Les forces de l’ordre poursuivaient dimanche des perquisitions à Kerdassa, fief islamiste proche du Caire, théâtre jeudi de combats entre policiers et islamistes. Ce village proche des Pyramides de Guiza, où habitent 150 000 personnes, est connu pour ses centaines d’ateliers produisant des textiles destinés aux touristes. Depuis des mois, il est devenu un bastion islamiste. Jeudi, armée et police ont mené une opération destinée à nettoyer le village du «
terrorisme » souvent attribué aux islamistes partisans du président destitué Mohamad Morsi.
Dimanche dernier, la police poursuivait sa traque pour la quatrième journée consécutive. Les accès de Kerdassa sont bloqués par des blindés et des chars. Pour entrer ou sortir du village, les habitants doivent passer par plusieurs points de contrôle et subir souvent des fouilles et vérifications des contrôles d’identité. Aussi les moyens de transport sont-ils interdits d’accès, les habitants sont obligés de faire une marche de 3 à 4 km pour prendre le microbus du village voisin de Saft Al-Laban.
La rue « touristique », où se trouve le marché principal du village, n’est pas une exception. Sur les dizaines de boutiques, seule une poignée ouvre ses portes et attende des clients qui ne viennent pas.
« Depuis le 30 juin dernier, nous n’avons accueilli aucun client, ni étrangers ni Egyptiens. Personne ne met plus les pieds dans le village. Nous avons raté la saison d’été à cause des événements. Nous continuons à payer les loyers de nos échoppes qui varient entre 1 000 et 3 000 L.E. chaque mois, mais nous n’avons pas de revenu. Il faut absolument rétablir la sécurité pour assurer notre gagne-pain et notre survie », se plaint Essam Al-Sayahi Taha, 50 ans, propriétaire d’un magasin.
S’il se dit satisfait du récent déploiement des policiers, il voit la vraie « solution » ailleurs. Taha souhaite adresser un message au grand imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayeb, et au ministre des Biens religieux, Mohamad Mokhtar Goma, pour surveiller le discours des prédicateurs, placer toutes les mosquées du village sous leur contrôle et fermer celles dominées par les Frères musulmans. « Les Frères ont divisé le village entre pro-Morsi, les vrais croyants et les infidèles qui l’opposent », accuse-t-il.
Ahmad Saïd, 27 ans, vendeur dans un autre magasin, cherche surtout à défendre l’image de son village. « Il n’existe pas de terroristes à Kerdassa, je ne sais pas d’où les médias apportent leurs informations. Les habitants ne sont pas armés, comme on le prétend, c’est du mensonge », dit-il. Selon lui, les auteurs du massacre des policiers sont « des gens venus de l’extérieur ». Saïd est parmi le peu d’habitants qui osent contester le discours officiel et signaler les abus policiers. « Il y a des Frères musulmans parmi mes voisins, ils ne sont pas terroristes. Mon ami Mohamad qui vient de se faire arrêter n’a jamais participé à des actes de violence », assure Saïd.
Alors que le nombre de personnes recherchées était dans un premier temps fixé à 140 personnes, le nombre officiel d’arrestations annoncé ce jour-là a atteint 148. Les opérations de ratissage se poursuivent alors pour l’arrestation d’islamistes qui se seraient réfugiés dans ce village. Il s’agit notamment d’Ali Mahmoud Ghozlan, un cadre de la confrérie, et d’Abboud Al-Zomor, membre de la Gamaa islamiya, d’après le général Kamal Al-Dali, directeur de la sécurité de Guiza.
Mohamad Azazi, un habitant quinquagénaire, signale, lui, les abus des forces de sécurité. « Les habitants du village ont besoin de sécurité, mais aussi d’être bien traités par les autorités. La justice est à la tête de nos demandes. Je peux vous dire que, durant les opérations policières ces derniers jours, 6 habitations ont été brûlées, alors que dans certains cas, les policiers, s’ils ne trouvent pas les personnes recherchées, arrêtent leurs frères. C’est injuste », accuse-t-il. Lui aussi veut défendre son village en pointant du doigt des « éléments étrangers ». « Les habitants de Kerdassa, comme dans tous les villages d’Egypte, sont des pratiquants modérés. Ici les familles règlent leurs problèmes entre eux, à l’amiable et ont rarement recours à la police. Mais il se trouve que le commissariat qui a récemment rouvert est responsable de 13 autres villages voisins. C’est une malédiction pour Kerdassa, les hors-la-loi s’en prennent aux policiers et c’est nous qu’on accuse », explique Azazi.
C’est au bout de la rue « touristique » que se trouve ce commissariat, théâtre d’un massacre qui s’est soldé par la mort de 11 policiers le 14 août dernier, le jour même où, au Caire, l’armée et la police dispersaient dans le sang les manifestants islamistes opposés à la destitution du président Mohamad Morsi.
Les voitures de police continuent à sillonner les ruelles du village tandis que les habitants, rassemblés devant leurs modestes maisons, discutent des derniers événements.
« Personne ne nous entend »
Contrairement aux sceptiques, Fatma, jeune mère de famille, n’est pas inquiétée par cette présence policière. « Il faut nettoyer notre village des terroristes, des tueurs. Depuis le 30 juin, nous souffrons et personne ne nous entend. Aujourd’hui, les autorités vont enfin assurer notre sécurité et notre stabilité », souhaite-t-elle. Elle veut que les forces de sécurité ne se contentent pas de traquer les terroristes, « elles doivent aussi arrêter les trafiquants de drogue et les hommes de main qui débarquent de la banlieue pour faire la loi ici ».
Vers 15h, un grand nombre de camions brisent le calme. Ils se dirigent vers une habitation au milieu du marché. On recherche des suspects dans le meurtre du général Nabil Farrag, chef adjoint de la police du gouvernorat de Guiza, tué par balles au début des opérations jeudi qui ont fait aussi dix blessés, dont neuf policiers.

Un des accès de Kerdassa bloqués par l'armée.(Photo : Moustapha Emira)
Beaucoup d’histoires circulent autour de la mort de cet officier haut gradé qui portait un gilet pare-balles. Il aurait été tué par des inconnus de passage selon certains, par un sniper du toit d’une habitation selon d’autres, ou encore tué par des tirs amis ...
« Ils cherchent un terroriste », crient les jeunes. Les autorités demandent aux habitants de quitter les lieux et de rentrer chez eux. Curieux, ils se plient néanmoins aux ordres et se dispersent.
« Nous avons aidé des dizaines de policiers à fuir la mort lors de l’assaut du commissariat au mois d’août, nous avons besoin de leur présence », dit hadj Ali, un septuagénaire d’une voix suffisamment élevée pour se faire entendre des officiers. Il en profite pour réclamer que Kerdassa souffre d’un manque de services, notamment au niveau de la collecte des ordures « qui s’entassent devant les écoles et les maisons ».
Une demi-heure après, les policiers émergent avec plusieurs « recherchés ». Les uns chantent à la gloire de l’armée et de la police, les autres sont inquiets de ces arrestations aléatoires qui peuvent les viser eux aussi. Même si tous rêvent de sécurité et de stabilité.
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