Dr Ali Eddine Hilal*
Lorsque la Révolution de Juillet 1952 a eu lieu, le Dr Boutros Boutros-Ghali était un jeune homme d’une trentaine d’années, travaillant comme professeur à la faculté de droit de l’Université du Caire (Fouad Ier à l’époque). Cette révolution a eu un impact direct sur sa vie avec la promulgation de la loi de réforme agraire; une loi qui a directement touché sa famille. Au cours des années suivantes, toutes les décisions socialistes ont touché le jeune homme et sa famille.
C’est ainsi qu’il semblait que ce jeune se tenait de l’autre côté de l’histoire. Cependant, Dr Ghali a agi face à ces développements avec une logique nationale singulière. Jamais il n’a pensé quitter son pays sous prétexte de désaccord avec les politiques du régime au pouvoir. Jamais il n’a pensé étudier dans une université étrangère, bien que cela lui fût tout à fait possible, car il est l’un des premiers professeurs de droit et de sciences politiques à avoir publié ses recherches et livres en anglais et en français, en plus de ses étroites relations avec des universités et des centres de recherche en Europe et aux Etats-Unis. Au contraire, le Dr Ghali s’est engagé dans l’énorme processus national de construction mené par l’Egypte. Il a défendu la politique étrangère de l’Egypte et les principes qu’elle a avancés, tels que la libération nationale et le non-alignement, et il a été la voix de l’Egypte dans les instances scientifiques et internationales.
Cette attitude peut s’expliquer par trois facteurs. Tout d’abord, il possède un fort sentiment nationaliste et est profondément convaincu du rôle de l’Etat égyptien. Ce qui l’a amené à utiliser ses connaissances et ses contacts à l’étranger pour le défendre. Deuxièmement, il appartient à une ancienne famille qui a participé à la vie publique pendant des décennies et dont sont issus de nombreux ministres, hauts fonctionnaires et membres du parlement. Troisièmement, il se caractérisait par un esprit de détermination et d’insistance à réussir, de sorte qu’il ne se souciait pas des risques et ne craignait pas les situations difficiles, croyant en sa capacité à les surmonter.
Je me souviens que peu de temps après la visite de Sadate à Jérusalem, il a présidé une délégation pour assister à une conférence au Koweït et n’a pas douté un instant, comme je l’ai entendu directement de sa part, de sa capacité de faire face à tous les harcèlements attendus.
Une aura à l’échelle mondiale
Le Dr Ghali a fait preuve dans sa vie des meilleures qualités du patriotisme égyptien. Il a combiné dans sa carrière entre le chercheur, le professeur d’université, l’éditorialiste dans le journal Al-Ahram, désireux de faire parvenir sa pensée au plus grand nombre de lecteurs, le diplomate habile, le négociateur astucieux et l’homme d’Etat qui défend son pays et ses intérêts en toutes circonstances. La contribution de Ghali a transcendé les niveaux national et régional, devenant le premier Egyptien, Arabe et Africain à occuper le poste de secrétaire général des Nations-Unies durant les années de profondes mutations après la dissolution de l’Union soviétique et la fin de la Guerre froide. C’est ainsi qu’il a présenté un nouvel agenda des priorités de l’ordre mondial qui lie la paix au développement.
Il a fait part de sa crainte que la chute du Mur de Berlin entre l’Est et l’Ouest ne soit remplacée par un nouveau mur entre le Nord et le Sud, et a souligné la cohérence entre les problèmes rencontrés par les pays et la nécessité de les aborder selon une perspective mondiale. Ghali a suivi une approche indépendante dans son travail aux Nations-Unies, et ses positions en faveur des pays en développement découlant des principes du droit international lui ont coûté son poste, de sorte que Washington a utilisé le droit de veto au Conseil de sécurité pour ne pas renouveler son mandat malgré l’approbation des 14 autres membres.
Il est normal que les journaux et les médias se concentrent sur l’aspect politique de la carrière du Dr Ghali en raison des hauts postes qu’il a occupés, dont le dernier en Egypte est celui de président du Conseil national des droits de l’homme. Mais l’autre aspect qui mérite l’attention est son rôle de professeur d’université qui a écrit des dizaines d’articles et de livres dans lesquels les chercheurs continuent de puiser.
Il était un professeur distingué qui m’a enseigné l’« Organisation internationale » en 1963 à la faculté d’économie et de sciences politiques. Je me souviens d’une rare situation, quand je lui ai posé une question, il a fait une pause et m’a répondu: « Je dois revenir à quelques références avant de répondre à votre question ». Et ce fut, il a répondu à ma question lors du cours suivant. Ce comportement a eu un grand impact sur ses étudiants. Au fil des ans, l’homme n’a à aucun moment perdu son statut de professeur et de chercheur scientifique, et il a toujours tenu à apporter à ses décisions leur référence scientifique.
Il aimait et encourageait ses étudiants. Si je me prends comme exemple, j’ai eu l’occasion d’écrire pour le premier numéro du magazine Al-Siyassa Al-Dawliya (la politique internationale), publié en juillet 1965, et la même année, j’ai eu l’occasion d’écrire une critique de livre dans la Revue égyptienne de droit international public. L’année suivante, il m’a proposé de suivre le cours Dag Hammarskjöld, organisé par l’Académie de droit international de La Haye, qui était ma première ouverture aux chercheurs des pays africains et asiatiques.
Quand je suis revenu de la mission en 1973, j’ai étroitement travaillé avec lui dans plus d’un endroit, à la faculté d’économie quand il était chef du département de sciences politiques, alors que j’étais le secrétaire du département en tant que nouvel enseignant et à la Fondation Al-Ahram dans les activités des magazines Al-Ahram Al-Iqtissadi (Al-Ahram économique), Al-Siyassa Al-Dawliya et du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
Je me souviens aussi que lorsqu’il a cessé d’écrire son article hebdomadaire dans la revue d’Ahram Al-Iqtissadi intitulé « La dernière page » à la fin des années 1970 à cause de son poste ministériel, mon ami Essam Refaat, rédacteur en chef du magazine à l’époque, m’a proposé d’écrire moi-même cette page. J’ai alors contacté mon professeur pour lui demander la permission de le faire et ses mots aimables et encourageants ont été l’expression des plus hautes significations de la fonction de professeur.
Par ma longue connaissance de cet homme, je témoigne de sa croyance en la valeur de la liberté, de son respect pour la pensée des autres, de sa tolérance envers ceux qui sont différents et de sa conviction que seuls le dialogue et le débat entre les opinions révèlent la meilleure d’entre elles .
*Professeur émérite des études politiques et Ancien ministre de la Jeunesse
Quelques chiffres d’une riche carrière
31 : Nombre d’universités où Dr Ghali a enseigné.
23 : Les universités lui ont conféré des doctorats honoris causa.
32 : Les distinctions et titres honorifiques qui lui ont été décernés par 24 pays.
79 : Nombre de conférences internationales auxquelles il a participé.
42 : Nombre d’ouvrages signés Ghali et publiés en arabe, en anglais et en français.
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