Les ministres des Affaires étrangères égyptien et grec ont appelé l’Onu à prendre une position ferme contre le gouvernement de Dbeibah.
Le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, s’est entretenu ce dimanche 9 octobre, au Caire, avec son homologue grec, Nikos Dendias. Outre les discussions sur les questions régionales et internationales d’intérêt commun, les deux ministres ont réitéré leur rejet à l’accord énergétique maritime signé le 3 octobre entre la Turquie et le représentant du gouvernement d’union libyen, Abdelhamid Dbeibah, dont le mandat est officiellement terminé. Dans un communiqué de presse conjoint, Choukri et son homologue grec ont confirmé que ce gouvernement n’avait pas le pouvoir de signer des accords internationaux ou des protocoles d’entente. Ils ont également souligné la nécessité de tenir des élections législatives et présidentielle pour assurer la stabilité de la Libye. Les deux parties ont convenu de faire appel aux Nations-Unies pour prendre « une position ferme à l’égard du gouvernement d’union nationale » conformément à un accord rédigé et adopté par l’Onu qui l’a chargé de mettre fin à la période de transition en organisant des élections en décembre 2021. « Une responsabilité que le gouvernement n’a pas remplie », a déclaré Choukri. Pour sa part, Dendias a affirmé que « cet accord menace la stabilité et la sécurité de la Méditerranée », assurant que son pays utilisera tous les moyens légitimes pour défendre ses droits. L’Union européenne et les Etats-Unis ont également dénoncé l’accord, estimant qu’il déstabilise la région.
De même, le président du parlement libyen basé à l’est, Aguila Saleh, a annoncé le boycott de l’accord qu’il a jugé « illégal » et signé par un « gouvernement illégitime » qui ne représente pas le pays. La Libye est partagée entre deux administrations rivales. L’une est le gouvernement d’union nationale de Abdelhamid Dbeibah à Tripoli, qui a refusé de se retirer après que la Libye n’avait pas organisé d’élections l’année dernière. Une deuxième administration est dirigée par Fathi Bashagha, qui opère depuis la ville orientale de Benghazi. La Turquie soutient le gouvernement d’union nationale, dont la légitimité est contestée par le parlement libyen, basé à l’est.
L’accord conclu prévoit le développement des projets liés à l’exploration, la production et le transport de pétrole et de gaz dans les eaux libyennes. Il fait suite à un accord de délimitation maritime qui avait été conclu en novembre 2019 avec l’ancien gouvernement d’union nationale. Un accord qu’ont rejeté la Grèce, l’Egypte et Chypre, car il permet à la Turquie d’étendre son pouvoir sur de vastes zones en Méditerranée orientale, exploitées par ces trois pays. Ce qui a poussé l’Egypte et la Grèce, pour protéger leurs droits maritimes, à signer en août 2020 un accord de délimitation de leurs zones économiques exclusives.
Menace à la sécurité régionale
Pour Béchir Abdel-Fattah, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, le rejet de l’Egypte est fondé sur deux principales raisons, la première concerne l’illégitimité de l’accord conclu et le second concerne la menace à la sécurité régionale et égyptienne. « Toutes les conditions internationales exigées pour la conclusion d’un tel accord sont absentes. Notamment l’approbation du parlement et la légitimité des partis qui concluent l’accord et le respect des droits des pays voisins. La Turquie, en différend avec les pays de l’est de la Méditerranée sur la démarcation des frontières maritimes, essaie de profiter de cet accord qui sert ses intérêts, sachant qu’elle importe jusqu’à 95 % de ses besoins énergétiques avec un coût annuel d’environ 100 milliards de dollars. En contrepartie, elle présente au gouvernement de Dbeibah des soutiens militaires et économiques », souligne le chercheur.
Sur le volet sécuritaire, le chercheur explique que « la mise en oeuvre de cet accord est rejetée par l’Egypte, car elle augmentera l’influence turque en Libye et conduira à de nouvelles divisions internes dans ce pays. Ce qui est contraire à l’approche diplomatique égyptienne qui appelle au retrait des mercenaires et des forces étrangères de la Libye. Cette situation alimente les menaces terroristes et d’immigration illégale sur les frontières égyptiennes ».
La spécialiste des affaires internationales, Mona Soliman, assure qu’Ankara profite de la fragilité de Dbeibah pour maintenir sa présence militaire en Libye et conclure des accords servant ses intérêts. Elle mise sur le poids international important qu’elle a récemment réussi à gagner par la médiation qu’elle avait entreprise entre la Russie et l’Occident, pour assurer le transport de blé ukrainien. Cependant, conclut Mona Soliman, « il y a peu de chance qu’Ankara puisse mettre en oeuvre cet accord, vu le rejet international unanime et la responsabilité qu’incombe à l’Onu face aux comportements illégitimes de ce gouvernement sortant ».
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