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Camp David, des accords mal exploités

Omar Kamil, Mardi, 17 septembre 2013

35 ans après la signature des accords de Camp David, la paix avec Israël est devenue une réalité reconnue par tous. Pourtant, ces accords demeurent une entrave pour l'Egypte, notamment sur la question du Sinaï. Analyse.

Camp David, des accords mal exploités

Dans les jardins de la Maison Blanche, le 17 septembre 1978, l’ancien président égyptien Anouar Al-Sadate signe avec Menahem Begin, alors premier ministre israélien, les accords de Camp David, sous le parrainage du médiateur américain après 30 jours de négociations. L’opposition arabe et égyptienne à ces accords a commencé dès leur signature et se poursuit toujours aujourd’hui, 35 ans après.

A la tête des opposants figuraient la gauche nassérienne nationaliste et le courant islamiste. L’opposition à la politique de Sadate optant pour des relations pacifiques avec Israël a été motivée par des considérations idéologiques : la gauche, notamment nassérienne, protestait contre la rupture de l’unanimité nationaliste arabe rejetant Israël en tant que projet colonialiste, alors que pour les islamistes, ils rejetaient un accord qui reconnaît la présence d’une entité juive et sioniste sur le territoire palestinien, une terre islamique de par son histoire et sa culture.

Ce double refus reposait donc sur des principes dogmatiques. Sadate a néanmoins poursuivi sa politique pour laquelle il a payé sa vie, et a protégé la survie des accords de Camp David face à ses opposants. Parallèlement, l’échec de l’opposition à proposer une alternative a fait de ces accords une réalité politique respectée par les gouvernements successifs.

Et alors que l’Egypte sous Hosni Moubarak défendait ces accords considérés comme un choix stratégique fondamental, les forces islamistes et de gauche campaient sur leur refus. Mais leur opposition était fragile et ne dépassait pas le cadre des discours enthousiastes qui décoraient les fêtes religieuses ou nationales.

La situation a dramatiquement changé après le 25 janvier 2011. Le régime qui protégeait les accords de Camp David a chuté et les élections parlementaires et présidentielles qui ont suivi ont soumis toutes les forces politiques à un test : sont-elles pour ou contre ces accords ? En principe, celles-ci, de l’extrême droite à l’extrême gauche, les ont toutes reconnus comme une réalité politique incontournable.

Les candidats à la présidentielle de 2012, que ce soit le nassérien Hamdine Sabbahi ou le diplomate considéré comme un modéré, Amr Moussa, ont jugé important de respecter les accords de paix. Quant à l’ex-président Mohamad Morsi, et avec lui les Frères musulmans, ils ont entamé leur courte période au pouvoir avec un pragmatisme surprenant, reconnaissant les accords de Camp David et l’importance de préserver la paix avec Israël non seulement dans leurs déclarations aux médias, mais aussi dans la pratique, en obligeant le Hamas à arrêter ses tirs de roquettes contre Israël.

Consensus face à la réalité changeante

Or, la reconnaissance de la réalité n’a pas empêché les opposants d’exprimer leur volonté de modifier les accords en question. En fait, la demande semble faire l’unanimité des forces politiques. Des voix appartenant à tout le spectre politique commencent à critiquer les restrictions imposées en vertu de ces accords à la présence militaire égyptienne dans le Sinaï et à revendiquer un amendement permettant d’augmenter le dispositif militaire dans la péninsule. C’est là où le changement de positionnement vis-à-vis des accords de Camp David paraît crucial, passant du refus stratégique de l’idée de paix avec Israël à leur reconnaissance accompagnée d’une demande de modifications logistiques ne touchant ni à leur esprit, ni à leur essence.

Aujourd’hui, 35 ans après la signature de ces accords, il convient de les considérer d’un regard critique dépassant la dichotomie de l’acceptation et du refus. Le droit international mesure le succès ou l’échec d’un accord, et par conséquent sa viabilité en fonction des intérêts dont tirent profit les parties signataires. Si l’on considère la partie israélienne, on se rend compte qu’Israël a, en réalité, trois gains importants : la sécurisation de son front sud, l’obtention de la reconnaissance de son existence de la part du plus grand pays arabe et la neutralisation de son armée dans le conflit israélo-arabe, ainsi que la sympathie internationale qu’il s’est assuré comme un Etat qui oeuvre pour la paix.

Inutile de s’attarder sur les gains israéliens. Considérons plutôt ce qui nous intéresse en tant qu’Egyptiens. L’Egypte, en a-t-elle tiré profit ? Le fait que les forces politiques égyptiennes sont unanimes à cautionner ces accords signifie que ceux-ci constituent un certain gain au niveau de la sécurité nationale. L’Egypte a récupéré le Sinaï et sa souveraineté sur l’ensemble de ses territoires, et de leur côté, les Etats-Unis se sont engagés à soutenir l’Egypte militairement et économiquement en échange de son respect des accords de paix. Mais est-ce que ces gains assurés par le président Anouar Al-Sadate sont-ils aussi précieux qu’il y a 35 ans ? Force est de constater qu’au fil des ans, l’aide américaine est devenue une charge plus qu’une assistance. Pour se l’assurer, l’Egypte est obligée de graviter dans l’orbite américain sous peine de voir Washington brandir la menace de la suspendre, comme ce fut le cas après le 30 juin.

La problématique des accords de Camp David réside dans leur « momification » pendant 35 ans dans le cadre de l’aide américaine civile et militaire, autrement dit : dans l’incapacité des décideurs égyptiens de maximiser les profits qu’ils en tirent. Loin des solutions théoriques, le développement de ces accords pourrait s’opérer sur les deux échelles, locale et internationale. Localement, depuis 1978, l’Etat égyptien a confiné les accords de Camp David dans leur cadre sécuritaire. Cela a été évident le long des années Moubarak, quand le dossier des relations égypto-israéliennes a été retiré du ministère des Affaires étrangères et a été confié aux services de renseignement sous la direction du feu Omar Soliman.

Le Sinaï est également devenu une affaire sécuritaire dont s’occupent les ministères de la Défense et de l’Intérieur. Sans minimiser l’importance des efforts de la police et de l’armée dans la préservation de la sécurité dans la péninsule, il est important de souligner que cette partie du territoire égyptien n’aura pas d’avenir tant qu’elle restera une « question de sécurité ». Il ne suffit pas de demander l’amendement des accords pour permettre à l’armée de s’y déployer.

Le Sinaï doit être considéré comme une question de développement humain et économique, parce que c’est le meilleur rempart contre le terrorisme islamiste aussi bien que contre les convoitises régionales. Au niveau international, l’Egypte devra exploiter le refus populaire de ces accords — de la part d’une population qui n’a pas récolté les fruits de la paix — pour demander, à titre d’exemple, une ouverture des marchés occidentaux à ses produits agricoles et textiles. Des demandes assez légitimes dans un monde qui place ses intérêts suprêmes dans la sécurité d’Israël.

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