Poignée de main entre les présidents Sissi et Erdogan, en présence de l’émir du Qatar, avant la tenue du sommet tripartite.
Une poignée de main entre le président Abdel-Fattah Al-Sissi et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, en présence de l’émir du Qatar, Tamim bin Hamad Al Thani, et un sommet trilatéral qui a réuni les trois chefs d’Etat, le 20 novembre. Une rencontre imprévue survenue alors que les présidents égyptien et turc se trouvaient à Doha pour assister à la cérémonie de lancement de la Coupe du monde Qatar 2022, à l’issue de laquelle aucune des deux parties n’a publié de déclaration. « Cette rencontre constitue le début d’un développement des relations entre les deux pays », a déclaré Bassam Rady, porte-parole de la présidence. Pour sa part, Erdogan a déclaré : « C’est un pas vers une plus grande normalisation des relations ».
Or, cette rencontre intervient dans un climat délicat, près de deux semaines après l’annonce par le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, que le dialogue entre l’Egypte et la Turquie pour normaliser les relations est suspendu, et ce, en raison des pratiques inchangées de la Turquie en Libye. Selon les analystes, une médiation qatarie viendrait faire bouger les eaux stagnantes.
Les relations égypto-turques avaient été interrompues depuis 2013, suite à la chute de l’ancien président Mohamad Morsi, membre de l’organisation terroriste des Frères musulmans et qui était soutenu par le gouvernement d’Erdogan, alors premier ministre turc. Après des années d’immobilisme, deux séries de pourparlers exploratoires se sont tenues l’année dernière entre Le Caire et Ankara, au niveau des vice-ministres égyptien et turc des Affaires étrangères, dans le but de relancer les relations rompues. Mais celles-ci n’ont pas abouti, en raison des comportements turcs dans la région, surtout en Libye. La Turquie a introduit des combattants syriens dans le conflit et poursuit son soutien au gouvernement d’union nationale dirigé par Abdelhamid Dbeiba, dont le mandat a expiré et avec lequel Ankara a récemment signé un nombre d’accords économiques préliminaires, lui assurant le droit de l’exploration énergétique dans la zone maritime de la Méditerranée.
Revenant sur l’importance de cette rencontre trilatérale, le professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, Tarek Fahmy, explique que chacune des trois parties a ses propres intérêts et ses propres objectifs. Erdogan a à plusieurs reprises exprimé ses aspirations pour un retour à la normale dans ses relations avec Le Caire. « Lors des deux précédentes tentatives de dialogue, la Turquie a répondu à certaines des revendications de l’Egypte, au premier rang desquelles l’expulsion de certains membres de la confrérie et la fermeture des chaînes de télé ou des sites contre l’Egypte. Mais les dossiers restés suspendus relèvent d’une importance majeure pour l’Egypte, qui tient à un règlement global », explique le politologue. D’où l’importance de ce sommet. Il ajoute : « La Turquie essaie de suivre avec l’Egypte la même politique suivie avec Israël, qui est basée sur le principe de zéro problème, et qui consiste à un retour des relations diplomatiques et politiques malgré la présence de différends bilatéraux. Une politique que l’Egypte a catégoriquement rejetée conditionnant un règlement global sur toutes les questions en suspens ».
Différends régionaux et bilatéraux
Sur la même voie, la spécialiste des relations internationales, Mona Soliman, explique que pour l’Egypte, certains dossiers au niveau régional persistent, notamment la question libyenne. L’Egypte veut assurer la stabilité en Libye et appelle à la sortie des forces turques des territoires libyens, aussi bien que des territoires syriens et iraqiens. L’Egypte appelle également la Turquie à arrêter ses comportements offensifs en Méditerranée orientale.
Sur le volet bilatéral, poursuit-elle, Le Caire a appelé Ankara à arrêter la protection des figures des Frères en Turquie à l’échelle internationale et à fermer les plateformes anti-égyptiennes, dont certaines opèrent toujours depuis la Turquie. « La Turquie tente depuis un certain temps de flirter politiquement avec l’Egypte, surtout suite aux dernières déclarations du ministre égyptien des Affaires étrangères au cours desquelles il a directement évoqué l’arrêt des pourparlers avec Ankara. Le dernier geste étant l’arrestation, le 11 novembre, d’un nombre de manifestants anti-Egypte ». Ses objectifs seraient d’assurer « son adhésion au Forum du gaz méditerranéen d’une part, et d’assurer son alliance avec l’Egypte, d’autre part, surtout que la Turquie a recalculé, de manière significative dans la période récente, l’importance de ses relations avec l’Egypte en tant que pays important et pivot dans la région ».
Quelles chances ?
Pour les politologues, il existe une grande chance que le Qatar puisse réaliser une avancée en termes de médiation. Fahmy souligne que Doha est célèbre pour son rôle de médiateur réussi entre les grands pays, notamment entre le mouvement taliban et certains pays occidentaux, ou encore lors de la crise du Darfour. « Le Qatar a tenté de profiter de cet événement international pour activer sa médiation entre deux grandes forces régionales, à savoir l’Egypte et la Turquie, dont l’union serait sans aucun doute dans l’intérêt de la région », explique-t-il.
Même s’il est trop tôt de prévoir les scénarios à venir, Fahmy prévoit, au cours des prochains mois, la relance de nouvelles réunions exploratrices entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays, sous un patronage qatari. « Bref, ce sont les prochains comportements de la Turquie qui décideront du succès ou de l’échec de cette réconciliation. L’affaire est à suivre », conclut Fahmy.
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