
Sur la même voie, Hassan Salama, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, explique qu’outre les répercussions importantes sur la région, la normalisation des relations avec la Turquie assure une coopération de poids au niveau bilatéral, à l’exemple du Qatar. Pour le politologue, la normalisation est devenue inévitable. Les troubles mondiaux dépassent la capacité de tout pays d’y faire face de manière unilatérale. Des problèmes comme la sécurité alimentaire, la sécurité énergétique et l’inflation nécessitent une coordination entre les pays afin de les surmonter. Par conséquent, tout réel rapprochement se traduira par des bénéfices mutuels pour toutes les parties. « Aujourd’hui, tous les pays cherchent à réaliser le développement interne et à améliorer le niveau de vie de leur population. Cette normalisation avec la Turquie, si elle a lieu, et celle déjà scellée avec Doha, signifient la multiplication des investissements bilatéraux. Surtout que l’Egypte dispose d’un vaste marché économique prometteur pour l’investissement, que ce soit pour la Turquie ou le Qatar ». A noter que malgré la scission politique entre Le Caire et Ankara, les deux pays entretiennent toujours des relations économiques. Selon l’Agence centrale égyptienne pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), la Turquie est en tête des pays vers lesquels l’Egypte a exporté au premier semestre 2022, avec 8% des exportations égyptiennes totales.
« Il serait sûrement encore très tôt de parler d’une normalisation globale à l’horizon en 2023, mais quelques démarches modestes seront un indice prometteur pour l’avenir des relations égypto-turques, voire de la région. Tout est lié au respect turc de la souveraineté des pays arabes. Les prochains jours révéleraient les réelles intentions d’Ankara », conclut Salama.
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